Report du scrutin législatif au Liban : la société civile se prépare à un nouveau coup de force
BEYROUTH – Huit ans après les dernières élections législatives et quelques mois après l’élection d’un nouveau chef d’État au terme de deux ans et demi de vacance présidentielle, le Liban semble se diriger vers une nouvelle paralysie politique en raison du report « technique » du scrutin législatif, faisant craindre une nouvelle mobilisation massive dans la rue.
Prévues initialement en mai, les élections parlementaires sont désormais reportées à septembre prochain, voire au-delà, si les partis locaux ne s’accordent pas sur une nouvelle loi électorale.
D’un point de vue constitutionnel, les élus, dont le mandat a déjà été autoprorogé à deux reprises depuis 2013 – une première dans l’histoire du pays –, devaient se mettre d’accord sur une nouvelle loi électorale et convoquer les collèges électoraux avant le 21 mars.
Cette échéance n’ayant pas été respectée, les élections ne peuvent plus avoir lieu à la date prévue, le délai minimal entre la convocation des électeurs et la tenue du scrutin s’élevant à 90 jours, selon la Constitution.
Loi électorale : entre intérêts politiciens et revendications sociales
Principale pomme de discorde à la veille de chaque échéance législative depuis la fin de la guerre civile, la loi électorale est au cœur des préoccupations, tactiques et alliances des partis politiques et des communautés religieuses, qui cherchent à maximiser leur représentativité au sein de toute nouvelle formule dans un pays où le pouvoir est encore partagé entre les confessions, avec en toile de fond le respect de la parité islamo-chrétienne.
Quand le Liban était sous tutelle syrienne, le découpage électoral était souvent taillé de manière à diluer la composante chrétienne de l’électorat – alors ouvertement opposée à l’ingérence de Damas – à travers des circonscriptions larges (« mohafazat », ou gouvernorat) dans les régions où celle-ci est minoritaire et des circonscriptions plus petites (« caza » ou district) ailleurs.
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Après le retrait des troupes de Damas, la loi dite de « 1960 » a été adoptée à deux reprises (scrutins de 2005 et 2009) dans le but d’améliorer la représentativité chrétienne. Cependant, cette loi désormais datée consacre le confessionnalisme, alors que la Constitution stipule une déconfessionnalisation progressive de la vie politique.
Autre enjeu de la réforme de la loi électorale : le mode de scrutin. Le vote majoritaire plurinominal et confessionnel en vigueur est en effet accusé d’empêcher certaines minorités (groupes laïcs, écologistes, etc.) d’arriver au pouvoir.
« Nous réclamons d’abord une loi proportionnelle avec des circonscriptions de dimensions moyennes [à mi-chemin entre mohafazat et caza] et que les députés ne soient plus élus selon leur appartenance communautaire », explique à MEE Elias Abou Mrad, l’un des fondateurs du parti Haraket al-Mouwatana (mouvement citoyenneté).
De fait, la proportionnelle constitue, selon plusieurs représentants de la société civile, un premier bout de chemin pour mettre un terme à la « prise en otage par des partis confessionnels » du pouvoir politique, comme le décrit Elias Abou Mrad.
Pour Wadih el Asmar, l’un des fondateurs du mouvement You Stink, « une loi garantissant une représentation équitable » constitue certes une priorité, mais celle-ci doit être accompagnée de « réformes susceptibles de limiter la fraude en introduisant le bulletin de vote unique et en plafonnant les dépenses électorales », tout en assurant une meilleure représentativité féminine « à travers un quota réservé aux femmes ».
Mais pour certains, ces réformes ne suffisent pas. Marwan Maalouf, avocat et membre du collectif Min ajil al-Joumhouriyya (Pour la République), un collectif ayant déjà organisé un sit-in protestataire devant le Conseil constitutionnel le 28 mars, estime que « les parlementaires doivent coûte que coûte rentrer chez eux après l’expiration de leur mandat le 20 juin, y compris si la classe politique se met d’accord sur une nouvelle loi électorale […] ».
En attendant, les propositions examinées par les partis locaux, à savoir la proportionnelle intégrale et le mode de scrutin mixte (combinant la proportionnelle et le vote majoritaire), font actuellement l'objet de vifs débats.
Le camp du président de la République et ses nouveaux alliés, notamment les Forces libanaises (FL), défendent la formule mixte, tandis que le Hezbollah affirme être en faveur de la proportionnelle intégrale, susceptible de lui garantir un plus grand nombre d’élus au sein de l’hémicycle.
En rangs unis ou dispersés ?
Face à ce bras de fer et aux perspectives d’un vide législatif, la société civile, structurée depuis la crise des déchets, à l’été 2015, en divers collectifs et qui a déjà mené plusieurs « batailles » contre le pouvoir – dont des manifestations de masse et une campagne électorale municipale largement réussie –, se prépare à mettre en marche une nouvelle dynamique de mobilisation.
« Nous ferons tout pour les empêcher de siéger encore au parlement après le 20 juin », martèle Marwan Maalouf. Il assure œuvrer pour une coordination avec les autres structures actives sur le terrain qui « partageant notre vision, à savoir le refus en premier lieu de l’inconstitutionnalité et de l’illégitimité totale d’une assemblée encore en place après la fin de son mandat ».
« Quand une grande manifestation sera nécessaire, on sera tous ensemble »
« Quand une grande manifestation sera nécessaire, on sera tous ensemble », promet également Wadih el Asmar, soucieux davantage de la loi électorale qui serait adoptée que des délais constitutionnels.
Après avoir réussi à mobiliser plus de 50 000 personnes au centre ville de Beyrouth en août 2015, la « société civile » est épinglée depuis quelque temps pour son action en rangs dispersés, laquelle aurait, selon certains, affaibli le momentum qui existait il y a deux ans.
Preuve d’un scepticisme croissant au sein de la population, le dernier appel à un rassemblement contre les mesures fiscales prises par le gouvernement n’a mobilisé que 5 000 personnes environ.
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