Vendus pour 60 dollars, les enfants yézidis décrivent leur vie d’esclaves de l’EI
DUHOK, région du Kurdistan irakien – Umm et Abou Ahmed ne pouvaient pas avoir d’enfant. Lorsque le couple d’âge moyen a entendu que l’État islamique (EI) vendait des orphelins yézidis, ils ont décidé d’en accueillir un. Ils ont acheté Ayman, 5 ans, pour 500 dollars (447 euros).
Abou et Umm ont acheté des jouets en tous genres à Ayman, et l’ont renommé Ahmed. Ils lui ont appris à mémoriser le Coran et l’ont inscrit à l’école locale. Pendant dix-huit mois, ils l’ont élevé comme leur propre fils.
La famille d’Ayman ne savait pas du tout que le garçon, qui avait 4 ans lorsqu’il a été kidnappé par l’EI, vivait avec une famille à Mossoul.
« Nous ne savions même pas qu’il était toujours en vie », raconte Basma, la grand-mère d’Ayman, assise dans une maison de béton à Khanke, village situé à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Duhok, dans la région du Kurdistan irakien.
« Nous ne savions même pas qu’il était toujours en vie »
- La grand-mère d’Ayman
Il y a quatre mois, des habitants arabes d’une zone libérée de Mossoul ont déclaré aux forces irakiennes qu’un couple gardait un enfant yézidi chez eux. Les forces irakiennes, accompagnées de soldats américains, sont allées dans la maison et ont emmené l’enfant.
Une vidéo YouTube filmée par une ONG montre Ayman accroché à Umm, et en train de tenir les mains d’Abou tandis qu’ils marchent vers le véhicule des troupes irakiennes.
Le 28 janvier, Ayman et sa grand-mère ont été réunis au Kurdistan irakien, un refuge pour de nombreux Yézidis déplacés.
« Je n’arrivais pas à croire qu’il était toujours en vie et en bonne santé. C’était un miracle », confie Basma, en ajoutant que onze membres de la famille, dont les véritables parents d’Ayman et son frère, qui viennent tous du village yézidi d’Hardan, sont toujours portés disparus.
Basma a également été enlevée par l’EI, mais a été relâchée lorsque le groupe a considéré qu’elle était trop âgée pour être vendue.
Aucun souvenir de ses véritables parents
Alors que sa grand-mère était submergée de bonheur, il s’est avéré difficile pour Ayman de s’adapter. Ses parents adoptifs lui manquaient, il s’était habitué à eux.
« Les premiers jours, Ayman pleurait sans cesse. Il voulait qu’on le ramène à Busra et Charef », raconte Basma à Middle East Eye. « Il ne pouvait plus parler un mot de kurde, seulement de l’arabe, et il nous réveillait au milieu de la nuit pour la prière. »
Selon le bureau des Affaires d’enlèvement du gouvernement régional du Kurdistan (KRG), Ayman fait partie des 6 470 Yézidis kidnappés par l’EI lorsque le groupe de combattants a attaqué Sinjar en août 2014.
Tandis que la plupart des hommes ont été tués et jetés dans des fosses communes, les femmes et les enfants yézidis ont été enlevés, violés à de nombreuses reprises et ont dû se battre pour le groupe de combattants.
« Les premiers jours, Ayman pleurait sans cesse »
- La grand-mère d’Ayman
Hussein Alqaidi, directeur du bureau des Affaires d’enlèvements, a déclaré à MEE depuis son bureau à Duhok, qu’environ 3 010 Yézidis avaient réussi à s’échapper, dont beaucoup de femmes et enfants.
Selon Alqaidi, le gouvernement espérait que l’opération pour libérer Mossoul de l’EI permettrait de secourir de nombreux Yézidis, mais, pour le moment, les résultats sont plutôt décevants.
Certains des enfants kidnappés étaient si jeunes que les souvenirs de leurs véritables parents – qui ont été réduits à l’esclavage ou tués – ont disparu.
Après avoir vécu avec un couple irakien pendant des années, Sipan Elias, 6 ans, ne se souvenait presque pas que ses parents étaient Yézidis, et que son prénom n’était pas « Dawud » comme l’ont appelé le couple irakien qui l’a acheté à l’EI.
Et si ses parents « adoptifs » n’avaient pas traversé la frontière turque en avril cette année, personne n’aurait su que Sipan était toujours en vie.
« Il a du mal à dormir et se bat parfois avec les autres enfants »
- Ali, grand-père
« Le couple qui l’a élevé voulait l’emmener en Turquie – je pense qu’ils fuyaient les combats. Mais à la frontière, du personnel de sécurité a remarqué que Sipan n’était mentionné dans aucun document », témoigne son grand-père Ali à MEE.
« Un officier de sécurité turc a eu des soupçons, puis a contacté les autorités et séparé Sipan du couple. Lorsque nous avons vu la photo, nous l’avons immédiatement reconnu. »
Selon lui, son petit-fils n’a pas été abusé physiquement ou mentalement. « Sipan ne s’exprime pas beaucoup, mais l’autre jour il a demandé un vélo. Il a déclaré qu’il en avait un avant, acheté avec son ‘‘père’’ », ajoute Ali.
« Avec ce genre de détails, les vêtements qu’il portait et son comportement, je peux dire qu’ils l’ont bien traité. Il a toutefois du mal à dormir et se bat parfois avec les autres enfants. »
Des esclaves domestiques
D’autres enfants n’ont pas été aussi chanceux que Sipan. Ils ont été utilisés comme des esclaves domestiques. Akram Rasho, 10 ans, a d’abord été emmené dans un camp d’entraînement de l’EI. Ses reins ont été endommagés lorsqu’on lui a tiré dessus quand son village a été envahi par l’EI en 2014.
Lorsque l’EI a toutefois décidé qu’il était inutilisable en raison de ses blessures et de son comportement rebelle, ils l’ont vendu à une famille syrienne de Raqqa pour 70 000 dinars irakiens (54 euros). Il a dû travailler dans cette famille.
« La famille me faisait faire le marché et porter les courses. Et à l’intérieur de la maison, je devais faire des corvées tout au long de la journée », a déclaré Akram, qui souffre de problèmes psychologiques depuis qu’il est revenu dans ce qu’il reste de sa famille, à l’âge de 9 ans.
« La famille me faisait faire le marché et porter les courses. Et à l’intérieur de la maison, je devais faire des corvées tout au long de la journée »
- Akram, enfant yézidi
Le récit de son sauvetage est commun parmi les Yézidis, qui ont souvent dû payer des passeurs locaux pour que les membres de leur famille puissent revenir. Dans ce cas, l’oncle d’Akram a contacté un passeur qui savait où se trouvait Akram. Pour le faire passer au Kurdistan irakien, il a payé environ 9 000 euros.
Il est difficile de savoir exactement ce qu’ils ont enduré, car la plupart des enfants ne parlent presque pas de leur calvaire. Certains étaient simplement trop jeunes pour comprendre ce qu’il leur arrivait.
Khanza, une fillette de 6 ans avec des cheveux foncés et courts, parle peu du temps passé avec Umm Bakr, une « femme grosse et laide » qui l’a achetée à l’EI, mais lorsqu’elle en parle, elle a l’air terrifié.
« Umm Bakr était très méchante avec moi. Elle m’enfermait dans une pièce et ne me donnait rien pour jouer. Elle me donnait aussi de la mauvaise nourriture. J’avais mal au ventre, et je me souviens que je pleurais tout le temps car ma famille n’était pas là », bredouille-t-elle, assise dans la tente de sa cousine à Kabarto, un camp de déplacés pour Yézidis.
« Umm Bakr était très méchante avec moi. Elle m’enfermait dans une pièce et ne me donnait rien pour jouer. Elle me donnait aussi de la mauvaise nourriture. J’avais mal au ventre »
- Khanza, fillette yézidie
Lorsque l’EI a envahi son village, Sinjar, Khanza a été séparée de sa mère mais la suite des événements reste opaque.
Selon sa cousine Hanan, qui s’est occupée de Khanza comme une mère, la petite fille a été négligée, battue et brulée avec des objets métalliques par Umm Bakr.
« Khanza nous a dit que trois hommes vivaient dans la maison, tous combattants de l’EI. Nous en concluons qu’Umm Bakr avait des rapports étroits avec l’EI », souligne Hanan.
« Mais nous ne savons pas grand-chose de ce qui s’est déroulé dans cette maison. Nous avons peur de demander les détails à Khanza. Lorsque nous le faisons, elle pleure immédiatement », explique Hanan.
Khanza a été secourue par un passeur il y a trois mois, et ramenée au Kurdistan irakien. La petite fille a été récemment emmenée chez le docteur car elle vomissait tout le temps. Le spécialiste en a déduit qu’elle était malnutrie. De plus, Khanza se comporte parfois de façon agressive, ne fait confiance à personne et fait des cauchemars où Umm Bakr a toujours le rôle principal.
Pour surmonter le traumatisme, elle est conseillée par des employés de War Child, un organisme de charité basé à Londres pour les enfants qui souffrent de la guerre.
« Lorsque ma cousine est revenue, elle se battait avec tout le monde, et poursuivait même d’autres enfants avec des couteaux. Elle a dû observer ce comportement dans la maison d’Umm Bakr », raconte encore Hanan.
« Lorsque ma cousine est revenue, elle se battait avec tout le monde, et poursuivait même d’autres enfants avec des couteaux »
- Hanan, la cousine de Khanza
Un jour, Hanan a attrapé Khanza lorsqu’elle faisait une crise. Selon Hanan, Khanza l’a frappée tellement fort dans le ventre qu’elle en a perdu son bébé. Elle soupire : « Deux ans et demi emprisonné par l’EI, c’est très long. Khanza a besoin de temps pour guérir. »
Les familles de Mossoul n’ont pas fait qu’acheter des enfants yézidis. Des combattants de l’EI célibataires ont également acheté des familles yézidies entières et ont parfois demandé que les enfants les reconnaissent comme leur père.
Le sniper tunisien de l’EI, Abou Dahr, a acheté Shalal, 14 ans, avec sa mère, sa sœur et son jeune frère de l’EI. Shalal a dû vivre séparé de son père, un professeur d’arabe de Sinjar, pendant deux ans.
Il a été secouru il y a quelques semaines avec son jeune frère, tandis que sa mère et sa sœur demeurent captives de l’EI. Il a expliqué à MEE qu’ils vivaient tous dans une maison.
Abou Dahr a appris à Shalah à prier et à tirer, avant de quitter la maison pour commettre une attaque suicide.
Un leader de l’EI est venu un jour chez Shalal. « Félicitations, ton père est désormais au paradis », a-t-il déclaré à Shalal. Selon Shalal, ils ont donné 450 euros à la famille, car ils les considéraient comme une « famille de martyr ».
« Il voulait que je le traite comme un véritable père, mais j’ai juste fait semblant, pour survivre »
- Shalal, enfant yézidi
« [Abou Dahr] voulait que je le traite comme un véritable père, mais j’ai juste fait semblant, pour survivre. Il frappait ma mère très fort sans aucun motif », précise Shalal.
Il y a quarante jours, Shalal et son frère se sont échappés des mains de l’EI, et ont retrouvé leur véritable père, Khiri, qui a perdu toute sa famille à cause de l’EI.
« Je n’oublierai jamais mon père, jamais de la vie ! Je savais qu’il m’attendait à la maison », sourit Shalal en regardant son père.
Traduit de l’anglais (original).
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