Aller au contenu principal

Pizza au chameau : une Sahraouie livre des pizzas en Mercedes dans le désert

Une jeune entrepreneure d’un camp de réfugiés sahraouis en Algérie a ouvert la première pizzeria tenue exclusivement par des femmes
Hindu Mani est la première Sahraouie à avoir ouvert une pizzeria dans les camps de réfugiés sahraouis, à une cinquantaine de kilomètres de Tindouf, en Algérie (MEE/Eugenio G. Delgado)

TINDOUF, Algérie – Lorsque Hindu Mani, une réfugiée sahraouie de 26 ans, gare sa Mercedes blanche, tous les regards se braquent sur elle. Il est rare de voir des femmes conduire dans les camps de réfugiés sahraouis situés à une cinquantaine de kilomètres de Tindouf, en Algérie, mais ce n’est pas la raison pour laquelle Hindu Mani s’est fait connaître. Hindu, avec quatre employées, dirige la seule pizzeria sahraouie des camps.

Hindu Mani livre des pizzas avec sa Mercedes Benz blanche modèle 190 datant de 1989 dans le camp Awserd (MEE/Eugenio G. Delgado)

« J’ai pensé à ouvrir une pizzeria avec, depuis le départ, l’idée d’émanciper les jeunes femmes sahraouies qui n’ont pas eu la possibilité de finir leurs études ou de travailler », explique Hindu.

Selon elle, il est possible d’acheter dans le camp des pizzas préparées à Tindouf, mais ses pizzas à elle sont préparées dans son magasin et elle les sert chaudes, sortant à peine du four.

« Nos pizzas sont préparées sur le moment selon la demande, tout au long de la journée, de samedi à jeudi », précise-t-elle.

À LIRE : À la rencontre du réfugié sahraoui qui construit des maisons à partir de bouteilles en plastique

Alhassina Baba aide à cuire les pizzas dans la Pizzeria sahraouie d’Awserd (MEE/Eugenio G. Delgado)

Quelle est sa spécialité ? « La pizza au chameau. C’est une pizza sahraouie authentique qui contient de la viande de chameau, des tomates, des oignons, du fromage, du piment, des olives et des herbes aromatiques typiques du désert sahraoui », explique Hindu.

« C’est une pizza sahraouie authentique qui contient de la viande de chameau, des tomates, des oignons, du fromage, du piment, des olives et des herbes aromatiques typiques du désert sahraoui »

- Hindu Mani

Ali Omar, 18 ans, adore la pizza au chameau. « Elle a le goût de notre pays », déclare-t-il. « J’aime regarder le football à la télé dans la pizzeria. Il y a une bonne ambiance. »

Dans un environnement désertique où les divertissements sont rares, la Pizzeria sahraouie est devenue un lieu de rencontre pour les jeunes sahraouis et les employés des ONG qui viennent de différents pays européens, comme l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne ou la France.

La pizzeria a réussi à se faire une clientèle loyale, notamment en retransmettant des matchs de foot dans un environnement détendu et en offrant du wifi. Hindu songe même à agrandir sa pizzeria et à ajouter au menu du poulet frit et des shawarmas.

« Lorsqu’il y a un match de foot, c’est vraiment plein, nous envisageons donc de construire une terrasse, en utilisant des pneus de voiture pour faire des tables et des chaises », explique-t-elle.

Un client prend sa pizza au chameau dans la pizzeria d’Awserd (MEE/Eugenio G. Delgado)

Pour la volontaire espagnole Africa Sachez, 32 ans, qui travaille comme enseignante dans les camps de réfugiés pour une ONG espagnole, la pizzeria « est un endroit charmant pour se reposer et prendre une pause ».

Le service ne s’arrête pas là. Hindu est sûrement la seule femme en Algérie à livrer des pizzas à bord d’une Mercedes. « Je livre les pizzas à bord de ma Mercedes Benz », dit-elle avec fierté.

« Elle a le goût de notre pays »

- Ali Omar, réfugié sahraoui

Hindu fait partie des plus de 165 000 Sahraouis qui mènent une vie d’exil dans la zone entourant Tindouf depuis plus de 42 ans, après avoir fui les forces marocaines lors de la guerre du Sahara occidental. Ils attendent un referendum sur l’indépendance qui leur a été promis par les Nations unies lors de la signature d’un cessez-le-feu avec le Maroc en 1991, suite à la décolonisation ratée de l’Espagne en 1976.

« Nous ne devons pas nous laisser sombrer dans la négligence ou la frustration. Je pense que la pizzeria a aidé beaucoup de personnes à sortir de cette situation difficile et à les soulager de la souffrance que nous ressentons tous les jours », a déclaré Hindu.

« Nous, les réfugiés, vivons sur cette terre hostile depuis plus de 40 ans et il n’y a pas d’opportunités pour les jeunes. Juste rester ou émigrer », a-t-elle ajouté.

Gagnante de « Masterchef »

Hindu est née et a grandi dans les camps, mais elle a étudié en Algérie jusqu’à la fin du lycée. Après avoir souffert d’ulcères à l’estomac et de gastrites qui ont provoqué une anémie sévère, elle a décidé de retourner dans les camps pour être auprès de sa famille.

Hindu Mani possède la Pizzeria sahraouie dans le camp de réfugiés d’Awserd (MEE/Eugenio G. Delgado)

Elle a décidé de remettre à plus tard mariage et enfants pour se concentrer sur sa carrière professionnelle.

« Dans l’avenir, j’aimerais me marier et élever des enfants, mais je crois sincèrement que j’en suis à ce moment de ma vie où mes priorités sont différentes : penser à mon propre projet, ma carrière professionnelle et faire quelque chose pour mon peuple », explique-t-elle.

Née de sa volonté de promouvoir l’autonomie et l’entreprenariat des femmes, la pizzeria de Hindu a finalement ouvert ses portes en 2016 dans le camp de réfugiés d’Awserd.

« L’idée est venue de la nécessité, car il n’y a presque pas de travail pour les jeunes ici, et encore moins pour les femmes. Je voulais promouvoir l’indépendance des femmes qui travaillent, quoi qu’en pense la société », a expliqué Hindu.

Cela n’a pas été facile pour elle au départ. Beaucoup doutaient du fait qu’elle puisse diriger avec succès un commerce qui sert les clients jusqu’aux heures tardives de la nuit dans cette société conservatrice.

Certains Sahraouis lui ont conseillé d’abandonner, jurant « qu’ils ne mangeraient jamais une pizza car ce n’est même pas de la nourriture ».

« Je pense que la pizzeria a aidé beaucoup de personnes à sortir de cette situation difficile et à les soulager de la souffrance que nous ressentons tous les jours »

- Hindu Mani

Mais selon Hindu, les mots décourageants ont été bien moins nombreux que les messages d’encouragements et le soutien que beaucoup lui ont apporté lorsqu’elle a développé son projet.

« Mon plus grand soutien était définitivement mes parents, ils étaient toujours là pour m’encourager et m’aider à persévérer », se souvient la jeune entrepreneure sahraouie.

Hindu a toujours été passionnée par la cuisine. « Depuis l’âge de 5 ou 6 ans, je regarde des émissions télévisées [de cuisine], et si j’ai les ingrédients pour un plat, j’essaie de le faire à la maison. »

Hindu a remporté à l’âge de 19 ans la version sahraouie de la compétition Masterchef grâce à une pizza délicieuse.

Elle raconte que c’était en 2010, lorsque Ramón Palomo, un chef vénézuélien qui vit en Suisse, a organisé une compétition de cuisine dans un centre pour jeunes du camp, « juste pour s’amuser ».

Cela a encouragé Hindu à présenter un projet à l’UNHCR et à Oxfam, qui ont accepté de lui donner 1 000 euros pour préparer les locaux de son projet et acheter un four et d’autres ustensiles de cuisine.

« Je pense sincèrement que nous pouvons faire changer les choses »

Les employées de Hindu sont payées environ 90 dollars par mois (environ 80 euros). Cela peut paraître peu pour un Occidental, mais c’est bien plus élevé que le salaire moyen dans les camps. Par exemple, un professeur est payé environ 56 dollars (50 euros) tous les trois mois.

« L’idée est venue de la nécessité, car il n’y a presque pas de travail pour les jeunes ici, et encore moins pour les femmes »

- Hindu Mani

« Je pense qu’il est très important que les employées reçoivent des salaires décents et que leur travail soit bien payé », explique Hindu.

Alhassina Baba travaille avec Hindu dans la pizzeria. Diplômée du secondaire, la jeune femme de 23 ans n’a pas pu poursuivre des études supérieures pour raisons personnelles.

« Ma famille m’a toujours soutenue. Ils connaissaient le projet et ils ont pensé que ce serait bien que je fasse ma propre vie », confie Alhassina.

À 18 ans, Yaguta Himida est la plus jeune au sein de l’équipe. À cause des problèmes financiers rencontrés par sa famille, elle n’a pas pu non plus poursuivre ses études. « Je pense sincèrement que nous pouvons faire changer les choses », a-t-elle déclaré.

« Nous sommes les leaders du changement », a ajouté Hindu. « C’est un projet vital qui montre aux autres jeunes que, malgré l’adversité, il y a des alternatives et il est possible de se sentir utile et de tracer son propre projet de vie. »

Pour la dignité sahraouie

Hindu espère être un exemple pour de nombreuses femmes ayant l’esprit d’initiative. Plusieurs l’ont déjà approchée pour comprendre les tenants et aboutissants de la mise en place d’un commerce.

« Je ne veux pas que mon commerce soit une exception, et c’est pourquoi je prépare un cours pour toutes les filles qui sont intéressées, afin qu’elles puissent apprendre à monter leur affaire et aussi faire des pizzas », explique-t-elle.

Avoir une pizzeria dans l’un des camps n’est que le commencement de la vision de Hindu pour le futur : elle espère ouvrir une pizzeria dans chacun des quatre camps à proximité de Tindouf.

« Je veux ouvrir une pizzeria sahraouie dans chaque wilaya [camp de réfugié sahraoui]. »

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].