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Une nageuse palestinienne surmonte les obstacles pour faire des vagues aux Jeux Olympiques

Mary al-Atrash réalise le rêve de sa vie : faire partie des six athlètes palestiniens à participer aux Jeux Olympiques de Rio
Le 4 juillet 2016, la championne de natation palestinienne, Mary al-Atrash, 22 ans, se prépare pour l’entraînement à la piscine de Beit Sahour, près de Bethléem en Cisjordanie (Thomas Coex/AFP)

BEIT SAHOUR, Palestine - Un coup de sifflet retentit dans la piscine et Mary al-Atrash plonge, presque sans faire une éclaboussure. Elle glisse gracieusement sur le bleu vif de la surface, fait un virage et s’élance en sens inverse.

Il est 8h30 du matin et la championne palestinienne de natation de 22 ans s’entraîne avec acharnement, avant les Jeux Olympiques de Rio, auxquels elle fait face aux meilleurs nageurs lors des épreuves du 50 mètres nage libre. Malheureusement, sa préparation en vue de l'événement sportif international tant attendu a été pour le moins chaotique, étant pénalisée par la faiblesse des moyens dont dispose sa ville natale et par les dures réalités de l’occupation israélienne.

Les territoires palestiniens ne disposent pas d’une seule piscine de taille olympique ; elle s’entraîne donc dans la plus grande piscine de Cisjordanie, qui fait seulement 25 mètres de long. Il n'y a pas non plus de plongeoirs, ce qui rend toute formation appropriée particulièrement difficile et la handicape par rapport aux nageurs de nombreux autres pays, qui s’entraînent toute l'année dans des installations parfaitement équipées.

« Pas facile de se former tous les jours dans une piscine semi-olympique et de soudain passer à un bassin de 50 mètres le jour de la compétition », avoue Mary, assise dans son salon lors de son entretien avec Middle East Eye.

« Une piscine de 50 mètres me semble immense », ajoute-t-elle en souriant tristement.


La participation de la Palestine aux Jeux Olympiques d'été est assez récente. Le pays a fait ses débuts aux Jeux d'Atlanta en 1996, avec une équipe composée de deux athlètes. Depuis lors, le nombre de ses représentants n’a cessé de croître, mais la Palestine n'a jamais ramené de médaille. Six athlètes toutes disciplines confondues se rendront à Rio cet été, la plus importante délégation palestinienne à ce jour. Ses sportifs sont plus nombreux à participer, et leurs performances globales s’améliorent, mais athlètes et entraîneurs palestiniens se plaignent d’un manque de financement et d'accès à des installations indispensables pour s’entrainer, ce qui continue d'entraver leurs progrès.

La Palestine n'a pas d'équipe nationale de natation ; Mary s’entraîne donc toute seule, sans guère de contacts avec ses concurrentes et sans les encouragements qu’elle recevrait de coéquipières. Elle a parfois l'occasion de voyager à l'étranger pour participer à des compétitions et des camps d'entraînement – expériences qui ont, comme elle le dit elle-même, contribué à ses bons résultats. Elle s’appuie essentiellement sur son entraîneur de longue date, Musa Nawawra, qui la guide lors de son entraînement physique habituel : deux fois par jour, quatre heures au total, six jours par semaine.

« Nous disons toujours que sur 1 000 nageurs, un seul triomphera », explique Musa Nawawra à MEE. « Marie a l’étoffe de cette nageuse exceptionnelle, elle qui a toujours travaillé avec acharnement, déterminée à faire la différence. »

Mary al-Atrash, 22 ans, sera l'une des six athlètes à représenter la Palestine au Jeux Olympiques de 2016 à Rio (AFP/Thomas Coex)

Musa Nawawra déplore cependant que, sans financement ni accès aux ressources nécessaires, les athlètes auront beau se montrer toujours plus courageux et talentueux, ils n’atteindront jamais leur plein potentiel. D’après lui, le pays souffre d’un tel manque de ressources en infrastructures, comme de piscines dans écoles et universités, qu'il est impossible de repérer les jeunes talents, sans même parler de les former et de constituer une équipe. Il reproche aussi au système éducatif palestinien de donner priorité aux devoirs et aux examens, au détriment de la pratique sportive après l'école.

Produire un nageur de niveau international requiert selon lui jusqu'à quinze ans d’une formation ininterrompue. Ce n’est pas une tâche facile, dit-il, étant donne qu’il y a encore quelques années, la Palestine n’avait que des piscines découvertes, et les nageurs ne pouvaient donc s’entraîner qu’en été.

« Nous en avons souvent été réduits à organiser à l'étranger des formations intensives de dernière minute, juste avant les compétitions », explique Musa. « Tout le monde sait que c'est vraiment insuffisant. »

Un écart d’une fraction de seconde

Les nageurs disent que la natation est un sport physiquement et mentalement exigeant par définition, car réduire son temps d’une seule seconde peut prendre des années de formation éreintante, et exige une motivation à toute épreuve. Aux épreuves de natation, comme de course à pieds, une fraction de seconde fait toute la différence. N’avoir accès qu’à des installations inadéquates rend encore plus difficiles les progrès nécessaires pour répondre aux normes internationales.

Son meilleur temps est de 29,91 secondes, bien moins rapide que les 25,28 secondes requises pour se qualifier officiellement pour les Jeux. Le champion palestinien Ahmed Jibril, qui participe pour la deuxième fois aux Jeux olympiques, disputera le 200 mètres nage libre. Tous deux ont été invités grâce au quota d’universalité olympique, conçu pour permettre aux nations dont les sportifs n’ont pas franchi le minimum de qualification pour présenter un athlète masculin et féminin dans chaque sport, quel que soit leur temps – système dont l’intérêt n’a pas échappé à Mary.

Malgré des revers évidents, Mary, qui nage depuis l’âge de six ans, affirme qu’elle reste optimiste et fera encore des progrès. Elle est heureuse d'avoir l'occasion de participer, même si elle ne peut espérer monter sur le podium.

« Nous connaissons nos capacités et savons ce que et qui nous sommes », dit-elle. « Mais je crois que nous toujours faire de notre mieux, et garder intactes notre ambition et détermination. »

En plus des deux nageurs, le coureur Mohammed Abu Khoussa participe aux sprints des 100 et 200 mètres, et trois athlètes ayant la double nationalité allemande et palestinienne représentent la Palestine : Mayada Sayyad au marathon, Christian Zimmermann en dressage équestre et Simon Yacoub en judo.

Accès refusé aux équipements de formation

Des installations d’excellente qualité sont disponibles à proximité de Jérusalem, dont plusieurs piscines olympiques couvertes, mais Israël empêche les habitants palestiniens de Cisjordanie d'accéder à Jérusalem sans autorisation spéciale, qui est en outre difficile à obtenir. Grand mur de béton, multiples points de contrôle militaires et plusieurs colonies juives encerclant la zone de Bethléem, tout cela montre combien ce conflit de plusieurs décennies bouche les perspectives des jeunes Palestiniens.

Israël participe aux Jeux Olympiques d'été depuis 1952, et a remporté jusqu’aux derniers Jeux sept médailles, en judo, voile et canoë. Cette année, Israël a envoyé aux Jeux Olympiques 47 athlètes, dont six nageurs, sa plus importante délégation, pour participer à seize événements différents.

La championne de natation palestinienne Mary al-Atrash pose à côté de ses médailles, exposées dans sa maison à Beit Sahour en Cisjordanie (MEE/Jihan Abdalla)

Debout dans sa chambre ensoleillée, Mary regarde fièrement les dizaines de médailles et trophées gagnés au fil des années, soigneusement disposés sur son bureau. Elle est motivée par la possibilité de représenter la Palestine, malgré la longue occupation militaire israélienne et l’anéantissement de leurs espoirs d'obtenir un État indépendant, suite à plus de vingt ans de négociations intermittentes avec Israël.

Fière de défendre les couleurs de la Palestine

Elle confirme que la réalité politique est en effet difficile à ignorer ou à surmonter et croit que le sport est d’une importance cruciale, surtout pour de nombreux jeunes Palestiniens qui ne trouvent guère de sens à leur vie, outre une confrontation quotidienne aux soldats israéliens.

Participer aux Jeux Olympiques est le rêve de tout athlète, la consécration ultime de toute  une vie, et c’est l’ambition de Mary. Palestinienne, elle y voit aussi la possibilité de représenter à l'étranger la cause de sa nation. « Je suis si impatiente de brandir le drapeau palestinien lors de la cérémonie d'ouverture, vêtue du costume national palestinien », confie-t-elle.

« Je suis très fière et heureuse de faire partie de l'équipe représentant la Palestine. C’est une grande responsabilité : nous n’y allons pas seulement pour participer et rentrer chez nous », affirme-t-elle. « Nous y allons pour faire passer un message : qui nous sommes, quelle est notre cause, et quelles sont les difficultés que nous rencontrons. Nous portons ce message avec nous où que nous soyons. »

Dans les dernières semaines précédant les jeux, Mary nous a expliqué qu'elle s’est rendue à Amman, la capitale de la Jordanie, puis en Algérie, où elle s’entraine avec leurs équipes de natation nationales beaucoup mieux équipées, dernière tentative pour être en encore meilleure forme et améliorer ses performances.

Mary, récemment diplômée en gestion d’entreprises à l'université de Bethléem, promet qu’elle continuera à se battre pour être reconnue par sa nation – bien que la Palestine valorise encore l'éducation académique aux dépends du sport –, et aussi à l'étranger, où la cause palestinienne a été éclipsée par les autres violents conflits de la région.

Saeda al-Atrash, la mère de Marie, absorbée dans ses pensées dans leur vaste séjour à Beit Sahour, confie être très fière de sa fille, qui a surmonté tant d’obstacles personnels – et aussi d’autres sur lesquels elle n’a aucune prise – et consacré tant de temps et d'énergie au sport qu'elle aime.

« Mary est mûre pour le succès : elle s’entraîne tant qu’elle peut depuis toute petite, et elle sait ce qu'elle veut. »

Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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