L’ouverture d’Emmanuel Macron à l’égard de l’Iran vise à endiguer son influence croissante
Alors que le sommet du G7 tenu à Biarritz (France) la dernière semaine du mois d’août s’achevait tranquillement, personne ne s’attendait à ce qu’un Airbus A321 appartenant à la flotte officielle du gouvernement iranien ne se posât à l’aéroport de la ville avec, à son bord, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, qui allait être reçu, dans la foulée, par le président français Emmanuel Macron entouré de ses proches collaborateurs, dont le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian.
Traduction : « La diplomatie active de l’Iran à la recherche d’un engagement constructif se poursuit.
Rencontré @EmmanuelMacron en marge du #G7Biarritz après de longues discussions avec @JY_LeDrian & le ministre des Finances, suivies d’un briefing conjoint avec le Royaume-Uni et l’Allemagne.
La route est difficile. Mais le jeu en vaut la chandelle. »
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Cette visite surprise n’aurait pas eu ce caractère secret si l’urgence des dossiers à traiter ne s’était pas imposée, de fait, par les développements militaires sur les fronts irakien, syrien et libanais.
En effet, tout porte à croire que les raids israéliens menés la veille et le jour même de la tenue du sommet de Biarritz sur des cibles iraniennes ou du Hezbollah en Irak, en Syrie et au Liban avaient pour objectif de saper les efforts du G7 concernant le dossier iranien.
D’une pierre deux coups, Emmanuel Macron a parlé « business » avec le chef de la diplomatie iranienne et évité une escalade militaire à son allié israélien
Israël est vent debout contre toute détente vis-à-vis de Téhéran alors que la France, pour des raisons pragmatiques, tente de convaincre ses partenaires de ne pas opter pour l’exclusion de l’Iran du concert des nations et d’en faire, ainsi, un état voyou à l’attitude imprévisible.
Paris encourage ses alliés à activer l’INSTEX (Support of Trade Exchanges), un mécanisme économique créé conjointement en janvier 2019 par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni en vue de contourner les sanctions américaines en favorisant les échanges commerciaux avec l’Iran, sans utiliser le dollar américain.
Les frappes israéliennes allaient tout gâcher de ces efforts européens, sauf que l’intelligentsia française, qui a très bien compris le « piège » israélien, a vite repris l’initiative en « convoquant » Javad Zarif à Biarritz en vue de jouer cartes sur table avec les Iraniens : « on s’engage à s’ouvrir économiquement et commercialement sur Téhéran à condition que Téhéran calme les ardeurs des Gardiens de la révolution et du Hezbollah », qui avaient juré une réplique aux frappes et incursions israéliennes en Irak, en Syrie et au Liban.
Car au moment même des entretiens de haut niveau entre Zarif et Macron, le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, menaçait Israël de représailles suite aux frappes de la veille sur la banlieue sud de Beyrouth, le fief du parti chiite allié de Téhéran.
Ainsi, d’une pierre deux coups, Emmanuel Macron a parlé « business » avec le chef de la diplomatie iranienne et évité une escalade militaire à son allié israélien.
De Gibraltar à Ormuz, l’influence grandissante de l’Iran
Depuis le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) en 2018, l’Iran subit de fortes pressions économiques et politiques de la part de Washington pour le dissuader d’obtenir l’arme atomique et l’empêcher de développer davantage son programme de missiles balistiques de moyenne et longue portées.
Aussi, parmi les objectifs de l’embargo imposé à Téhéran se trouve celui de limiter son influence géopolitique galopante dans différentes régions du monde.
Malgré l’embargo international, l’Iran est en effet plus que jamais une puissance incontestable. Allié de la Russie et de la Chine et important producteur d’hydrocarbures, son influence aujourd’hui s’étend de l’Afghanistan à la mer Méditerranée, cette dernière étant l’une des zones les plus sensibles de la planète tant sur les plans géostratégique que militaire et économique.
Malgré une forte présence américaine à travers la VIe flotte aéronavale, le flanc oriental de la mer Méditerranée est sous influence multiple : russe, israélienne, turque, égyptienne et iranienne par Hezbollah interposé.
Via la Syrie et le Liban, l’Iran a désormais un accès direct à la mer Méditerranée jusqu’au détroit de Gibraltar. Et à travers un corridor qui traverse la Syrie, l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan, Téhéran contrôle plusieurs millions de kilomètres carrés de Tartous, sur le littoral méditerranéen syrien, jusqu’à Kaboul en Afghanistan, en passant par Bagdad et le Kurdistan iranien.
Au niveau des mers, l’Iran, outre le contrôle du détroit stratégique d’Ormuz, maintient une super-présence dans le Golfe persique depuis le delta commun du Tigre et de l’Euphrate au sud de l’Irak jusqu’à Bahreïn, pays à majorité chiite et non moins base de la Ve flotte aéronavale américaine.
Tant que c’est pour l’intérêt d’Israël et de sa « survie », toutes les concessions sont acceptables
Sur les versants sud et sud-ouest de la péninsule Arabique, l’Iran dispose d’une présence militaire non négligeable depuis le Yémen et la mer d’Oman jusqu’au détroit de Bab-el-Mandeb, et cherche des positions dans la mer Rouge, menaçant directement Israël via la ville stratégique d’Eilat non loin du port d’Aqaba, en Jordanie.
Et c’est justement pour anticiper ces « scénarios apocalyptiques » pour son allié israélien que le président français Emmanuel Macron a rapidement ouvert le dialogue avec l’Iran sans même attendre que ses invités du G7 aient regagné leurs pays respectifs.
D’ailleurs, le président américain Donald Trump, pourtant farouche opposant à toute détente avec l’Iran, n’a pas trouvé mieux qu’un « no comment » en apprenant que son homologue français avait rencontré le ministre iranien des Affaires étrangères. Tant que c’est pour l’intérêt d’Israël et de sa « survie », toutes les concessions sont acceptables.
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