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« Une attaque contre la souveraineté du Qatar » : les Qataris unis face au blocus

À Doha, dimanche dernier, des milliers de Qataris s’étaient réunis sur la corniche pour fêter l'Émir. Après plus de 115 jours de blocus, la population fait toujours front face à des puissances jugées « rivales et jalouses »
Plusieurs milliers de personnes se sont réunies à Doha, le 24 Septembre 2017, pour célébrer le retour au pays de l’Émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani, après ses déplacements en Europe et son allocution aux Nations unies (MEE/Sebastian Castelier)

DOHA – Sur la corniche, un vent chaud vient caresser les immenses tours de la nouvelle partie de la capitale qatarie. Des voitures imposantes s'agglutinent le long de la côte. Des hommes en dishdasha blanches et des femmes en abaya noires affluent. Il y a de jeunes hommes, des mères de famille, des personnes âgées et des enfants. Voir les Qataris investir ainsi les rues relève du miracle.

En effet, les nationaux, qui représentent seulement 10 % de la population, se montrent d'habitude discrets. Mais cette fois-ci, ils ont massivement répondu à l'élan de solidarité créé après la décision de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et de l’Égypte d’imposer un blocus à leur voisin du Golfe, qu’ils accusent de soutenir le terrorisme, fin juin.

Des familles qataries attendent le long de la corniche, à Doha, le passage de l'Émir (MEE/Sebastian Castelier)
De petits stands de volontaires ont été dressés pour distribuer de l'eau, des fruits et des drapeaux que les Qataris agiteront au passage de Tamim ben Hamad al-Thani. L'Émir est rentré le jour même d'une tournée en Turquie, en France, en Allemagne et aux États-Unis.

« J'ai commencé à écrire un snap, puis j'ai tout effacé... »

Cette tournée apparaît comme un tour de force dans lequel le discours du dirigeant du Qatar à l'Assemblée générale de l'ONU a sonné comme un cri de ralliement. Il y a dénoncé les ingérences dans « les affaires internes » de son pays et a demandé pourquoi de telles pratiques qui affectent lourdement sa population se sont pas qualifiées « d’actes de terrorisme ».

« J'étais très impatient. J'ai attendu ce rassemblement comme on attend un mariage » - Abdul Azziz, 42 ans (MEE/Sebastian Castelier)
Plus l'heure du passage de l’Émir se rapproche et plus la tension est palpable. Les visages sont graves. Abdul Azziz, 42 ans, la barbe grisonnante, attendait ce rare moment d'union nationale depuis un long moment : « J'étais très impatient. J'ai attendu ce rassemblement comme on attend un mariage », lâche-t-il à MEE avec une émotion contrôlée.

« Nos relations avec nos pays voisins ne seront plus jamais comme avant car ils ont brisé des vies »

- Hamadi al-Amari, un célèbre comédien qatari

Ce photographe professionnel avoue que le blocus imposé par ses « pays frères » l'a gravement affecté psychologiquement. L'homme a arrêté de travailler quelques jours après et a perdu le sommeil. « Que tous nos cousins, frères, nous fassent ça... J'ai essayé de faire la distinction entre les décisions politiques des dirigeants de ces pays et ce que pensent vraiment les populations de l'Arabie saoudite, des Émirats et de Bahreïn. Mais je n'y suis pas arrivé. »

« Le 23 septembre dernier, poursuit-il, c'était la fête nationale de l’Arabie saoudite et sur Snapchat, j'ai l'habitude, chaque année, de féliciter des amis saoudiens. J'ai commencé à écrire un snap, puis j'ai tout effacé... »

Les Qataris, habituellement discrets dans un pays où ils ne représentent que 10 % de la population, se sont massivement mobilisés contre le blocus imposé par leurs voisins du Golfe (MEE/Sebastian Castelier)

« 99 % des Qataris sont derrière l'Émir »

Hamadi al-Amari, un célèbre comédien qatari, a reçu la nouvelle du blocus avec plus de philosophie : « Cette crise au Qatar a renforcé les doutes que j’avais sur notre pays. On doit être moins dépendant et on doit produire localement. On importe trop. On doit se concentrer sur notre économie ici », a-t-il déclaré à MEE. Et de marteler : « C’est une attaque contre la souveraineté du Qatar. Nos relations avec nos pays voisins ne seront plus jamais comme avant car ils ont brisé des vies. »

« On en a encore pour des mois, voire même des années, car c'est une guerre d'ego et jamais les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite n’admettront leur défaite »

- Nabil Ennasri, spécialiste du Qatar

De nombreuses familles, 6 474 précisément, ont en effet été scindées par le blocus, selon le Comité national des droits de l'homme (NHRC) de Doha.

Fatima al-Chamira, Soudienne de 23 ans, a refusé de faire partie de la 6 475e. Sa mère est qatarie et la jeune étudiante en chimie a passé toute sa vie à Doha. Alors quand son pays a exigé son retour, sous peine de lui retirer sa nationalité, elle n'a pas bronché : « Qu'est-ce qu'il y a là-bas pour moi ? Rien. Ils disent que je vais perdre ma nationalité mais ma vie est ici, mon cœur, mes études. Si je vais là-bas, je n'ai pas d'université, pas de famille... En Arabie saoudite, j'ai juste un passeport. »

La jeune femme est venue pour remercier l'Émir « qui nous protège et nous considère comme des Qataris ».

6 474 familles qataries ont été séparées par le blocus, selon le Comité national des droits de l'homme (NHRC) de Doha (MEE/Sebastian Castelier)

En fin de soirée, Tamim ben Hamad al-Thani fait son apparition. Sa voiture couverte de pétales de fleurs s'arrête une fois. Il salue la foule, entouré de gardes du corps. Puis il reprend la route au pas. Des hommes chantent ses louanges, on agite des drapeaux, tandis que les plus jeunes courent le long des barrières pour immortaliser une dernière fois son visage.  

Le convoi de l’Émir du Qatar roule parmi la foule dimanche soir à Doha (MEE/Sebastian Castelier)

Selon Nabil Ennasri, spécialiste du Qatar et auteur de L'Énigme du Qatar, « 99 % des Qataris font front derrière l'Émir face à des puissances [jugées] rivales et jalouses ».

« La situation aujourd'hui est bloquée, explique-t-il à Middle East Eye. La crise va s'installer dans la durée. Le Qatar semble gagner la bataille de l'image. On en a encore pour des mois, voire même des années, car c'est une guerre d'ego et jamais les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite n’admettront leur défaite ; ils vont continuer de maintenir la pression. »

(MEE/Sebastian Castelier)

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