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Un rabbin, trois jeunes musulmans et un minibus : un tour de France pour le dialogue

Une équipe interreligieuse sillonne la France pour construire des ponts entre musulmans et juifs de France

Le bus de l'amitié attire des foules curieuses partout où il se rend, y compris ici à Denain, en France (MEE/Kait Bolongaro)

DENAIN, France - Sur le trottoir du théâtre local, une foule se rassemble autour du rabbin Michel Serfaty et de son bus coloré.

Des slogans contre la discrimination, tels que « Nous nous ressemblons plus que vous le pensez », « Solidarité entre juifs et musulmans » et « J'ai rêvé de Dieu, elle était noire », couvrent le véhicule.

« Des gens ont essayé d’arracher les autocollants, mais ils sont toujours là, et nous aussi », lance malicieusement le rabbin Sefarty au public curieux.

Des vandales ont essayé de retirer les autocollants, en particulier celui de droite qui dit : « J'ai rêvé de Dieu, elle était noire » (MEE/Kait Bolongaro)

Le rabbin Serfaty est le directeur de l'association Amitié judéo-musulmane de France (AJMF). Depuis 2004, il a sillonné la France à dix reprises pour promouvoir la paix et le dialogue entre musulmans et juifs.

« Notre objectif est de faire naître l'amitié entre musulmans et juifs pour remplacer cette animosité qui s'est développée en France », explique l’homme, 73 ans.

Bien que la loi française interdise le recueil de statistiques en fonction de la religion, le nombre de juifs dans le pays est estimé à 500 000, pour 4,7 millions de musulmans – les plus grandes communautés des deux religions en Europe.

En dépit de leurs préjugés apparents les uns envers les autres, Michel Sefarty pense qu’en fait les membres des deux communautés ne savent que très peu les uns des autres.

Connexion Moyen-Orient - France

Du conflit israélo-palestinien à la guerre en Syrie, les décennies de conflits au Moyen-Orient ont eu des répercussions négatives sur les relations entre musulmans et juifs en France.

« Il est incompréhensible qu'il y ait autant de tensions entre les deux religions alors qu’elles ont tellement en commun », regrette le leader religieux.

Selon la DILCRA, l'agence gouvernementale de lutte contre le racisme, plus de deux attaques antisémites sont signalées chaque jour, soit un total de 806 incidents en 2015. En parallèle, la violence contre les musulmans a triplé : 425 agressions ont été rapportées en 2015 contre 133 en 2014.

Le rabbin Serfaty, né au Maroc, s’est lui-même fait agresser par un groupe de jeunes hommes en 2004 - en raison de son apparence juive, suppose-t-il. Depuis les attaques terroristes de janvier 2015 contre le magazine satirique Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Casher, un policier assure sa protection lors de tous ses déplacements.

Le rabbin Michel Sefarty (MEE/Kait Bolongaro)

Michel Serfaty affirme toutefois que l’essor du groupe État islamique (EI), avec les attaques qui s’en sont suivies sur le sol français, et le recrutement de jeunes musulmans du pays, ont aggravé l’hostilité entre les deux communautés. Alors que le nombre de Français faisant le voyage a chuté en 2016, 689 citoyens français se trouvent toujours dans le nord de la Syrie et en Irak, dont 275 femmes et 17 mineurs combattants.

« La France est confrontée à un énorme défi avec les djihadistes de retour au pays. Comment les réhabiliter et les réintégrer dans notre société ? Nous devons d’abord empêcher les jeunes de partir, ce que nous pouvons faire en travaillant dans leur quartier, les banlieues », assure le rabbin.

Porter le message dans la rue

Partout en France, les banlieues sont devenues synonymes de violence, trafic de drogue et extrémisme religieux. Selon l'INSEE, l'agence française de statistiques, les banlieues représentent aussi les quartiers les plus pauvres du pays, où vivent surtout des migrants et leurs enfants.

« Les banlieues sont les thermomètres de la France : quand le pays est à cran, elles sont les premières à exploser », affirme Michel Serfaty.

Avec le soutien du gouvernement français, l'AJMF a engagé trois jeunes musulmans pour travailler comme agents de proximité. Les jeunes sont de la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes, un projet de logement social souvent donné en exemple des problèmes sociaux auxquels sont confrontés les résidents des banlieues.

Karim Boussak, Hassane Bounabie et Oussama Messaoudi aident à diffuser un message de paix dans les quartiers en difficulté (MEE/Kait Bolongaro)

« Dès que quelque chose se passe au Moyen-Orient, en particulier entre Israël et la Palestine, il y a des manifestations violentes aux Tarterêts », relève Serfaty.

En ayant grandi aux Tarterêts, Karim Boussak a entendu des stéréotypes négatifs sur les juifs. Il raconte qu’au début, sa famille était préoccupée par son nouveau travail.

« Au début, ma famille et mes amis m'ont conseillé d'être prudent », raconte le jeune homme de 22 ans. « Aujourd’hui, ils sont fiers de moi et du travail que je fais. »

Le père d'Oussama Messaoudi a encouragé son fils à rejoindre l’AJMF. Originaire d'Algérie, le père Messaoudi déplore l'exode massif de ses amis juifs en Israël et en France dans les années 1960.

« Mon père a pleuré quand les juifs ont quitté l'Algérie. Il m'a appris à respecter tout le monde », confie le jeune homme de 24 ans.

Un passionné d'histoire qui se considère comme un musulman dévot, Hassane Bounabie a décidé de travailler avec l’AJMF pour enseigner aux autres les similitudes entre les deux religions.

« Depuis le Moyen-Âge, les musulmans et les juifs vivent en paix côte à côte, je ne pense pas que cela devrait changer maintenant », a-t-il affirmé.

Briser les stéréotypes

Selon la psychologue Mélanie Pejaras, les stéréotypes ont un impact négatif sur le développement personnel, en particulier chez les jeunes.

« Lorsque les adolescents apprennent des stéréotypes, cela influe sur leur façon de penser et sur leur comportement avec des personnes qui sont différentes d'eux », explique-t-elle. « Pour devenir des adultes tolérants, les jeunes doivent comprendre ce que sont les stéréotypes et comment ils fonctionnent dans notre société ».

Lorsqu'on lui demande ce que sa famille et ses amis pensent de son travail, Bounabie répond qu'il a connu des réactions positives et négatives.

« Les gens sont surpris quand ils nous voient [le rabbin Serfaty et moi] ensemble, mais on me dit souvent que je donne une bonne image des musulmans », explique le jeune homme de 25 ans.

Les stéréotypes sont aussi profondément enracinés chez les juifs français. Lorsque le bus de l'amitié s'arrête dans des quartiers à majorité juive, les habitants hésitent à parler au groupe.

« Les malentendus au sujet des musulmans – leur culture et leur croyance - n'ont fait qu’entretenir la peur, la méfiance et les soupçons au sujet de leur communauté », observe Serfaty.

Un jour, son équipe et lui ont rencontré à Paris un groupe de juifs hassidiques qui accusa le rabbin de ne pas comprendre les enseignements de la Torah. 

« Isaac et Ismaël étaient ennemis, donc les juifs et les musulmans se haïront à jamais », lui ont-ils dit.

Son but est d'ajouter de jeunes recrues juives à son équipe de sensibilisation communautaire. Mais un seul juif s’est jusqu’à présent porté candidat, par rapport aux dizaines de postulants musulmans motivés. 

Construire un avenir pacifique

De retour à Denain, une foule s'est rassemblée à l'intérieur du théâtre local. Organiser des événements tels que des conférences publiques, des tournois sportifs et des cours de cuisine est l'une des façons dont l'ONG espère inciter musulmans et juifs à participer à un dialogue constructif.

Le rabbin Serfaty parle de l'harmonie interconfessionnelle au public de Denain, France (MEE/Kait Bolongaro)

Pour Mehdi Ghalem, un travailleur social, assister à l'événement a été l'occasion de rencontrer un responsable religieux juif et d’en apprendre davantage sur le judaïsme.

« Je ne connais pas beaucoup de juifs, car n'y en a pas beaucoup à Denain », a-t-il expliqué. « En tant que musulman, je suis très fier de ces trois jeunes hommes qui sont des modèles positifs. »

Le message du groupe a touché Djalifa Brahimi, une musulmane de Denain, témoin de tensions interreligieuses au sein de sa propre famille. Son frère a épousé une juive, mais les parents des deux côtés désapprouvaient l'union.

« [Mon frère et sa femme] ont maintenant un magnifique garçon, mais au début, tout le monde n'acceptait pas leur décision », confie-t-elle. « Alors j'ai pleuré quand j'ai vu le rabbin Serfaty et ces jeunes musulmans ensemble à la télévision. »

Travailler ensemble pour protéger la paix en France

L'employé de l'AJMF, Bounabie, reste optimiste quant à la possibilité d'établir des relations positives entre musulmans et juifs.

« J'espère qu'un jour nous verrons plus de musulmans et de juifs marcher ensemble dans les rues », a-t-il déclaré. « Nous devons travailler ensemble pour protéger la paix en France, je crains que nous la perdions à cause de la vague d'attentats actuelle. »

Lorsqu’on l’interroge sur ses projets pour la retraite, le rabbin Serfaty explique qu'il a du mal à trouver un remplaçant, les nouvelles générations de rabbins et d'imams semblant plus réticentes à travailler ensemble.

« L'intolérance a planté ses griffes dans notre société », selon lui. « Je continuerai ce travail aussi longtemps que possible parce que j'ai peur de ce qui se passera si nous abandonnons. »

Ce projet donne l'espoir que la prochaine génération de leaders religieux travaille également ensemble pour bâtir des ponts entre juifs et musulmans en France.

Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.

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