Un ministre et un prince saoudiens recherchés pour l’enlèvement présumé d’un prince réformateur
Deux éminentes personnalités saoudiennes sont recherchées pour interrogatoire par les procureurs suisses qui enquêtent sur l’enlèvement présumé d’un prince saoudien réformateur en 2003, selon les avocats de cette affaire.
Le prince Sultan ben Turki ben Abdelaziz al-Saoud affirme qu’il a été enlevé par cinq hommes masqués et emmené, inconscient et contre son gré, en Arabie saoudite le 12 juin 2003, après avoir été invité à assister à une réunion dans un palais à Collonge-Bellerive en Suisse.
Le mois dernier, le procureur de Genève a commencé à entendre les dépositions des témoins dans l’affaire, y compris de l’agent de sécurité et de son adjoint qui veillaient sur le prince le jour de l’enlèvement présumé. Ces dépositions n’ont cependant pas été divulguées par les procureurs suisses.
Dans une lettre au prince, qu’il a transmise à Middle East Eye, son avocat suisse Pierre de Preux a indiqué qu’une plainte pénale contre les deux hommes avait été déposée auprès des autorités suisses. Il s’agit du ministre saoudien des Affaires islamiques, Saleh ibn Abdul Aziz ibn Muhammad al-Cheikh, et du prince Abdelaziz ben Fahd ben Abdelaziz al-Saoud.
De Preux a déclaré que les procureurs chercheront à obtenir les dépositions des deux hommes et que le premier procureur de Genève Stéphane Grodecki organisera des entrevues, au cours desquelles les accusations à leur encontre leur seront notifiées et il leur sera indiqué si les preuves sont suffisantes pour poursuivre.
Aucune accusation formelle n’a été portée contre le prince Abdelaziz et Saleh al-Cheikh.
Malgré des demandes répétées, les fonctionnaires de l’ambassade saoudienne en Suisse et les responsables à Riyad n’ont pas souhaité s’exprimer sur la plainte des avocats du prince Sultan.
Le palais de Collonge-Bellerive a appartenu au père du prince Abdelaziz, le roi Fahd, qui a régné sur l’Arabie saoudite de 1982 à 2005. Le prince Abdelaziz est actuellement au Royaume-Uni, tandis que Saleh al-Cheikh serait en Arabie saoudite.
Les avocats des parties indiquent que les deux hommes pourraient être interrogés à Genève ou en Arabie saoudite, mais cela dépend de la bonne coopération internationale entre la Suisse et l’Arabie saoudite.
La lettre de Pierre de Preux précise que la plainte pénale fait état d’enlèvement aggravé et de blessures graves et mettant en danger la vie d’autrui, en vertu de divers articles du code pénal suisse.
« Un tas de questions »
S’adressant à Middle East Eye, l’avocat américain du plaignant, Clyde Bergstresser du cabinet Bergstresser & Pollock PC, a déclaré que l’affaire soulevait un tas de questions pour les autorités suisses.
« Il s’est passé beaucoup de choses sur le sol suisse qui devraient inquiéter les Suisses. De toute évidence, de nombreuses personnes semblent avoir été impliquées dans la planification de ce qui est arrivé », a-t-il dit.
« En Arabie saoudite, j’aimerais penser que le royaume […] aidera à trouver un moyen pour que le procureur, que ce soit en Suisse ou en Arabie saoudite, puisse interroger les défendeurs. »
L’affaire en cours devrait entendre également les témoignages des frères britannico-portugais, Joao et Eddie Ferreira, qui travaillaient pour le prince Sultan et séjournaient avec lui et son entourage dans le penthouse de l’hôtel Intercontinental de Genève au cours du mois précédant l’enlèvement.
Au moment de l’enlèvement présumé, le prince Sultan était en désaccord avec le reste de sa famille concernant son programme de réformes pour le royaume, qui venait d’être dévoilé. Depuis le début de l’année 2002, il avait à plusieurs reprises choqué l’establishment saoudien du fait de ses appels répétés à davantage de participation politique, de responsabilisation, de transparence et à une réforme judiciaire.
Puis, en mai 2003, au lieu de se soumettre et de modérer ses critiques comme on le lui avait demandé, le prince Sultan a annoncé qu’il tiendrait une conférence à Genève pour révéler les détails de la corruption existant au ministère de la Défense. Eddie Ferreira se souvient qu’à partir de ce moment-là, l’atmosphère autour du prince a semblé s’assombrir.
Ferreira, qui a travaillé comme chargé de communication du prince Sultan au moment de l’enlèvement présumé, a déclaré à MEE : « Sultan est un prince réformiste qui cherchait simplement à apporter quelques réformes. Il s’inquiétait pour le régime et sa longévité potentielle et il essayait de faire quelque chose de positif pour le pays, mais il était plutôt seul, dos au mur. »
« La réaction des membres de sa famille étaient définitivement négatives. Il avait reçu un certain soutien de princes et princesses de second plan, mais la plupart des princes haut-placés pensaient plutôt ‘’Qu’est-ce que tu fais ? Arrête de secouer le cocotier ! Cela ne se finira pas bien pour toi !’’ »
« Il y avait assurément des tensions. Il existait un certain nombre de menaces potentielles et la sécurité était accrue. »
Le prince disparu
« Je me souviens parfaitement de ce jour. Le prince est parti très tôt, vers 7 heures, et quand il est parti je lui ai fait transmettre un message par un de ses valets lui disant que j’espérais qu’il irait bien et que je le reverrais, alors que je venais d’avoir le pressentiment que ça ne serait plus le cas après ce jour. »
Lorsque Ferreira a terminé sa journée à midi, le prince avait disparu.
« Il n’y avait aucun appel, aucun signe, aucun message, rien. À 14 heures, je m’étais à peu près résigné au fait qu’il était parti. »
Plus tard ce jour-là, s’est souvenu Ferreira, des fonctionnaires de l’ambassade saoudienne sont venus au penthouse du prince et ont pris ses dossiers et d’autres documents dans des sacs.
Ferreira a rapporté qu’il avait été informé par ces fonctionnaires que le prince était à Riyad, qu’il devait emballer ses affaires et partir.
« Il est clair que quelqu’un quelque part a pensé qu’il représentait un danger réel et c’est pourquoi ils l’ont enlevé de cette manière.
« Ensuite, j’ai été payé en espèces… le même jour et c’est à ce moment que je suis parti. Pour autant que je sache, l’argent que j’ai reçu provenait des responsables de l’ambassade [saoudienne]. »
Cependant, lorsque le frère d’Eddie, Joao, a posé des questions sur le paiement de son salaire, il raconte avoir été convoqué dans une suite de l’hôtel par des fonctionnaires de l’ambassade, et qu’on lui a dit que le prince Sultan « n’était pas lui-même » et « ne s’était pas fait beaucoup d’amis ».
« J’ai répondu non ; de toute évidence, il semblerait qu’il ne s’est pas fait beaucoup d’amis, n’est-ce pas ? », a ajouté Joao Ferreira.
Les enquêteurs devraient également se concentrer sur la façon dont le prince Sultan aurait pu être emmené hors de Suisse contre sa volonté et sans alerter les autorités suisses.
Il n’a pas encore été confirmé que les autorités suisses étaient au courant du départ du prince. Une possibilité, envisagée par les enquêteurs, est qu’il a été sorti clandestinement grâce aux protocoles diplomatiques dans le cadre d’une délégation saoudienne en visite en Suisse à cette époque.
« Il y avait toute une flotte d’avions saoudiens stationnés à l’aéroport de Genève à cette époque. L’un d’eux disposait de tous les équipements médicaux nécessaires aux soins intensifs. Il appartenait à la Cour royale saoudienne, c’est-à-dire au gouvernement saoudien, et il avait été retenu à l’aéroport pendant plusieurs jours », a déclaré Eddie Ferreira.
« Ce qui a atterri à l’aéroport est un autre domaine qui est mûr pour enquête par le procureur », a déclaré Bergstresser, l’avocat américain du prince enlevé.
« Beaucoup de questions demeurent. Quels avions étaient là ? Qui les pilotait ? Quelles étaient leurs trajectoires de vol ? Quand sont-ils arrivés ? Combien venaient d’Arabie saoudite ? Combien de temps avant la visite du Prince Sultan ? Étaient-ils là avant son enlèvement ? »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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