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Libye : Saïf al-Islam peut-il revenir au pouvoir ?

Une nouvelle fois, l’annonce de la libération du fils de Mouammar Kadhafi, samedi soir, fait frémir la Libye de rumeurs. En grande partie parce que son possible retour en politique nourrit tous les fantasmes
Saïf al-Islam avant son arrestation en 2011 (AFP)

« Ce qui se passe en Libye avec les Kadhafi, la Tunisie le vit aussi avec les Ben Ali. En situation de crise, les gens pensent que la situation antérieure était meilleure. » Pour autant, Rachid Khechana, directeur du Centre maghrébin d’étude sur la Libye (CMEL) à Tunis, ne croit pas à un retour de Saïf al-Islam au pouvoir en Libye.

« Les Libyens rejettent ce que représente sa famille. Saïf était presque le dauphin de son père. Il avait incarné, à travers sa fondation, une tentative de réforme en laquelle les Libyens avaient vu un nouveau système en gestation. Quand le père Kadhafi a enterré cette fondation, le désenchantement a été tel qu’il a contribué au soulèvement de 2011. Les Libyens n’ont pas oublié… »

Pourtant, samedi soir, la (nouvelle) annonce selon laquelle Saïf al-Islam, arrêté en 2011 par les milices formées d'anciens rebelles de Zintan et condamné à mort en 2015 à Tripoli par un gouvernement non reconnu, pour son rôle dans la répression meurtrière de la révolte de 2011, était libéré de prison, a immédiatement précédé des rumeurs sur son retour en politique.

« Nous avons décidé de libérer M. Saïf al-Islam Mouammar Kadhafi. Il est désormais libre et a quitté la ville », a annoncé samedi sur Facebook la brigade Abou Bakr al-Sadiq, un des groupes armés qui contrôlent la ville de Zintan, à 170 kilomètres au sud-ouest de Tripoli, où le fils cadet du dictateur déchu Mouammar Kadhafi était détenu.

Cette remise en liberté correspondrait, selon la brigade, à l’application d'une loi d'amnistie promulguée par les autorités libyennes non reconnues basées dans l'Est. Mais en juillet 2016, ses avocats avaient déjà annoncé la libération de Saïf al-Islam. Cette fois, Karim Khan, l'avocat du fils Kadhafi, a indiqué à l’AFP qu'il n'était « pas en mesure de confirmer ni de démentir ces informations ».

À LIRE : Libye : les kadhafistes de retour en scène

Restent, encore et toujours, les rumeurs, selon lesquelles, il se serait réfugié à El Beïda, dans l’est de la Libye.

En théorie, cette zone de repli est possible, pour Maryline Dumas, journaliste, plusieurs fois partie en Libye pour MEE. « Car c’est là que se trouve la famille de sa mère. Il est inenvisageable pour lui d’aller à Tripoli où il été condamné à mort en 2015, et où plusieurs brigades se feraient un plaisir de le remettre en prison. De manière générale, tout l’Ouest une zone compliquée pour Saïf al-Islam. »

Mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité

De l’avis d’un membre d’une famille proche de l’ancien régime contacté par MEE, « Saïf al-Islam n’a que deux options : l’Est, où se trouve sa famille – et si c’est le cas, on verra assez rapidement des changements en Libye – ou le Sud, vers Oubari ou Sebha, où se trouvent aussi de nombreux soutiens. »

Rachid Khechana croit plutôt à une formule « plus réaliste » de « liberté surveillée » à Zintan qui n’a « aucun intérêt à le perdre ». « Il y a des gens qui ont peut pour lui mais d’autres qui le voient comme un concurrent et qui voudraient s’en débarrasser », souligne-t-il en mettant en évidence la précarité de sa situation.

« S’il était à El Beïda, cela supposerait qu’il ait déjà conclu une alliance avec Haftar, ce qui me paraît précoce. »

Les fidèles de Mouammar Kadhafi sont présents un peu partout en Libye et auront leur mot à dire si un jour des élections étaient organisées (AFP)

Une situation d’autant plus précaire qu’il ne doit pas s’attendre non plus à un soutien international.

Même si en août 2016, l'ONU avait invité des kadhafistes historiques, dont un ancien président du Congrès du peuple (équivalent d'une assemblée législative sous la Jamahiriya) à s'exprimer lors de discussions sur une solution politique et économique à la crise, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé contre lui un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité en juin 2011. Elle l'accuse d'avoir joué un « rôle-clé dans la mise en œuvre d'un plan » conçu par son père visant à « réprimer par tous les moyens » le soulèvement populaire.

Avec ce mandat, tout déplacement à l’étranger sera très difficile.

« Mais si Saïf al-Islam veut jouer un rôle dans la Libye de demain, il restera dans son pays, où il dispose d’une base sociale suffisante pour l’accueillir et le protéger », souligne Rachid Khechana.

La solution pour Saïf al-Islam, nouer des alliances

Concrètement, le fils Kadhafi sait qu’il peut compter sur une partie des kadhafistes (ces derniers étant divisés à son sujet) présents un peu partout dans le pays, dans le parlement de Tobrouk (Est) et dans le gouvernement d’El Beïda, mais aussi en Tunisie ou en Égypte, sur les troupes de Zintan, et au Sud, sur quelques tribus toboues et surtout sur Ali Kana.

Cet ancien chef de l'armée de la zone sud sous Kadhafi, œuvre pour la constitution d'une armée du Fezzan (région méridionale de la Libye), dont l'effectif est difficile à chiffrer pour le moment. Ali Kana a d'ores et déjà annoncé que son groupe ne s'affilierait ni à Tripoli, ni à Tobrouk, mais seulement à un pouvoir qui reconnaîtrait la légitimité de la Jamahiriya.

En septembre 2015, l'autoproclamé Conseil suprême des tribus libyennes a d'ailleurs choisi Saïf al-Islam comme le représentant légitime du pays. Ce conseil rassemble essentiellement les tribus restées fidèles à Kadhafi et n'a pas de poids institutionnel mais la symbolique est forte.

À LIRE : Zintan : « Mais qu’est-ce que vous avez à toujours nous parler de Saïf al-Islam ? »

« Les kadhafistes représentent un des courants principaux de la vie politique en Libye, mais pas une force politique à même de gagner une élection », analyse Rachid Khechana. « Il est vrai que les symboles du régime sont présents dans différentes régions du pays et que si un jour, des élections étaient organisées, ils auraient leur mot à dire. Mais ils ne sont pas majoritaires face aux islamistes, aux dissidents de l’ancien régime comme Haftar, et aux libéraux [Mahmoud Djibril], qui sont prêts à leur barrer la route. »

Dans une salle à Tripoli, des journalistes assistent à l’interrogatoire par des juges de Saïf al-Islam, fils de Mouammar Kadhafi, le dirigeant libyen assassiné, diffusé en direct depuis la ville de Zintan, à l’ouest de la Libye, le 22 juin 2014 (AFP)

Une solution pour Saïf al-Islam serait donc de nouer des alliances.

« Les islamistes, qu’il a fait sortir de prison en 2006, pourraient se ranger à ses côtés », estime notre interlocuteur dont la famille était autrefois proche des Kadhafi. « Un rapprochement avec le Gouvernement d’union nationale [GNA] de Fayez al-Sarraj n’est pas non plus à exclure, surtout si les Algériens ou les Égyptiens font pression. Il est vrai que le GNA s’était opposé à l’amnistie à l’origine de la ‘’libération’’ de Saïf al-Islam, refusant qu’elle s’applique aux personnes accusées de crimes contre l'humanité. Mais s’il avait réellement été contre cette libération, il serait intervenu ».

Quant au maréchal Khalifa Haftar, il pourrait aussi constituer un allié de circonstance. « Voir à ses côtés Saïf al-Islam ne devrait pas le déranger tant que le fils Kadhafi ne cherche pas à le doubler. Et si cela peut lui permettre de peser davantage, il pourrait s’allier à lui », estime Maryline Dumas en soulignant qu’en Libye aujourd’hui, « tout est possible ».

C’est aussi l’avis de Rachid Khechana : « Haftar peut essayer de récupérer les kadhafistes contre les islamistes et Misrata, mais ils s’excluent mutuellement [chacun considérant avoir été trahi par l’autre]. Cela ne pourra donc être qu’une alliance provisoire. »

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