Pourquoi le Fatah rétablit-il les liens avec la Syrie d’Assad ?
La décision prise par le mouvement palestinien Fatah basé en Cisjordanie de rétablir officiellement les liens avec le gouvernement syrien, après trois décennies d'hostilité, a soulevé des questions parmi les observateurs en ce qui concerne la véritable motivation se cachant derrière l'offre de réconciliation.
Plus tôt ce mois-ci, un membre du comité central du Fatah, Abbas Zaki, a déclaré que le mouvement palestinien ouvrira bientôt des bureaux à Damas afin d'établir des « relations légitimes ».
Suite à un voyage effectué par Abbas Zaki dans la capitale syrienne, le responsable palestinien a déclaré que la réunion avec les représentants du président Bachar al-Assad était « réussie ».
Les relations entre le Fatah et Bachar al-Assad se sont améliorées depuis l'infiltration en avril de militants de l’organisation de l'Etat islamique (Daech) dans le camp de réfugiés de Yarmouk à Damas, que le gouvernement avait mis en état de siège rigoureux depuis 2012.
Abbas Zaki a salué le récent bombardement du camp par le gouvernement syrien, le comparant au « traitement d'un médecin qui cherche à enlever la partie viciée d'un corps ».
Avant l'invasion de Daech, le camp était essentiellement sous le contrôle des rebelles syriens et de groupes armés palestiniens hostiles à Assad. Cependant, des militants palestiniens pro-Assad, à savoir la Libération de la Palestine - Commandement général (FPLP-CG), avaient dirigé le camp avant 2012.
Abbas Zaki a indiqué qu'un accord a été conclu pour permettre l’approvisionnement en nourriture de Yarmouk assiégée, ajoutant que les deux tiers du camp restent sous contrôle.
Abbas Zaki aurait engagé des discussions avec le gouvernement syrien sur le sort des Palestiniens emprisonnés dans les geôles syriennes, dans un effort de médiation apparente, tout en adoptant le récit d’Assad de la lutte contre le « terrorisme ».
Avant la visite d’Abbas Zaki, Moussa al-Safdi, membre du Fatah, a annoncé que l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) soutient toute décision prise par le gouvernement d'Assad dans Yarmouk puisqu’elle la voit comme un problème syrien.
Moussa al-Safdi dit qu'il y a eu des voies de communication officielles entre l'OLP et le gouvernement syrien via l'ambassadeur palestinien à Damas, Mahmoud al-Khalidi, et le représentant du Fatah en Syrie, Samir al-Rifai.
« Accepté par Israël »
Il semblerait que l’initiative incarne un nouveau départ après d’âpres relations entre les deux parties.
Le gouvernement syrien avait systématiquement pris pour cible des membres de l'OLP et leurs familles au Liban, notamment durant les années 1970, quand un jour des milices chrétiennes ont détruit le camp de réfugiés palestiniens de Tel al-Zaatar – qui abritait quelque 50 000 personnes - avec le soutien de Hafez al-Assad.
En fait, selon des câbles diplomatiques américains de 1978 récemment publiés par Wikileaks « l’engagement syrien au Liban a été largement accepté par Israël, en raison de la tentative de la Syrie de limiter le pouvoir de l'OLP », a écrit Imogen Lambert.
Certains observateurs ont attribué le geste du Fatah à une tentative pour le mouvement de se présenter comme le parti qui peut aider les Palestiniens en détresse, mais dans le processus, il a accordé une légitimité inappropriée au gouvernement syrien.
« Bien avant l'entrée de Daech [dans le camp], les Palestiniens ont été assiégés, affamés et bombardés par le régime syrien », a déclaré à MEE Sharif Nashashibi, analyste du Moyen-Orient.
« Mais en tentant de glorifier son propre rôle, le Fatah a permis à Assad d’utiliser cyniquement la situation en se présentant à nouveau comme le champion de la cause palestinienne », a ajouté Sharif Nashashibi.
Sharif Nashashibi a également noté que le Fatah peut également chercher à renforcer son influence à l'intérieur du camp, qui - jusqu'à l’offensive de Daech - avait été dominé par le groupe palestinien Aknaf Bait al-Maqdis, connu pour être sympathisants du Hamas.
Cependant, d'autres analystes ont suggéré que le Fatah peut aussi être en concurrence avec l'influence des groupes palestiniens gauchistes, qui sont considérés comme les hommes de main d'Assad à Yarmouk.
« Le Fatah est aussi un rival du FPLP-CG, qui est puissant en Syrie, », a déclaré à MEE un observateur palestinien basé en Cisjordanie sous condition d'anonymat.
« Marquer des points »
Pendant ce temps, Abd al-Sattar Qasim, professeur à l'université Bier Ziet en Cisjordanie, estime que le but de la visite est de porter un coup symbolique au Hamas à Gaza, et a peu à voir avec la politique en Syrie.
« Il est question de marquer des points face à ses rivaux. Comme le Hamas a été accusé de soutenir l'opposition [syrienne], le Fatah a estimé qu'il doit soutenir l'autre côté, à savoir le régime [du président Bachar] al-Assad », a déclaré Abd al-Sattar Qasim à MEE.
Abd al-Sattar Qasim a souligné l'ironie d'un tel rétablissement de relations.
« L'OLP a été en désaccord avec le régime syrien depuis de nombreuses années. Abou Ammar [le défunt président palestinien Yasser Arafat] avait décrit le régime syrien comme étant « les sionistes des Arabes ».
« Au début de la crise syrienne, le Fatah a accusé le Commandement général (FPLP-CG) de soutenir le régime [d’Assad]. Mais maintenant, il a changé sa position. »
Mais Abd al-Sattar Qasim a souligné que le geste n’est pas une « nouvelle stratégie de l'OLP ».
« La décision ne serait pas appréciée par l'Arabie saoudite, qui soutient financièrement l'Autorité palestinienne », a-t-il remarqué.
« Je ne pense pas que les relations entre l'Autorité palestinienne et le régime syrien vont réellement s’améliorer. Ils resteront distants. L’Autorité palestinienne continuera de plaire aux Saoudiens afin que l'argent continue à couler. »
Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.
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