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La Grande Mosquée de Paris : symbole de l’islam de France

La plus ancienne mosquée de Paris est l’épicentre de la communauté musulmane française et sert de pont entre l’État et ses citoyens musulmans
Jardins de la Grande Mosquée de Paris (MEE/Adrien le Coarer)

Derrière le Jardin des Plantes, un minaret solitaire surplombe une avenue calme au cœur du 5e arrondissement. Une lourde porte de bois accueille les visiteurs.

« Assalamu alaykoum. » Par ces mots, l’homme de la réception accueille un fidèle.

Assis dans son bureau, le Dr Dalil Boubakeur peaufine son discours pour un événement à venir. Son assistant transcrit ses propos, remplaçant certains termes, ajoutant une expression plus nuancée.

« Je dois m’assurer de faire ça bien. Que dire ? Je suis un perfectionniste », rit-il.

Le Dr Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, a hérité cette fonction de son père (MEE/Kait Bolongaro)

Né à Skikda dans une famille algérienne aisée, ce mufti âgé de 76 ans est l’actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris.

Après avoir déménagé en France pendant la guerre d’Algérie, il a fait des études de médecine. Dalil Boubakeur dirige la mosquée depuis 1992, une fonction qu’a occupée avant lui son père, Si Hamza Boubakeur.

« La Grande Mosquée de Paris joue un rôle important en tant que symbole de l’islam de France »

Depuis son ouverture en 1926, la Grande Mosquée est considérée comme l’épicentre de la communauté musulmane française. C’est la plus ancienne mosquée du pays, fondée à l’origine en hommage aux dizaines de milliers de soldats musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale.

Suite aux attentats meurtriers revendiqués par le groupe État islamique en France, la Grande Mosquée a dû faire face à une société française en proie à une islamophobie grandissante, selon Boubakeur.

La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) a énoncé que les violences contre les musulmans avaient triplé : 425 cas d’agressions ont été signalés en 2015 contre 133 en 2014.

Avec une campagne qui s’annonce tendue en vue de la présidentielle de mai 2017, la mosquée se tourne vers son passé afin de trouver des réponses sur son rôle dans la France moderne.

Un regard en arrière

En 1830, la France s’empare de territoires en Afrique – à commencer par l’invasion de l’Algérie – et de nombreux musulmans deviennent sujets français.

Cette population continua d’augmenter lorsque la France occupa certaines parties du Moyen-Orient après la chute de l’Empire ottoman.

« La France était considérée comme une grande puissance musulmane à l’époque en raison de ses colonies », a déclaré Boubakeur. « Puisque de nombreux musulmans du monde entier visitaient Paris, il a été décidé qu’ils devraient avoir un endroit pour prier. »

En 1905, une loi fut adoptée pour protéger la laïcité dans le pays et empêcher l’État de financer des édifices religieux. Afin de contourner la loi, en 1921, les associations culturelles de « la société des habous » et des « lieux saints de l’islam » financèrent conjointement la mosquée.

« Ce fut un moment critique de l’histoire de l’islam en France », a déclaré Boubakeur. « Beaucoup de politiciens promurent le projet et la société accueillit cette religion. »

La cour de la Grande Mosquée de Paris. En 1940, la Grande Mosquée de Paris sauva des juifs de la déportation (MEE/Adrien le Coarer)

En 1940, lorsque la France capitula face à l’Allemagne nazie, des témoins rapportèrent que la Grande Mosquée de Paris avait sauvé des juifs de la persécution et de la déportation. Le recteur de la mosquée, Si Kaddour Ben Ghabrit, offrit des certificats d’identité musulmane à des juifs sépharades originaires d’Afrique du Nord pour la plupart, leur permettant d’échapper à la détection.

Le cas le plus célèbre est celui du chanteur juif algérien Salim Halali, dont l’histoire a été immortalisée dans le film Les hommes libres en 2011, qui a été décrit comme une fiction inspirée par des événements réels et des personnes ayant existé.

Alors que l’Europe est aux prises avec la plus grande crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, la France connaît un afflux de réfugiés dans les rues de Paris et dans des villes comme Calais.

La France constitue un important centre de recrutement pour l’EI, des centaines de personnes s’étant rendues dans la région qui constitue son « califat », proclamé en 2014.

En septembre dernier, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a déclaré qu’il y avait eu une « nette diminution » du nombre de ressortissants français voyageant pour rejoindre l’EI au premier semestre 2016, avec seulement 18 Français recensés en 2016 contre 69 pour la même période en 2015.

Cazeneuve a expliqué que c’était en raison des pertes récentes de l’EI sur le terrain mais aussi en raison des « efforts antiterroristes renforcés » de la France.

Au total, 689 citoyens français étaient encore dans la région en 2016, dont 275 femmes et 17 mineurs, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

Servir la communauté

Au sein de la communauté musulmane française, la Grande Mosquée de Paris sert d’organisation-cadre pour une fédération regroupant plusieurs centaines de mosquées dans tout le pays.

« Notre rôle est de défendre la présence de l’islam en France », a déclaré Boubakeur. « Nous sommes là pour tous les musulmans, mais une grande partie de notre communauté est algérienne. La France a colonisé l’Algérie pendant plus de cent ans et il y a environ trois millions de personnes d’origine algérienne dans ce pays. »

« Je me sens reliée à Dieu ici. Je ne suis pas très pratiquante, mais c’est un endroit où je peux prier en paix. Mon père vient d’Algérie, donc cela me ramène aussi à mes racines d’une certaine manière »

En parallèle, l’institution reste fidèle à ses racines parisiennes. Chaque jour, des centaines de musulmans de toute la ville se rassemblent pour prier. La congrégation compte maintenant des milliers de fidèles.

Fatima Slimani est l’une d’entre eux. Cette employée de bureau de 46 ans vient à la mosquée aussi souvent que possible – en particulier pour les prières du vendredi. Bien qu’elle n’y assiste pas chaque semaine, elle considère cet espace comme son foyer religieux.

C’est la seconde fois que Karim Boudjedra prie à la Grande Mosquée. Cet étudiant en doctorat de 28 ans originaire de Tunisie a passé les derniers mois à visiter différentes mosquées de la capitale française pour en trouver une qui corresponde à ses valeurs.

« Je me considère comme libéral, mais j’apprécie aussi les enseignements du Coran. Je cherche une mosquée qui intègre les deux dans ses enseignements », a-t-il expliqué. « Cette communauté semble assez modérée, mais je n’ai pas encore décidé. »

Les Parisiens non musulmans apprécient également les locaux de la mosquée.

Le restaurant de la Grande Mosquée de Paris est populaire auprès de personnes de tous horizons (MEE/Adrien le Coarer)

Dans un bâtiment adjacent et affilié à la mosquée se trouve un hammam qui propose un sauna chaud et des douches, ainsi que des massages et des services d’épilation à la cire. Il y a aussi un restaurant qui constitue une destination populaire pour tous. Inspiré par les grands salons d’Afrique du Nord, il sert des spécialités telles que le thé à la menthe fraîche et différents plats comme le couscous et le tajine.

« J’aime venir ici avec mes amis. Nous prenons du thé à la menthe et mangeons différents types de baklava », a déclaré Mélanie Martin, une infirmière qui se déclare athée.

« Je suis allée au Maroc une fois et être ici me rappelle ma merveilleuse expérience là-bas. »

Combler le fossé

Du point de vue politique, la Grande Mosquée de Paris sert de pont entre l’État français et ses citoyens musulmans. Les politiciens assistent fréquemment à des événements sur place et échangent régulièrement avec Boubakeur sur la façon dont sont perçues les affaires courantes ou les politiques gouvernementales dans la communauté.

« La Grande Mosquée a toujours entretenu de très bonnes relations avec les autorités », a-t-il précisé. « Paris est fière de sa mosquée. »

Les jardins de la Grande mosquée de Paris (MEE/Adrien le Coarer)

Cette alliance a été essentielle dans la stratégie mise en place par le gouvernement pour lutter contre la radicalisation croissante chez les jeunes français.

Boubakeur a déclaré que bon nombre de candidats potentiels au militantisme violent étaient issus de l’immigration et avaient grandi dans des banlieues pauvres, les zones les plus défavorisées du pays.

« Ce fanatisme s’est propagé aux communautés musulmanes immigrantes ici. Malgré les désavantages sociaux et économiques et le racisme dont souffrent les musulmans, nous devons nous opposer à cette vision radicale et maintenant terroriste de l’islam. »

Il considère l’essor de l’islamophobie comme un triste développement dans son pays d’adoption et comme une menace pour le dialogue et l’unité nationaux. Cependant, il considère également qu’il s’agit là de la conséquence naturelle de la radicalisation qui a fait des musulmans les boucs émissaires du terrorisme et d’autres problèmes au sein de la société française. Les partis politiques – en particulier le populiste Front national de Marine le Pen – ont capitalisé sur de tels sentiments, selon Boubakeur.

« Les politiciens accusent souvent les musulmans de cacher leur propre responsabilité », a-t-il poursuivi. « Mais cette islamophobie est enracinée dans un rejet plus profond de la routine en politique. Les citoyens ont l’impression que le gouvernement ne les écoute pas ou ne tient pas compte de leurs besoins. »

Pour le recteur de la Grande Mosquée de Paris, le but ultime est de favoriser la compréhension et le respect interreligieux dans la société française.

« La France est une nation qui inclut tous les individus et où nous pouvons vivre ensemble », a affirmé Boubakeur. « Je suis favorable à l’intégration des musulmans afin que, au bout du compte, musulmans ou non-musulmans, nous soyons tous français. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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