Aller au contenu principal

Les Faucons du Désert : une équipe de football bédouine joue envers et contre tout

L’équipe composée de jeunes hommes issus de cinq camps bédouins a vu ses rêves se réaliser et aspire à jouer contre l’équipe nationale palestinienne
L’équipe de football des Faucons du Désert (Michaela Whitton/MEE)

Chaque samedi soir dans la ville palestinienne de Beit Sahour, des projecteurs illuminent un terrain de rêves.

Ni les conditions météorologiques extrêmes, ni l’oppression israélienne n’ont dissuadé les jeunes footballeurs pleins d’espoirs de l’équipe des Faucons du Désert de parcourir la Palestine occupée pour pratiquer leur sport de prédilection. Malgré leur combat pour leur existence même et les obstacles que la plupart d’entre nous ne pouvons qu’imaginer, l’équipe composée de dix-sept Bédouins Jahalin n’a jamais manqué une séance d’entraînement.

Yamen Elabed, un guide touristique palestinien, organise des visites alternatives en Cisjordanie. Lorsqu’il emmène des groupes à Jéricho, l’homme âgé de 37 ans les retrouve près de Maale Adumim, la troisième plus grande colonie israélienne en Palestine. Cette ville de 40 000 habitants au paysage extravagant, considérée comme la colonie qui a anéanti la solution à deux États, se trouve au cœur du projet E1 du gouvernement israélien.

Ce projet de construction controversé vise à relier Maale Adumim et Jérusalem par un couloir de colonies entouré par le mur de séparation. La poursuite du développement de cette artère principale entre le nord et le sud de la Cisjordanie contribuera à éradiquer toute continuité territoriale palestinienne.

Avant le départ des visites proposées par Yamen, les visiteurs ont la possibilité de voir la colonie de près tandis que le guide explique comment l’expansionnisme israélien dévaste les communautés bédouines locales tant physiquement que psychologiquement. Les participants découvrent le village de Khan al-Ahmar, où,  à deux pas de l’opulence de Maale Adumim, 250 personnes gagnent à peinent de quoi vivre, et se retrouvent sans eau courante, ni électricité, ni accès aux soins de santé.

« Nous ne voulons pas d’ordinateurs, nous voulons jouer au football »

Après avoir mené une vie semi-nomade pendant plusieurs centaines d’années dans le désert du Néguev, les Bédouins Jahalin sont devenus des réfugiés suite à la création de l’État d’Israël en 1948. Plus grande tribu en exil dans la Cisjordanie actuelle, les Jahalin entretiennent depuis plus de 60 ans une lutte pour leurs droits fondamentaux à la périphérie de Jérusalem.

Il y a deux ans, l’un des groupes de Yamen Elabed a demandé à visiter Khan al-Ahmar, lors d’une journée qui allait tout changer. Après avoir passé trois heures avec les familles bédouines, une participante a été tellement émue qu’elle a voulu faire plus pour leur venir en aide.

Après avoir entrevu les panneaux solaires du camp, plus tard confisqués par Israël, cette juive américaine a fait la proposition généreuse de fournir des ordinateurs aux familles. Yamen a rapporté cette proposition aux Jahalin et a souri en racontant leur réaction. « C’est la meilleure… Ils ont dit : ‘Nous ne voulons pas d’ordinateurs, nous voulons jouer au football !’ »

Le guide touristique savait qu’il devait faire preuve de créativité pour trouver des moyens pour permettre à l’équipe de jouer. Si un terrain était construit dans le camp, cela n’aurait été qu’une question de temps avant que les colons ou les autorités israéliennes ne l’aient détruit. Il s’est ainsi mis à organiser le transport, la mise à disposition d’un car ainsi que des entraînements réguliers.

Certains des enfants jouaient au football par intermittence depuis plusieurs années, mais une série de fausses promesses faites par des individus et des organisations a éveillé en eux des sentiments mitigés quant à cette nouvelle aventure.

Yamen était également anxieux à l’idée de prendre cette responsabilité avant que Jane Lewis, la mécène de l’équipe, ne le rassure. « Elle a affirmé qu’elle continuerait de les soutenir jusqu’à sa mort, même si elle devait faire des heures supplémentaires ou frapper aux portes pour récolter de l’argent », a-t-il raconté, ajoutant que cette activiste de longue date, qui est profondément engagée dans sa relation avec la Palestine, continue d’assumer à elle seule la responsabilité de la collecte de fonds pour l’équipe.

Une fois rassuré par la sponsor, Yamen a fait venir des joueurs des cinq camps Bédouins Jahalin. Il a décrit en riant ce qui est arrivé ensuite : « Deux bus avec 40 enfants sont arrivés ! Je pensais que c’était une plaisanterie ! », s’est-il exclamé.

Les jeunes joueurs bédouins de l’équipe de football des Faucons du Désert s’entraînent jour et nuit (MEE/Michaela Whitton)

Après avoir réduit l’équipe aux vingt meilleurs joueurs, il a acheté des chaussures pour ceux qui n’ont pas été retenus afin qu’ils aillent s’entraîner. La nouvelle équipe a commencé l’entraînement : les Faucons du Désert sont nés.

Au bout de trois mois, les joueurs étaient prêts pour la compétition. Yamen a donc passé quelques appels et organisé leur premier match. Au cours de l’été 2015, ils ont participé à trois tournois, terminant cinquièmes à la Coupe du Ramadan de Bethléem. Alors qu’il accueillait un groupe de touristes ougandais, Yamen Elabed a remarqué que certains d’entre eux portaient des maillots de football, ce qui lui a donné une idée.

« Je leur ai dit que cela aurait été formidable qu’ils viennent affronter mon équipe », a-t-il raconté. « C’étaient des étudiants et ils n’avaient pas d’argent, donc je leur ai envoyé un moyen de transport et j’ai acheté des médailles et des coupes. C’était un grand jour et cela l’a été encore plus parce que les Faucons du Désert les ont battus 5 buts à 3 ! »

Conscient que les dépenses augmenteraient à mesure que l’équipe allait devenir plus performante, Yamen s’était préparé. « Je tiens vraiment à eux. L’occupation les détruit de plus en plus. J’espère qu’ils deviendront un jour des stars et qu’ils joueront contre une équipe israélienne, qui sait ? »

« J’ai hâte que le samedi arrive »

Grand et mince, Mohammed, un jeune homme de 17 ans fan de Ronaldo, est le joueur le plus prometteur de l’équipe. Issu de l’équipe de jeunes de Jéricho, il est encore à l’école et rêve de devenir professionnel. « Les Faucons du Désert sont vraiment une bonne chose, c’est un rêve pour nous. Nous n’arrivons toujours pas à croire que nous avons une équipe et qu’elle est aussi performante », a-t-il confié.

« J’ai hâte que le samedi arrive pour pouvoir jouer. »

Mohammed s’exerce à ses nouveaux talents après l’école trois fois par semaine, malgré la pression et la déshumanisation venant des colons israéliens. « Nous sommes inébranlables », a-t-il affirmé.

« Je pensais que j’avais pris ma retraite et que je n’allais plus jamais rejouer au football », a confié Mohammed, 40 ans, sportif accompli et entraîneur de l’équipe. Après avoir intégré son premier club à 14 ans, il a ensuite joué pour l’une des meilleures équipes de Bethléem et a remporté trois fois le marathon de Palestine.

« Quand je l’ai rencontré l’année dernière, il avait l’air plus vieux qu’aujourd’hui », a ajouté Yamen, le guide, provoquant les rires des deux hommes. « Maintenant, il a l’air jeune. »

Empli d’admiration pour l’équipe, Mohammed a expliqué qu’il pouvait se voir à travers les joueurs. Décrivant une forte amélioration de leurs capacités depuis les débuts de l’équipe, il a ajouté qu’ils joueraient tous les jours s’ils le pouvaient. Cette année, il souhaite les voir jouer un tournoi par mois. « Au départ, ils ne communiquaient pas entre eux, mais maintenant, ils jouent comme une famille, comme une équipe à proprement parler », a-t-il surenchéri.

Tout en insistant sur le fait que l’occupation israélienne affecte l’ensemble du sport en Palestine, Mohammed a précisé qu’il ne fallait pas aller loin pour voir la différence avec ceux qui peuvent se déplacer librement.

« Regardez la Jordanie : ses équipes jouent en Europe et dans d’autres pays. Ils progressent de plus en plus et ont un salaire. En Palestine, ils travaillent puis jouent au football le soir et sont fatigués à la fin de la journée. Nous venons tous sur le terrain après avoir travaillé », a-t-il expliqué.

Lorsqu’on lui a demandé si les Faucons du Désert étaient confrontés à des défis différents de ceux des autres équipes palestiniennes, Mohammed a souri, avant de raconter que les joueurs ont été surpris de jouer sur de l’herbe à la place de la terre. « Ils n’arrivaient pas non plus à croire qu’il y avait des lumières », a-t-il dit en riant. « Dans le désert, ils doivent rentrer chez eux quand il fait sombre, alors qu’ici, nous pouvons jouer tard grâce aux lumières. »

Il a ajouté que son équipe prenait le jeu au sérieux, tout comme lui. « Je sens que j’ai affaire à des hommes [...] Je peux en faire des stars, mais cela prendra un certain temps. »

« Ils ont apporté quelque chose de bien dans ma vie, cela ressemble à un rêve pour moi aussi », a-t-il ajouté.

« Nous voulons être comme tout le monde »

« Nous voulons être comme tout le monde », a soutenu Ahmed, supporter du Real Madrid. « Des gens intelligents et instruits. Nous sommes bédouins, mais nous voulons avoir les mêmes possibilités que les autres. »

Cet adolescent de seize ans, qui joue pour le plaisir depuis l’âge de six ans, est ravi d’avoir l’occasion de jouer au football dans une structure organisée et souhaite jouer un jour contre l’équipe nationale palestinienne. Son rêve est de devenir joueur professionnel et avocat pour défendre son peuple face à l’occupation. « Pourquoi ne pourrais-je pas faire les deux ? », a-t-il demandé en souriant.

« Ils [Israël] veulent détruire notre école et nous soumettre à une forte pression. Ils viennent la nuit quand dormons et nous réveillent. Ils essaient de nous rendre malheureux pour que nous partions. »

Interrogé sur ce qu’il aimerait dire au monde à propos de la Palestine, Ahmed s’est exprimé en toute franchise. « À ceux qui ne connaissent pas les Bédouins ou la Palestine, je voudrais dire que nous sommes des gens pacifiques et instruits. Nous voulons que le monde se penche sur la question de la Palestine, et pas seulement sur celle des Bédouins. Nous voulons que justice soit faite pour l’ensemble de la Palestine. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].