Pour les Franco-tunisiens, la question de la binationalité est « essentielle »
Par Lilia Blaise, à Tunis
Asma, enseignante, « issue de la droite chiraquienne », va tout faire pour aller voter malgré ses douleurs lombaires. « Depuis Sarkozy », elle confie « ne plus se reconnaître dans la droite » et veut un changement depuis la Tunisie, là où elle vit.
« Je vais voter pour Macron pour une raison toute bête : je veux voter pour une nouvelle tête, j'en ai marre de voir les mêmes depuis vingt ans », explique cette Franco-tunisienne à Middle East Eye. Mais pour elle, le danger que les extrêmes l’emportent est plus présent que jamais. « De toutes les façons, c'est le système tout entier qui est rejeté quand on voit la montée des extrêmes. »
Pour les Tunisiens installés en France que MEE a sollicités, le cœur balance entre Macron et Mélenchon. Mourad et sa femme ont reçu leur carte d’électeur jeudi dernier. Mourad, la trentaine, est français depuis le 30 mars 2017.
« Je regardais toujours de près mais là, c’est un grand plaisir de pouvoir voter. Je vais voter pour Mélenchon car il me parle beaucoup en tant que Tunisien du fait qu’il veuille en finir avec la Ve République et définir de nouvelles règles du jeu. »
Dans ses discours, Jean-Luc Mélenchon, lié à l’extrême gauche tunisienne, le parti du Front populaire, qui a fait une percée aux dernières législatives tunisiennes, a souvent fait référence à la révolution tunisienne.
Près de 24 000 électeurs sont inscrits sur les registres électoraux en Tunisie et 70 % sont des binationaux
Pour d’autres, la mesure d’une déchéance de la nationalité proposée par François Fillon et Marine Le Pen a mis fin à un possible doute. « Je ne vois pas comment il serait possible de me demander de choisir entre mon père et ma mère », affirme Skander, un Français vivant dans l’Essonne qui a obtenu la nationalité tunisienne à l’âge de 16 ans. « Le débat public et politique a été pollué par les questions d’immigration et pas seulement pendant les élections », renchérit-il.
Près de 700 000 Tunisiens, binationaux et immigrés confondus vivent en France. Et même dans la famille de Skander, où tout le monde n’est pas français, le débat est intense. « Pour ma famille, les discussions tournent vraiment autour des positions des candidats sur l’immigration. Ce qui m’attriste, c’est que finalement le débat se résume à se positionner ou non face au Front national, on a du mal à parler des autres questions comme le chômage ou l’économie » dit-il.
Des préoccupations liées aux questions de binationalité
Cette année, près de 24 000 électeurs sont inscrits sur les registres électoraux en Tunisie et 70 % sont des binationaux. Pour l’élection de 2012, ils étaient 15 245 inscrits mais seulement 7 517 à s’être déplacés pour voter, avec un taux de participation de 43,63 %. François Hollande avait remporté 47,94 % des voix contre 22,68 % pour Sarkozy.
Cette année, pour les binationaux, vivant en Tunisie, comme Cédric, 45 ans, un républicain partisan d’Alain Juppé, il faudra faire un choix difficile. « Je ne soutiens pas du tout Fillon, la ligne rouge a aussi été pour moi la déchéance de la nationalité » affirme-t-il en confiant se tourner vers Macron. Très impliqué dans le parti des Républicains, Cédric confie que son souhait pour les élections porte davantage sur une plus grande considération des binationaux vivant à l’étranger. « Pendant les primaires, il fallait payer une somme symbolique pour voter et beaucoup de binationaux n’ont plus ou pas de comptes libellés en euros et sont payés en dinars donc beaucoup d’électeurs n’ont pas pu voter » donne-t-il comme exemple.
L’autre ligne rouge a été la question de la nationalité des terroristes ayant commis des attentats sur le sol français. « À chaque fois, on nous dit qu’ils sont Tunisiens alors qu’ils sont aussi Français, et on parle d’expulser ceux qui présentent un danger alors qu’ils ont grandi en France, je ne comprends pas pourquoi la Tunisie devrait s’en occuper » affirme-t-il.
Mourad, journaliste binational, a vécu en France pendant quinze ans. Aujourd’hui, il a choisi de repartir vivre en Tunisie. Il admire Mélenchon pour sa rupture sur les questions de politique étrangère. « Mélenchon est le seul vrai pacifiste. La France, avec Sarkozy, a eu une responsabilité dans le chaos en Libye, et avec Hollande, en Syrie. »
Une élection qui intéresse aussi les Tunisiens
Les problématiques liées à l’Europe ou encore l’économie font aussi partie des préoccupations.
Pour Farah Bouguerras, Tunisienne, suit les élections dans le cadre de ses études de droit : « Quel que soit le candidat qui remportera ces élections, il y aura sûrement des répercussions importantes. De profondes réformes constitutionnelles sont proposées par Melenchon et Le Pen, par exemple. »
Pour Ghazi Ben Ahmed, un Tunisien vivant en Tunisie, à la tête d’un think tank, l’issue économique des élections pourrait avoir un impact direct sur la Tunisie qui a dû réduire ses importations cette semaine à cause de la dévaluation persistante du dinar.
« La France est notre partenaire économique et commercial. Mieux il se se porte, mieux la Tunisie se porte aussi. Donc tous les candidats qui appellent à sortir de l'euro et de l'Union européenne [UE] sont à éliminer. Il ne reste pratiquement que Fillon et Macron », analyse-t-il.
Alors que les pronostics en France soulignent encore l’indécision du vote et mettent côte à côte quatre candidats, en Tunisie, la startup tunisienne de data, Webradar prédit un second tour Mélenchon/Le Pen.