Les femmes sont toujours négligées dans le processus crucial du maintien de la paix, selon une étude
WASHINGTON DC – Les Nations unies ont voté la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur le rôle joué par les femmes dans la paix et la sécurité avant l’effondrement du World Trade Center à New York, avant les attentats du 7 juillet 2005 à Londres, avant que Boko Haram n’ait brutalement kidnappé 276 adolescentes dans leur école, avant la guerre civile en Syrie et l’invasion russe en Ukraine. Aujourd’hui, 16 ans plus tard, plusieurs experts avertissent que le fait de négliger la participation essentielle des femmes au processus de maintien de la paix pourrait avoir de graves conséquences dans la région MENA.
L’héritage de la résolution et ses quatre éléments principaux – protection, participation, maintien de la paix et prévention des conflits – ont fait l’objet d’une étude récente publiée par l'Institut des États-Unis pour la paix (USIP) et d’un panel de discussion au siège de l’organisation à Washington au début du mois de mai, intitulé de façon provocante : « Faut-il continuer à essayer de promouvoir les femmes dans le MENA ? »
Sanam Naraghi-Anderlini, cofondatrice et directrice exécutive d’International Civil Society Network, a signalé qu’une recrudescence de la violence à l’égard des femmes est souvent un signe avant-coureur d’une escalade de la violence en général. « Pendant les 16 ans où j’ai fait partie de la commission sur la condition de la femme à l’ONU, nous avons été confrontés au problème de l’extrémisme sous toutes ses formes – avec des islamistes, des évangéliques, des catholiques, pour n’en citer que quelques-uns », a-t-elle affirmé.
« Et si cela appartient au domaine religieux, on établit un rapport avec Dieu. Donc c’est Dieu qui donne son approbation », a expliqué Sanam Naraghi-Anderlini à Middle East Eye. « C’est un phénomène très puissant et le problème, c’est qu’il se manifeste d’abord à l’encontre des femmes, des minorités, des minorités sexuelles. Et à ce propos, de notre côté du monde, nous nous contentons de dire “C’est leur culture“. Nous ignorons ce phénomène, nous l’ignorons complètement. »
Si rien n’est fait pour les contrôler, ces signes avant-coureurs d’extrémisme deviennent un problème mondial. Mais c’est seulement une fois que l’extrémisme a conduit au terrorisme que la communauté internationale intervient, a constaté Sanam Naraghi-Anderlini.
La violence à l’encontre des femmes
Sarah Yerkes, une chercheuse invitée au Centre pour la politique au Moyen-Orient du Brookings Institute à Washington, et ancienne fonctionnaire au département d’État pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, a déclaré à MEE que si l’on faisait abstraction de leurs idéologies, les principales organisations extrémistes et terroristes partageaient la même stratégie, qui consiste à utiliser la violence à l’encontre des femmes comme moyen de répression.
« De nos jours, si l’on observe l’essor de l’EI et de Boko Haram, ils se démarquent vraiment par des agressions horribles et à grande échelle contre des femmes et des jeunes filles, et c’est quelque chose qui devrait mobiliser la communauté internationale », a souligné Sarah Yerkes. « Nous affirmons que cela suffit et qu’il faut y mettre un terme, mais la question que l’on peut se poser est “pourquoi?” . Pourquoi l’enlèvement de centaines d'adolescentes par Boko Haram constitue-t-il un outil efficace, et quelle opinion ces terroristes se font-ils donc de la communauté internationale pour estimer que ce genre d’action est efficace ? »
Les hommes jouent un rôle crucial pour faire avancer la cause des femmes dans le contexte du maintien de la paix, bien qu’ils soient nombreux dans la région MENA à se sentir mal à l’aise quand la discussion aborde les « problèmes de parité » ou de « droits des femmes ». Les membres du panel ont affirmé qu’examiner l’impact de la violence sur la vie des hommes, des familles et des communautés se révèlent plus constructif.
Le Dr Paula Rayman, co-auteur du rapport et directrice du Centre du Moyen-Orient pour la paix, le développement et la culture à l’université du Massachusetts-Lowell, a insisté : « Les femmes comme les hommes doivent être invitées à garantir la paix et la sécurité. Sinon, c’est une approche déséquilibrée. »
Aux États-Unis, trois organismes participent à la mise en œuvre d’un plan d’action national concernant la place des femmes dans la paix et la sécurité : le ministère de la Défense, l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et le département d’État. Stephenie Foster, conseillère principale et avocate pour le Bureau des questions relatives aux femmes dans le monde au département d’État , affirme que la résolution lui a procuré, ainsi qu’à ses collègues, un cadre pour reconsidérer leur mission diplomatique.
« Quand nous organisons des réunions pour le secrétaire d’État Kerry ou le président Obama, nous nous demandons : “Avons-nous invité des femmes à ce meeting ? Et qui sont ces femmes ? ” », a-t-elle commenté. « Est-ce que nous les estimons capables de parler des expériences vécues par les femmes non seulement en tant que victimes, mais aussi en tant qu’intervenantes, en tant que femmes capables de résoudre des problèmes, et qui ont contribué à résoudre tous les problèmes auxquels elles ont été confrontées, pas seulement dans des pays en guerre, mais aussi dans des pays en situation précaire – n’importe où, en fait. »
Certains critiques ont affirmé que les États-Unis devraient jouer un rôle accru dans le domaine de la défense des droits de l’homme – et surtout des droits des femmes – dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, mais Sarah Yerkes est convaincue qu’une approche plus subtile de la part des États-Unis peut être plus efficace.
La carotte au lieu du bâton
« C’est à nous (d’encourager l’égalité entre les sexes), mais ce n’est pas nécessairement notre priorité, et je ne pense pas que cela doive le devenir », a affirmé Sarah Yerkes à MEE. « C’est quelque chose que nous pouvons continuer à promouvoir, mais par le biais d’une conversation diplomatique plutôt qu’en le posant comme condition préalable à toute aide, car cette stratégie aboutit rarement en ce qui concerne les droits de l’homme dans la région. »
« Agiter la carotte plutôt que le bâton, par exemple en applaudissant des pays comme la Tunisie quand ils font des progrès, est une tactique qui réussit mieux qu’une dénonciation publique », a insisté Sarah Yerkes.
L’idée de faire participer des femmes s’étend, au-delà du cadre des réunions diplomatiques, jusque sur le terrain, où la pénurie de femmes à des postes de décision entraîne des conséquences désastreuses et cela au sein même de l’ONU, cette vénérable institution actuellement en proie à de nombreux scandales.
« Nous avons toujours le problème de certains soldats servant sous le drapeau des Nations unies qui sont impliqués dans l’exploitation sexuelle de petites filles et de femmes sur le terrain. D’où l’importance de la présence de femmes au sein des forces de maintien de la paix, pour y mettre un terme », a expliqué Sanam Naraghi-Anderlini. « Parce qu’il n'y a rien de pire que d’envoyer les Nations unies là-bas avec leur drapeau… et que leurs soldats abusent des petites filles de six ans en République centrafricaine. »
Sans entrer dans des considérations subtiles pour établir quand, comment et à quel titre les femmes peuvent participer au processus de maintien de la paix, l’ambassadeur Steve Steiner, conseiller pour la parité entre les sexes à l’USIP, a affirmé que la façon dont un pays aborde la question des droits de ses femmes envoie un message éloquent au reste du monde.
« Un pays qui ne valorise pas la moitié de sa population, et particulièrement les femmes, politiquement, économiquement et socialement, » a-t-il déclaré, « ne sera jamais un pays prospère et paisible. »
Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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