Les EAU menaceraient de déstabiliser la Tunisie qui n’agirait pas dans leur intérêt
Les Émirats arabes unis ont menacé de déstabiliser la Tunisie, préoccupés par le fait que les dirigeants tunisiens ne servent pas les intérêts d’Abou Dhabi, a indiqué une source tunisienne à Middle East Eye.
Début novembre, des responsables algériens ont averti leurs homologues tunisiens d’un plan émirati visant à s’ingérer dans leur pays, a déclaré la source, dirigeant d’un parti politique tunisien ayant souhaité rester anonyme.
« L’État algérien a clairement averti que les Émirats cherchent à interférer avec la sécurité tunisienne, a affirmé la source. Ils [les Algériens] ont été très clairs et ont assuré qu’ils [les Émirats arabes unis] pourraient tenter de déstabiliser la Tunisie dans l’état actuel des choses. »
La source tunisienne a précisé que le message leur a été communiqué par une « source proche du palais » en Algérie.
À l’ambassade algérienne à Londres, personne n’était disponible pour commenter ces allégations.
La source tunisienne a expliqué que des responsables des Émirats s’étaient rapprochés de l’Algérie, estimant que les deux pays autocratiques avaient un intérêt commun dans la gestion de l’évolution de la Tunisie vers un État démocratique suite au renversement du dirigeant Zine el-Abidine Ben Ali en 2011.
Cependant, après le remplacement récent du chef de longue date des services de renseignement algériens, les priorités politiques ont évolué à Alger.
L’Algérie s’emploie désormais à sécuriser ses frontières, en particulier celle avec la Libye, où le militantisme s’est développé et où le groupe État islamique a émergé au milieu d’une guerre civile qui continue de laisser le pays sans gouvernement central opérationnel.
Cette attention nouvelle portée sur la stabilité a poussé les responsables algériens à informer Tunis du complot émirati présumé visant à déstabiliser un État déjà fragile.
Plusieurs milliers de Tunisiens ont rejoint l’État islamique, tandis qu’une série d’attentats très médiatisés à travers le pays ont été revendiqués par le groupe cette année.
Dix-sept touristes et deux Tunisiens ont été tués en mars par des hommes armés qui ont attaqué le musée du Bardo de Tunis, situé à proximité du parlement.
En juin, 38 touristes ont été tués lors d’une attaque perpétrée par des hommes armés dans la station balnéaire de Sousse, sur la côte méditerranéenne de la Tunisie, qui a poussé le président Béji Caïd Essebsi à prévenir que le pays était au bord de l’effondrement.
Depuis que l’Algérie a mis en garde la Tunisie quant à l’ingérence potentielle des Émiratis le 9 novembre, un autre attentat s’est produit dans la capitale tunisienne. Le 24 novembre, 14 personnes ont été tuées par un kamikaze qui s’est fait exploser dans un bus dans le centre de Tunis.
Bien que l’État islamique ait revendiqué l’attaque du bus et malgré l’absence de preuves indiquant le contraire, la source tunisienne qui s’est exprimée pour MEE a fait part de son inquiétude quant à l’existence d’un lien entre l’attentat-suicide et le complot de déstabilisation émirati qui menacerait le pays.
La Tunisie a fermé sa frontière avec la Libye pendant quinze jours depuis l’attentat-suicide de Tunis, le pays ayant affirmé que les explosifs venaient de Libye et que les assaillants avaient été formés dans leur pays voisin riche en pétrole mais ravagé par la guerre.
Des rumeurs d’ingérence politique émiratie en Tunisie ont circulé plus tôt cette année lorsque Soufiane Ben Farhat, journaliste local qui affirme être un proche confident du président Essebsi, a indiqué que les Émirats arabes unis avaient essayé de faire en sorte que le président prenne le pouvoir à Ennahdha, parti tunisien considéré comme étant en lien avec les Frères musulmans égyptiens.
Farhat a déclaré que les Émirats arabes unis avaient proposé à Essebsi de lui apporter des fonds s’il répétait « le scénario égyptien », en référence au soutien financier d’Abou Dhabi au coup d’État militaire survenu en 2013 au Caire, lors duquel le président élu Mohamed Morsi avait été remplacé par le chef militaire Abdel Fattah al-Sissi.
Cette proposition, qui a été rejetée, aurait été formulée avant l’élection d’Essebsi en tant que premier président librement élu de la Tunisie en décembre 2014, alors qu’Ennahdha dominait l’équilibre du pouvoir au parlement de Tunis.
Le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane est largement considéré comme l’architecte de la politique intérieure et régionale agressive de son pays à l’égard des Frères musulmans, un groupe classé terroriste aux Émirats arabes anis.
Le refus du président Essebsi de coopérer avec les Émirats aurait poussé Abou Dhabi à faire preuve de suspicion à l’égard de Nidaa Tounes, son parti au pouvoir, selon la source tunisienne de Middle East Eye. Les Émirats souhaiteraient désormais remplacer les dirigeants tunisiens par un autre leader qui serait plus favorable aux intérêts émiratis, a ajouté la source, sans préciser si Abou Dhabi préfère un remplacement par voie civile ou militaire.
« Les Émirats estiment que la Tunisie n’est pas disposée à suivre leurs plans, pas seulement Ennahdha, mais aussi tous les acteurs étatiques [y compris Nidaa Tounes et le président Essebsi] », a-t-il affirmé.
« Les Émirats continueront de poursuivre des méthodes de déstabilisation car ils pensent être intouchables : ils ont la fortune pour projeter leur puissance sans crainte dans la mesure où tout le monde, y compris l’Europe, est tributaire de leur argent. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].