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Les railleries marocaines anti-Sissi alimentent une querelle avec l’Egypte

Le Sahara occidental pourrait être l’élément clé d’une tension croissante, exacerbée par la télévision, entre deux pays africains qui entretiennent généralement de bonnes relations commerciales.
Capture d'écran d'un reportage de la télévision marocaine accusant le président égyptien Sissi d’avoir lancé un « coup d’Etat militaire» (capture d’écran YouTube).
Par MEE
Les relations entre l'Egypte et le Maroc ont empiré après que la télévision publique marocaine a qualifié la prise du pouvoir par le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi en 2013 de « coup d'Etat militaire ».
 
Il s’agit d’un reportage de quatre minutes diffusé jeudi dernier par la chaîne publique marocaine 2M, s’en prenant de manière cinglante au président Al-Sissi et le décrivant comme un « meneur de coup d'Etat » qui « a renversé le président élu Mohamed Morsi ».
 
Le gouvernement actuel de l'Egypte a pris le pouvoir en juillet 2013 sous la direction de Al-Sissi, alors ministre de la Défense, suite à ce que ses partisans ont insisté à présenter comme un soulèvement populaire contre la gouvernance des Frères musulmans et du président Morsi élu un peu plus d'un an auparavant.
 
Al-Sissi est officiellement devenu président en juin 2014 suite à l’annonce des résultats le désignant gagnant par 96,1% des voix. A l'annonce des résultats, le roi Mohammed VI du Maroc avait alors félicité Al-Sissi pour sa victoire écrasante.
 
Cependant, le reportage télévisé diffusé jeudi par la télévision publique marocaine est venu remettre en question la légitimité du scrutin, évoquant une certaine « réticence » de la part des Egyptiens à se rendre aux urnes lors de ladite élection.
 
 « La commission électorale a estimé que le taux de participation était d'environ 47%, ce qui signifie que plus de 25 millions de personnes n’ont pas pris part à cette décision ».
 
Ce reportage est le dernier en date dans ce qui a été considéré comme une querelle médiatique croissante entre les deux pays nord-africains, qui entretiennent généralement de bonnes relations diplomatiques et commerciales.
 
En juillet 2014, une présentatrice égyptienne avait provoqué un tollé en affirmant que le Maroc prospérait grâce à « l’économie de la prostitution », l'accusant d'avoir l'un des taux de VIH les plus élevés au monde. Ses commentaires enflammés sont intervenus au cours d’un reportage dans lequel elle critiquait fortement un message envoyé par Khaled Mechaal, chef du parti Hamas palestinien, au peuple du Maroc.
 
Plus récemment, une présentatrice égyptienne de la chaîne populaire satellitaire MBC, propriété de Dubaï, a également provoqué un tollé en qualifiant le Maroc de terre de « sorcellerie ».
 
Le roi du Maroc a par ailleurs fait l’objet de critiques de la part des médias égyptiens ces derniers jours à la suite d’une visite d'Etat en Turquie pour célébrer le nouvel an.
 
Plusieurs stations égyptiennes avaient alors attiré l'attention sur l’aspect luxueux du voyage, le roi Mohammed ayant atterri à Istanbul dans un convoi de cinq avions. Le site d’informations égyptien Hespress avait aussi été le premier à signaler que le roi s’était trouvé contraint de payer une amende de stationnement car les autorités turques avaient refusé de croire qu'il était le chef d’Etat marocain.
 
Les diplomates marocains ont accusé ces reportages télévisés de creuser le fossé entre les deux pays. L’un d’eux, qui a demandé à garder l’anonymat, a confié vendredi à l'agence de presse turque Anadolu que le reportage anti-Sissi diffusé sur la télévision publique marocaine était une réponse à une récente vague d’« allégations offensantes de la part des médias égyptiens » contre Rabat.
 
« Récemment, certains médias égyptiens ont diffusé une série de reportages offensants pour Rabat et le peuple marocain », a déclaré le diplomate de haut rang. « Ce n’est pas un événement isolé. Cela s’est produit à plusieurs reprises, l’incident le plus récent étant la couverture médiatique de la visite du roi du Maroc à Istanbul », a-t-il ajouté.
 
Le Sahara occidental au cœur de la querelle ?
 
Cependant, un autre diplomate marocain, qui a également demandé à garder l’anonymat, a déclaré qu’une possible coordination entre l'Egypte et l'Algérie sur la question du Sahara occidental était à l’origine de la querelle.
 
Le Maroc revendique le territoire contesté du Sahara occidental comme le sien. Cependant, la population autochtone du Sahara occidental, représentée par le front Polisario, milite pour le droit à l'autodétermination.
 
Le 15 décembre, une délégation égyptienne s’était déplacée à Alger pour participer à une conférence à laquelle avait également assisté le front Polisario, gouvernement de facto du Sahara occidental. Selon le responsable marocain, la présence de la délégation égyptienne à ladite conférence de la semaine dernière a « irrité Rabat ».
 
Les diplomates égyptiens n’ont encore donné aucune indication quant aux raisons pour lesquelles la crise aurait éclaté aujourd'hui. L’éminent politicien et analyste politique Mustafa Bakri a, quant à lui, nié l’existence d’une querelle diplomatique.
 
S’exprimant sur la chaîne satellitaire égyptienne, Bakri a en revanche accusé les Frères musulmans d’avoir « piraté » la télévision marocaine et fabriqué le reportage anti-Sissi. « Bien sûr, nous savons que les Frères musulmans ont infiltré de nombreuses stations, y compris certaines ici [en Egypte] ».
 
Les diplomates des deux côtés s’activent dans une tentative visant à mettre fin à la confrontation. Un responsable égyptien a déclaré que l'ambassadeur de son pays à Rabat, Ahmed Ihab, avait été chargé d'exercer « tous les efforts nécessaires […] pour étouffer la crise dans l'œuf ».
 
« Si ces efforts n’aboutissent pas, le ministre des Affaires étrangères [Sameh Choukri] se rendra à Rabat pour accomplir le travail », a ajouté le diplomate.
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