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À Montpellier, entre dégâts des eaux et ascenseurs en panne, la « tour Ouarzazate » attend sa destruction

Construite il y a cinquante ans, la tour Assas, dont la majorité des habitants sont aujourd’hui originaires du sud du Maroc, est la plus haute barre HLM de la région Occitanie. Mais d’ici à 2024, elle sera démolie
La tour d’Assas, aussi appelée « tour Ouarzazate », dans le quartier de la Paillade, à Montpellier (Tweeter)
Par Margaux Mazellier à MONTPELLIER, France

À vingt minutes du centre-ville de Montpellier, dans le quartier prioritaire de la Mosson (anciennement appelé la Paillade), s’érige la plus haute tour de la région Occitanie. Ce bloc de béton s’élève à 76 mètres, compte 22 étages et abritait, lorsqu’il était encore plein, pas moins de 800 habitants. 

« On doit laisser les volets fermés sinon on sent le vent passer autour des fenêtres »

- Khadidja, une habitante de la tour

Construite il y a cinquante ans, la tour a longtemps été baptisée « la tour de l’ONU » car elle était occupée par de nombreuses nationalités différentes. Aujourd’hui, la grande majorité de ses habitants sont originaires du sud du Maroc, ce qui lui a valu le nouveau surnom de « tour Ouarzazate ». 

Moisissures aux plafonds, ascenseurs en panne, systèmes d’alarme défectueux, fissures, dégât des eaux… Depuis plusieurs années, les habitants de la tour protestent contre l’insalubrité de l’immeuble et demandent à ce qu’il soit réhabilité.

Pendant l’été 2019, la ville de Montpellier a finalement annoncé que la tour serait démolie d’ici à 2024 pour laisser place au cours Mosson-Sud avec la création d’une halle collaborative et d’une cité artisanale. Aujourd’hui, une petite centaine de familles l’habitent encore.

Khadija, une jeune maman de deux enfants, vit avec son mari dans un F2 aux murs noirs et fissurés. « Il n’y a aucune isolation. On doit laisser les volets fermés sinon on sent le vent passer autour des fenêtres », raconte-t-elle à Middle East Eye.

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À côté d’elle, son amie Houria ajoute en riant : « Nous, on mettait des coussins entre la fenêtre et les volets pour atténuer le froid ». Et d’ajouter en chœur : « Et les dégâts des eaux usées, les souris, les fuites d’eau, les murs qui s’écaillent… »

Les deux amies se plaignent également des fréquentes pannes d’ascenseur qui les obligent à descendre du haut de la tour à pied. « Quand vous avez deux enfants, une poussette dans une main, des courses dans l’autre... je peux vous assurer que les vingt étages, ça fait très mal ! », lance Khadija. « Sans parler des bandes qui fument du shit toute la journée dans l’escalier… »

« On n’avait pas vraiment le choix »

Houria, originaire de la ville d’Errachidia, au sud du Maroc, a toujours vécu dans cette tour ou presque. Elle est arrivée ici à l’âge de 4 ans : « Mon père travaillait en France et nous a fait venir grâce au regroupement familial. »

Khadija, elle, est née dans le nord de la France. Ses deux parents, originaires eux aussi du sud du Maroc, sont arrivés dans la tour en 2012.

« Avant cela, on vivait dans un petit studio avec mon mari pas loin d’ici. On a fait une demande de logement social et on nous a proposé un F3 dans la tour. Quand on a vu le quartier et l’état de la tour, on a pris peur. Mais j’étais enceinte et on n’avait pas vraiment le choix », explique-t-elle à MEE.

Aujourd’hui, les conditions ont empiré : « Mon fils dort sur un matelas par terre parce qu’il n’y a pas d’espace pour mettre un autre lit. Avec les problèmes d’humidité, j’ai toujours peur qu’il tombe malade… »

L’insalubrité des lieux ne date donc pas d’hier. En 2009 déjà, le documentaire Le Village vertical, de la cinéaste Laure Pradal, soulevait les même problématiques. En 2015, une vingtaine d’habitantes, lassées d’attendre une amélioration de leurs conditions de vie, décident de se regrouper et forment le « collectif tour d’Assas ».

Les habitantes, accompagnées de leurs maris et de leurs enfants, commencent par manifester dans leur quartier et devant le bâtiment du bailleur social, l’ACM, situé quelques mètres plus loin.

Mais ça ne suffit pas : « Personne ne nous écoute ici, et l’ACM est hermétique, alors on a décidé d’aller jusqu’au centre-ville, sur la place de la Comédie. On a bloqué le tramway et on est allé jusqu’à la mairie. On voulait voir le maire, Philippe Saurel, en personne car il est aussi et surtout le directeur de l’ACM », témoigne à MEE l’une d’entre elles.  

Au bout de plusieurs mois, le collectif finit par avoir gain de cause. En septembre 2017, le maire de la ville annonce que la tour d’Assas est intégrée au programme ANRU 2 de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. « Nous avons ensuite rencontré le sous-préfet de l’Hérault qui s’est rendu sur place pour visiter les lieux. C’est à partir de là que les chose se sont accélérées et qu’on a a commencé à avoir davantage de propositions de relogement », se souvient Khadija. 

À ce jour, plus de la moitié des familles ont déjà été relogées. C’est le cas de Houria, qui vient tout juste d’emménager dans une petite maison à Malbosc, un quartier résidentiel  voisin. « Je suis tellement heureuse de pouvoir offrir ça à mes enfants. Ils ont un bout de jardin pour jouer, chacun une chambre et surtout une maison propre. Mais ça n’était pas donné, j’ai vraiment dû me battre pour l’obtenir », explique la jeune femme.

Plus de mixité sociale

Si les plus âgés, habitués aux lieux et à leurs petites habitudes, refusent de partir,  de nombreuses familles contestent les solutions de relogement proposées par le bailleur social.

Le collectif se plaint que, contrairement à leur demande pour plus de mixité sociale, les seules propositions de relogement se situent dans le quartier de la Mosson.

« Dès qu’ACM nous propose quelque chose, c’est toujours ici », lance Khadija, qui attend depuis plusieurs mois une proposition du bailleur social. « Les agences HLM ont des logements partout dans Montpellier. Pourquoi on ne nous propose que ça ? »

La jeune maman ne veut pas que ses enfants grandissent « seulement avec des Arabes »

La jeune maman ne veut pas que ses enfants grandissent « seulement avec des Arabes » : « Je ne veux pas qu’ils voient la différence culturelle et religieuse seulement à la télé ou en sortie scolaire, je veux qu’ils la côtoient au quotidien. Sans parler de l’insécurité dans le quartier, la délinquance, la drogue… »

« Quand on était petites, il y avait beaucoup plus de mixité », raconte encore Houria à MEE.

Un constat que fait également Mathieu Conte. Le journaliste travaille pour le média associatif KainaTV, situé à deux pas de la tour, et a lui aussi grandi dans ce quartier : « À l’école, les copains s’appelaient Jérémy, Nasserdine, Machkour… Il y avait même Alan, un Yougoslave. La mixité était réelle et c’était une véritable chance. Si aujourd’hui, un petit Pailladin n’est pas dans une classe de 24 Arabes, c’est qu’il a la chance de compter un Gitan parmi ses camarades. Et encore, il le perdra sans doute en arrivant au collège. Adulte, on lui reprochera de ne pas vouloir s’intégrer, ou de se replier sur lui-même », analyse-t-il dans un article publié sur le site de Mediapart.

En mars dernier, les associations montpelliéraines Les Ziconophages et Habiter Enfin !, qui avaient filmé l’engagement des habitants pour un habitat décent dans un documentaire diffusé en 2015 puis en 2017, ont organisé une réunion sur le parvis de la tour d’Assas pour faire le point sur les propositions de relogement.

« Les acceptations de relogement sur la Paillade se font sous la contrainte. La grande majorité des gens [75 %] veulent sortir de la Paillade pour des quartiers où il existe une mixité sociale, comme Malbosc, Juvignac ou Celleneuve », peut-on lire dans le compte rendu publié sur le site de l’association Les Ziconophages.

Contacté par nos soins, la mairie de Montpellier nous explique qu’elle « ne peut pas communiquer sur le sujet tant que le programme de l’ANRU 2 n’a pas été validé par le ministère à Paris ». 

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