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La minorité amazighe lutte pour sa renaissance au milieu du chaos libyen

Malgré les progrès réalisés depuis 2011, la plus importante des minorités libyennes lutte toujours pour ses revendications les plus élémentaires
Les Amazighs manifestent pour leurs droits depuis la chute de Kadhafi en 2011 (MEE/Karlos Zurutuza)

GIADO, Libye – Bien que le Conseil suprême amazigh ne lutte pas pour prendre le pouvoir à travers le pays déchiré par la guerre, s’il devait y avoir un quatrième gouvernement en Libye, ce serait ici, dans son cossu quartier général de trois étages, à l’ouest de Tripoli.

Financé par la communauté amazighe de Libye, le bâtiment abrite le conseil qui gouverne les zones principales de la plus importante minorité libyenne. Mais, plus important encore, il procure un sentiment d'unité aux Amazighs, habitants indigènes d’Afrique du Nord, dont la population s’étend de la côte atlantique du Maroc à la rive ouest du Nil, en Égypte.

« Nous sommes accusés de séparatisme depuis l’époque de Kadhafi et les gouvernements d’après-guerre ont maintenu le même discours »

- Emhemed Bentalab, Conseil suprême amazigh

Selon des estimations non officielles, le nombre d’Amazighs en Libye est estimé à près de 600 000, soit environ 10 % de la population totale.

Après des années de discrimination et de répression sous l’ancien dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, le groupe a, au cours des sept dernières années, acquis reconnaissance et droits, et s’est organisé.

Pourtant, même après ces victoires, les Amazighs luttent encore pour se protéger et conserver leur territoire, qui s’étend de l’enclave côtière de Zouara, à 100 km à l’ouest de Tripoli, jusqu’aux djebel Nefoussa, au sud-ouest de la capitale.

Comme ils contrôlent les deux points de passage frontaliers vers la Tunisie, ils sont régulièrement attaqués par des forces loyales à Tripoli ou à Tobrouk. Pas plus tard que la semaine dernière, des forces loyales au gouvernement (soutenu par l’ONU) ont lancé une attaque contre des combattants amazighs à Zouara.

Ils se battent toujours également pour obtenir leurs droits linguistiques : les projets de Constitution libyenne, en cours de révision, n’ont montré aucun signe de reconnaissance du tamazight, la langue amazighe. Au début du mois, un activiste amazigh a été enlevé par des forces loyales au gouvernement oriental de Tobrouk, et accusé d’espionnage pour avoir utilisé cette langue.

Mais le Conseil poursuit ses activités en rassemblant des membres de la communauté amazighe lors de réunions au siège de Tripoli.

« Nous avons acheté cet immeuble grâce aux dons privés de notre propre peuple », explique Emhemed Bentalab, vice-président du Conseil à Middle East Eye, tandis qu’il déambule dans les pièces, plongées dans le noir après une nouvelle coupure de courant.

Des Libyennes brandissent leur nouveau drapeau national ainsi que le drapeau berbère lors d’un festival amazigh à Tripoli, en 2011

Le principal organe politique amazigh compte 26 membres exécutifs – tous élus pour représenter les régions à prédominance amazighe –répartis par groupes de trois : un maire et deux autres représentants élus, un homme et une femme.

Ils se réunissent lorsque – et si – les conditions de sécurité leur permettent de se déplacer depuis leurs régions. Zouara constitue l’une de ces régions, mais leur principale place forte se trouve dans djebel Nefoussa.

Selon Bentalab, les Amazighs de Libye sont accusés de séparatisme depuis l’époque de Kadhafi, et la Libye d’après-guerre ne leur semble guère plus favorable.

Selon l’ONG Minority Rights Group International, la Libye s’est cette année classée au 11e rang de la liste de pays où « certaines populations sont menacées », juste derrière la Birmanie. La Syrie occupe la première place.

Bentalab reprend sans ambiguïté les « revendications les plus élémentaires » de cette minorité.

« Dans cet environnement changeant en Libye, toutes les options sont sur la table, dont l’autonomie. L’autodétermination est l’un des droits de notre peuple, clairement énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones », souligne-t-il.

Une langue longtemps interdite

Malgré les changements importants apportés récemment à la promotion des droits des Amazighs en Libye, de nombreux membres de la communauté gardent à l’esprit le passé récent.

Dans le cadre de la « révolution culturelle » de Kadhafi, lancée à partir du Zouara en 1973, les Amazighs ont été identifiés comme des Arabes, et leur langue comme « un simple dialecte ». Les appellations non arabes ont été interdites, les organisations amazighes également, et toute personne impliquée dans le renouveau culturel de l’amazigh était poursuivie. 

C’est seulement lorsque Kadhafi a perdu le contrôle de la Libye, au printemps 2011, que les premières écoles et publications en langue tamazight, langue amazighe longtemps clandestine, ont fait leur apparition dans les villages amazighs.

Au cours des six dernières années, des livres pour l’école amazighe ont peu à peu été publiés et le tamazight est devenu une langue enseignée dans les écoles primaires, et même dans les universités.

Au début de ces initiatives, le manque d’enseignants amazighs en Libye a contraint Nafaa Malti, chef du département de tamazight de l’Université de Zouara, à faire appel à des enseignants amazighs d’Algérie et du Maroc.

Or, selon Malti, la bureaucratie a constitué le plus grand obstacle à l’établissement de cette nouvelle fondation. 

« Personne ne semble comprendre l’importance de l’éducation, mais nous, nous en sommes convaincus »

- Nafaa Malti, Université de Zouara

J’ai passé huit mois à essayer d’obtenir le soutien nécessaire auprès de 32 personnes parmi les autorités, pour nous permettre de lancer le nouveau département. Après cela, j’ai dû obtenir l’approbation du ministre de l’Éducation et même du grand mufti de Libye », se souvient Malti.

Malgré ces obstacles, admet-il, nos efforts ont été récompensés.

« Le reste du pays est trop préoccupé de ses luttes intestines. Personne ne semble comprendre l’importance de l’éducation, mais nous en sommes convaincus ».

Une communauté ibadite

La place principale de Zouara, à 15 minutes à pied de l’Université de Zouara, a été construite pendant l’occupation italienne (1910-1947) et les habitants l’appellent encore simplement « la piazza ».

Autour de cette place, se trouvent un hôtel, plusieurs épiceries, un marché de rue et une mosquée – le cœur de la communauté ibadite sur la côte libyenne.

Écoliers amazighs à Giado, dans le djebel Nefoussa (MEE/Karlos Zurutuza)

Bien que la plupart des musulmans en Libye appartiennent à la tradition sunnite malékite, les Amazighs de Libye appartiennent à la branche ibadite de l’islam, qui aurait été fondée avant le schisme entre chiites et sunnites, mais largement marginalisée sous Kadhafi.

Juste à côté de la mosquée, les portes de l’Association des études ibadites Abdurrahman Elouali sont ouvertes à quiconque s’intéresse à l’ibadisme.

De sa bibliothèque, le cheikh Abdulaziz, co-fondateur de l’association, affirme faire partie des nombreux cheikhs ibadites emprisonnés sous Kadhafi.

En août dernier, le Comité suprême des fatwas de Libye, la branche religieuse du gouvernement oriental libyen, a publié une fatwa qui qualifiait les ibadites de « groupe dévoyé et aberrant » et d’« infidèles sans dignité ».

« Il se trouve que nous avons reçu le soutien de plusieurs intellectuels ainsi que de hauts dirigeants sunnites, ce qui joue donc en notre faveur »

- Issa Nobar, Association ibadite de Zouara

Bien que cheikh Issa Nobar, également membre de l’Association ibadite de Zouara, estime que la fatwa était plus politique que religieuse, elle a eu un effet inattendu.

« Il se trouve que nous avons reçu le soutien de plusieurs intellectuels ainsi que de hauts dirigeants sunnites, ce qui joue donc en notre faveur », relève Nobar.

Valérie Hoffman, professeur d’études islamiques à l’Université de l’Illinois et spécialiste de la communauté ibadite, souligne une dualité contradictoire mais positive.

« En théorie, nous pourrions dire que l’ibadisme est une vision rigoureuse et conservatrice de l’islam mais, en pratique, ils ont été historiquement très tolérants », explique l’universitaire à MEE. « Tout acte d’hostilité est réservé à un seul type de personne : le dirigeant injuste qui refuse de s’amender ou de renoncer à son pouvoir ».

Or, Zouara est une ville côtière dans une zone sablonneuse plate. Sans falaises escarpées pour protéger les populations locales – en particulier contre les partisans de Kadhafi qui vivent dans les villages voisins – leur sécurité est menacée.

Africain et fier

La route directe entre Zouara, sur la côte, et la forteresse amazighe dans le djebel Nefoussa, passe par plusieurs postes de contrôle, tenus par des milices rivales.

Il existe aussi une autre route, plus sûre, qui traverse la Tunisie et retourne en Libye, traverse la frontière Dehiba-Wazzin pour ensuite prendre le chemin des montagnes.

À LIRE : Libye : la communauté amazighe fait revivre sa langue, bannie sous Kadhafi

C’est pourquoi en novembre dernier, Fathi Benkhlifa s’est senti rassuré lorsqu’il a finalement remarqué la signalisation trilingue – en tamazight, anglais et arabe – indiquant son retour aux frontières de Giado, l’un des plus grands villages amazighs du Nefoussa.

Le célèbre dissident amazigh libyen et président du Congrès mondial amazigh se trouvait à Giado pour obtenir le soutien d’un nouveau parti politique amazigh-touareg, avant les élections locales prévues pour la fin de l’année.

Des milliers de personnes s’étaient rassemblées le 18 novembre à Oubari, région principalement touarègue, lorsque Benkhlifa et d’autres fondateurs du parti ont célébré le lancement du parti, appelé Libo.

Cela entraîna alors une cascade de réactions de la part des rivaux politiques potentiels. Lors d’un entretien accordé à la chaîne jordanienne 218 TV, Mahmoud Jibril, Premier ministre par intérim de la Libye en 2011, a accusé Benkhlifa d’« essayer de faire de la Libye un pays africain ».

Cheikhs ibadites devant leur centre culturel, à Zouara (MEE/Karlos Zurutuza)

Pourtant, Benkhlifa, leader du Libo, s’empressa de déclarer : « La Libye est un pays africain ».

« Nous devons rappeler à nos compatriotes libyens que, quelle que soit notre langue, nous sommes un pays d’Afrique du Nord, pas un État du Golfe ».

- Fathi Ben Khalifa, chef du parti Libo

Alors qu’il ralliait des soutiens à Giado, Benkhlifa a déclaré au conseil municipal que le parti – qui, selon lui, porte le nom d’une tribu amazighe – était depuis 2013 prêt à se présenter aux élections, mais que les conditions d’un changement politique « n’étaient pas idéales ».

Le programme de Libo se consacre à promouvoir la laïcité, « pour contrecarrer la croissance de l’islam radical », l’égalité des sexes et les droits des minorités.

Le nom du parti est écrit en tamazight, en arabe et en tobou – langue des tribus vivant dans la région traversée par les frontières de la Libye, du Tchad et du Niger.

« Nous devons rappeler à nos compatriotes libyens que, quelle que soit notre langue, nous sommes un pays d’Afrique du Nord, pas un État du Golfe », a déclaré Benkhlifa.

Alors qu’il concluait son discours, les questions des participants ont été nombreuses, certains exprimant une certaine méfiance à l’égard du parti et de son chef.

« Est-il vrai que vous êtes allé en Israël ? » demanda l’un des participants.

La vue sur la vallée depuis Giado, dans le djebel Nefoussa (MEE/Karlos Zurutuza)

« Oui, et aussi au Japon, et dans bien d’autres endroits », répondit Benkhlifa.

Étant donné le soutien que certains des trois gouvernements de la Libye reçoivent des puissances régionales, y compris l’Arabie saoudite et le Qatar, un autre membre de l’auditoire a demandé : « Qui vous soutient ? ».

Benkhlifa a insisté sur le fait que le parti ne recevait aucun soutien de l’étranger. Toutes les milices, partis et plateformes médiatiques libyens... sont soutenus de l’extérieur – sauf nous », a-t-il déclaré avant d’expliquer : « Pourquoi ? Simplement parce qu’on n’est pas prêts à se faire acheter, ni à vendre notre pays ».

Traduction de l’anglais (original) de Dominique Macabies.

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