Une femme de fer jordanienne cherche à surmonter les préjugés grâce à la musculation
Dans une salle de sport chic d’Amman, la capitale jordanienne, Dana Soumbouloglou, une étudiante universitaire de 23 ans, dégouline de sueur alors qu’elle soulève des poids. Elle essaie de se faire une place en tant que culturiste dans une société qui interdit ce sport aux femmes pour des raisons culturelles et religieuses.
« Lorsque je soulève des poids, je ressens une grande force en moi et je me sens confiante, a confié Dana à Middle East Eye. Je me débarrasse de toutes les émotions négatives, telles que la colère. »
« Lorsque je soulève des poids, je ressens une grande force en moi et je me sens confiante »
– Dana Soumbouloglou
Dana Soumbouloglou adorait regarder le concours de Ms. Olympia quand elle était petite et espérait pouvoir y participer un jour. Elle a commencé à pratiquer ce sport en 2012, s’efforçant d’atteindre l’excellence. Son parcours n’a pas été un long fleuve tranquille : ses amis et ses proches, dont sa mère, l’ont critiquée et lui ont dit qu’elle allait perdre sa féminité. Des hommes qui s’exercent dans la salle de sport mixte où elle s’entraîne lui ont signifié que le culturisme était un sport réservé aux hommes.
« Je souris lorsque j’entends des critiques et j’essaie d’expliquer que les filles peuvent réussir dans ce domaine [comme les hommes] – certains sont convaincus, d’autres non », a-t-elle expliqué.
« Je souris lorsque j’entends des critiques »
– Dana Soumbouloglou
Natalie, la sœur cadette de Dana, soutient sa passion. Selon elle, l’haltérophilie a rendu Dana plus confiante et a même changé sa façon de penser.
« Ses pensées et ses idées sont devenues plus positives et plus créatives et elle a maintenant un caractère plus charismatique », a-t-elle affirmé.
« Aucune femme ne pratique ce sport »
Dana Soumbouloglou s’entraîne quotidiennement. « L’exercice fait partie de ma routine quotidienne. Je me rends à la salle de sport six jours par semaine et je passe une heure et demie à soulever des poids. »
Elle suit un régime alimentaire spécial qui comprend notamment des glucides et des protéines et prend cinq repas quotidiens.
Se sculpter un physique impressionnant n’est pas son seul objectif. Elle veut briser d’autres tabous, en participant notamment à des compétitions locales et internationales.
Dana Soumbouloglou a pour but ultime de prendre part au concours de Ms. Olympia aux États-Unis. Son idole, la championne brésilienne Juliana Malacarne, a remporté une des catégories en 2014. Elle veut être la nouvelle Malacarne, mais il n’y a pas de compétitions féminines de culturisme en Jordanie.
« Aucune femme ne pratique [professionnellement] ce sport en Jordanie », a déclaré Fayez Abu Areeda, directeur du Comité de culturisme et de fitness, affilié au Comité olympique jordanien (JOC).
« Aucune législation ne l’interdit aux femmes, mais les Jordaniens ne voient pas d’un bon œil les femmes qui se consacrent à ce type de sport, a-t-il déclaré. Notre société n’acceptera jamais qu’une femme exhibe ses muscles en public. »
Il a ajouté qu’il n’approuverait pas de candidatures présentées par des femmes. « Nous n’avons pas de compétitions féminines de culturisme en Jordanie, donc il n’y aurait personne pour y concourir », a-t-il ajouté.
Tous les pays arabes ne maintiennent pas une position aussi stricte face aux femmes qui participent à des compétitions d’haltérophilie et qui souhaitent représenter leur pays. En 2016, l’athlète égyptienne Sara Ahmed a été la première femme originaire d’un pays arabe à remporter une médaille olympique en haltérophilie.
« Les femmes existent principalement pour procréer »
Dana Soumbouloglou travaille comme enseignante de fitness et compte parmi ses clients un certain nombre de jeunes femmes qui aiment s’entraîner mais qui ne s’intéressent pas au culturisme en raison des préjugés culturels.
Dana s’entraîne aussi quotidiennement avec le champion national de culturisme Nadeem Faran. Faran dit espérer qu’un plus grand nombre de jeunes femmes s’intéressent à ce sport et que le Comité olympique jordanien change d’avis et autorise les femmes à concourir.
« Il y a un très petit nombre de filles qui veulent pratiquer le culturisme [en Jordanie], a-t-il déclaré. Dana est peut-être la seule dans ce sport en raison de la culture, qui veut que le corps d’une femme soit doux. »
Farah Malhass, une femme de 29 ans qui a participé à une compétition internationale amateur au Canada en 2010, a rencontré des obstacles similaires : elle a donc décidé de déménager aux États-Unis après la compétition de 2010. En 2015, une autre Jordanienne a participé à une compétition internationale organisée à Dubaï aux côtés de la culturiste bahreïnie Haifa Musawi.
« Le culturisme féminin conteste la notion traditionnelle selon laquelle les femmes doivent être douces et ont besoin de la protection des hommes »
– Hala Ahed, activiste à l’Union des femmes jordaniennes
Hala Ahed, activiste à l’Union des femmes jordaniennes, a expliqué à MEE que la société observait les femmes à travers des critères définis et des rôles sociaux traditionnels. « Il y a des positions strictes sur le travail et la conduite des femmes. La maternité est considérée comme un rôle essentiel, ce qui limite la participation à d’autres activités. Les femmes existent principalement pour procréer et l’on considère que leur corps est plus faible. »
Selon la Banque mondiale, les femmes jordaniennes représentaient seulement 17,5 % de la main-d’œuvre du pays en 2016.
Si davantage de femmes décident de suivre Dana Soumbouloglou et de se mettre au culturisme en Jordanie, cela représentera un défi majeur pour les normes sociétales. Ce sera peut-être également une occasion pour les femmes de se libérer des chaînes des rôles proscrits.
« Le culturisme féminin conteste la notion traditionnelle selon laquelle les femmes doivent être douces et ont besoin de la protection des hommes », a expliqué Hala Ahed.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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