EN IMAGES : Neuf mois après l’explosion du port, Beyrouth rend hommage à ses disparus
Brady The Black est un street artiste américain basé au Liban depuis maintenant six ans, spécialisé dans les collages muraux que l’on peut apercevoir un peu partout au Liban. L’idée de dessiner et afficher les visages des victimes de l’explosion du 4 août à Beyrouth était pour lui comme une évidence, sa manière de leur rendre hommage.
C’est dans les locaux du collectif d’artistes Art Of Change, dans la capitale libanaise, que ce projet a vu le jour et que Brady a dessiné et préparé minutieusement durant trois mois chacun des 204 portraits des victimes, se basant sur les photos rendues publiques ou trouvées sur les réseaux sociaux. (Photos : MEE/Florient Zwein)
Sous un soleil de plomb et munis de pinceaux et de colle, une trentaine de volontaires ont répondu présent ce mardi à l’appel lancé par Brady sur les réseaux sociaux. L’action devait être secrète mais l’impact efficace. L’endroit est donc bien choisi, au cœur de Beyrouth, entre le port encore détruit et la place des Martyrs, haut lieu de la contestation au Liban. Tandis que les volontaires se divisent en petits groupes et s’affairent, une à une, les premières affiches commencent à se dérouler sur les murs de la ville.
Parmi ces volontaires, Luka, un jeune garçon de 6 ans venu avec ses deux sœurs et sa mère. Parmi les portraits qu’il colle, celui de Sahar Fares. Sahar était une secouriste paramédicale et faisait partie de la première équipe à intervenir sur le port le 4 août. Âgée de 27 ans, elle devait se marier cette année au Liban. Considérée comme l’une des toutes premières victimes de l’explosion, son sourire et sa joie de vivre, ainsi que cette jeunesse forte qu’elle incarnait, ont fait de Sahar un des symboles des victimes de l’explosion.
Parmi les plus jeunes victimes, le visage angélique et radieux de la petite Alexandra est lui aussi devenu, dès les premiers jours, un des visages marquants de ce jour tragique. Lors de l’épisode contestataire initié en octobre 2019, Alexandra était de toutes les manifestations place des Martyrs avec ses parents. Les photos d’elle sur les épaules de son père avec le drapeau libanais ont fait de cette petite fille un des symboles non seulement de l’explosion mais également de ce que les Libanais surnomment leur « révolution ». À ses côtés, une des 67 silhouettes noires représentant le visage de celles ou de ceux toujours portés disparus ou dont aucune photo ne figure à ce jour.
Au milieu de tous ces visages, celui du petit Isaac, plus jeune victime du 4 août. Assis dans sa chaise haute au moment de l’explosion, il décèdera quelques heures plus tard. Le symbole d’une enfance volée, d’un petit garçon parti trop tôt, d’un sourire qui s’en est allé et de souvenirs qui resteront à jamais gravés dans la mémoire de ses parents. À un âge si jeune on ne meurt pas, on perd la vie. Ses parents, eux, vivront à jamais dans le deuil de leur fils disparu. Le petit Isaac aurait dû fêter ses 3 ans en ce 4 mai.
Tout comme Sahar Fares, Rami Kaaki faisait partie de la première équipe à arriver sur les lieux le 4 août. Les pompiers de la caserne de Karantina, située à environ 500 mètres du port, ont été les premiers à être envoyés sur place, n’ayant aucune idée de ce qui les attendait. Ils ont été envoyés vers une mort quasi certaine et sont tombés en accomplissant leur devoir, ils sont morts en héros de la nation libanaise et leurs portraits sont toujours affichés à l’entrée de la caserne des pompiers de Karantina. Dix d’entre eux, dont Sahar et Rami, sont morts lorsque les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé au port de Beyrouth. Enceinte au moment de l’explosion, la femme de Rami Kaaki a donné naissance à leur bébé le 27 février 2021.
« They Matter. » Ils importent. C’est avec ce hashtag que Brady a voulu rendre hommage à toutes ces personnes. En effet, bien plus qu’une démarche artistique, c’est avant tout d’un hommage qu’il s’agit, mais également d’un message adressé aux gouvernants libanais, accusés de ne se soucier ni des victimes de l’explosion, ni de leurs familles, ni même des sinistrés – 300 000 personnes sont devenues sans abris à la suite de l’explosion et, à ce jour, plusieurs dizaines de milliers d’entre elles n’ont toujours pas été relogées, tandis que tout le travail de reconstruction jusqu’à aujourd’hui n’a été effectué que par des ONG. « They Matter », un hashtag rendu populaire par les manifestations afro-américaines à la suite de la mort de Georges Floyd aux États-Unis et devenu mondial depuis.
C’est aujourd’hui à même les murs de Beyrouth que les visages de ces victimes sont désormais affichés. Tel un mémorial situé à une centaine de mètres de la place des Martyrs, au cœur de la capitale libanaise, leurs visages sont là pour ne pas être oubliés, pour honorer leur mémoire, pour que chaque Libanais puisse s’y rendre librement et pour exiger des comptes de la part des responsables de cette catastrophe. Alors que neuf mois se sont déjà écoulés depuis ce tragique jour d’août 2020, aucune justice n’a été rendue à ce jour et le chemin pour l’obtenir s’annonce encore très long.
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