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La jeunesse tunisienne demande du « travail ou une autre révolution »

Après la confiscation de sa marchandise par des fonctionnaires, un homme s’est immolé par le feu au cours de manifestations qui rappellent le soulèvement de 2011
Une femme participe à une manifestation anti-gouvernementale à Tunis le 20 janvier (AFP)
Par MEE

Le gouvernement tunisien a annoncé une série de mesures « imminentes et urgentes » dans le but d’apaiser une vague de violentes protestations qui s’est propagée à travers le pays depuis le week-end dernier.

À la suite d’une réunion d’urgence du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Khaled Chouket a annoncé mercredi de nouvelles mesures destinées à créer 5 000 nouveaux emplois.

Ce plan prévoit en outre d’offrir du travail à 1 400 chômeurs, dans le cadre d’un programme préexistant.

En dépit des promesses du gouvernement d’améliorer les conditions de vie, y compris en augmentant les dépenses dans le domaine des logements sociaux et en intensifiant la lutte contre la corruption, l’agitation a continué à couver durant la nuit de mercredi à jeudi.

Un policier a été tué mercredi soir quand sa voiture s’est renversée au cours de tentatives pour disperser une manifestation à Firyanah, une petite ville proche de la frontière algérienne.

Après cet accident, les manifestants se sont retournés contre le policier et lui ont jeté des pierres, d’après un communiqué de presse du porte-parole du ministère de l’Intérieur, Walid al-Waqini.

Plus de 200 manifestants ont été soignés à l’hôpital pour inhalation de gaz lacrymogènes et autres blessures, bien que mercredi soir le ministère de l’Intérieur ait nié avoir fait usage de balles en caoutchouc pour disperser les manifestations.

Des pneus brûlent dans la rue au cours d’une manifestation anti-gouvernementale à Kasserine (AFP)

Des manifestations dans tout le pays

Les manifestations anti-gouvernementales se sont propagées dans tout le pays mardi et mercredi, après celles qui avaient commencé samedi dans l’une des provinces les plus pauvres de la Tunisie.

De violentes manifestations avaient éclaté dans la province occidentale de Kasserine suite à la mort d’un jeune chômeur diplômé d’université – Ridha Yahyaoui, d’après les sources locales.

Yahyaoui était monté sur un poteau télégraphique et avait menacé de se suicider après avoir appris qu’on avait enlevé son nom d’une liste de candidats à l’emploi.

Il s’était empêtré dans les fils électriques au sommet du poteau et s’était électrocuté, selon le reportage du site d’actualités Tunisia Live.

Mercredi, le quatrième jour des protestations, la police tunisienne a dispersé des centaines de manifestants dans la ville à l’aide de gaz lacrymogène et de canons à eau.

Les manifestants s’étaient attroupés devant les bâtiments du gouvernement local pour exiger une solution au chômage dramatique dans la région, avant de se diriger vers le centre-ville, tandis que de petits groupes édifiaient des barrages routiers avec des pneus enflammés.

Des témoins affirment que les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau et qu’ils ont tiré en l’air alors qu’ils étaient assaillis par des lanceurs de pierres.

Abdelghani Chaabani, directeur des autorités sanitaires locales, rapporte que huit policiers ont été blessés à Kasserine, ainsi que 11 autres dans la ville voisine de Thala, un jour après les affrontements de mardi au cours desquels 20 manifestants et trois policiers avaient été légèrement blessés.

La mort de Yahyaoui a attisé la colère face à la pauvreté chronique et au manque d’opportunités, et nombreux sont ceux qui ont établi un parallèle avec la mort de Mohamed Bouazizi, le vendeur de légumes qui s’était immolé par le feu en 2010 après avoir été harcelé par un fonctionnaire municipal.

La mort de Bouazizi avait déclenché des manifestations qui s’étaient répandues dans tout le pays, avaient entrainé le renversement du président Zine el-Abidine Ben Ali et avaient inspiré des soulèvements dans toute la région.

Un homme s’immole par le feu

Mercredi après-midi à Sfax, une ville côtière du sud-est du pays, un homme s’est suicidé en s’immolant par le feu, faisant encore une fois écho au soulèvement de 2011.

L’homme – dont l’identité n’a pas été révélée – a mis le feu à lui-même et à sa voiture dans le port de la ville, après confiscation de sa marchandise par la police qui le soupçonnait de revente de contrebande.

Son décès est survenu après la mort de Yahyaoui à Kasserine, qui avait déclenché quatre jours de violentes manifestations. L’hôpital local avait traité 246 personnes suite à l’inhalation de gaz lacrymogène.

Dix-neuf représentants des forces de l’ordre ont également été blessés à Kasserine, d’après la station de radio locale Jawhara FM.

Les protestations se sont propagées aux villes proches de Kasserine ainsi qu’à la capitale, distante de 280 kilomètres, où les manifestants sont descendus dans les rues mercredi pour la deuxième journée consécutive, aux cris de « Travail, liberté, dignité ».

Les manifestants ont aussi brûlé des pneus et barré des routes menant à la capitale, selon Jawhara FM.

On rapporte que des bureaux appartenant au parti au pouvoir, Nadaa Tounes, ont été incendiés par des protestataires durant la nuit de mardi, malgré la mise en place d’un couvre-feu.

Le Conseil des ministres tunisiens a organisé mercredi une réunion d’urgence pour discuter de la crise, à laquelle participait le gouverneur de la province de Kasserine, al-Shadali Bouillaq.

Le Premier ministre tunisien Habib Essid n’a cependant pas assisté à cette réunion.

Des milliers de Tunisiens se sont rassemblés la semaine dernière pour commémorer le cinquième anniversaire de la révolution de 2011.

Un jeune homme qui assistait à la cérémonie à Tunis a déclaré à Middle East Eye que beaucoup de gens éprouvaient un « désenchantement » par rapport au souvenir de la révolution.

« La Tunisie doit encore sortir de la stagnation qu’elle a connue pendant les 23 ans du régime de Ben Ali. Il se passe des choses frustrantes dans les domaines politique, économique et sécuritaire. »

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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