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Libye : le couple Russie-Turquie met la main sur la médiation

L’alliance entre Moscou et Ankara pourrait remettre sur les rails la solution politique dans le dossier libyen, à condition que le cessez-le-feu tienne jusqu’à la conférence internationale sur la Libye, dimanche à Berlin, sous l’égide de l’ONU

Russes et Turcs, main dans la main pour ramener la paix en Libye. Il y a quelques semaines encore, cela ne semblait pas évident. Pourtant, le centre de gravité diplomatique du dossier libyen est en train de se déplacer, à la faveur d’un rapprochement russo-turc qui n’a rien d’original selon Jean Marcou, professeur à Science Po Grenoble.

Il rappelle à Middle East Eye ce qui s’est passé en Syrie à partir de 2017 : « Il y a une convergence entre les deux pays pour le règlement de ce conflit. On a finalement une sorte de processus d’Astana appliqué au contexte libyen. Un rapprochement russo-turc alors même que Moscou et Ankara ne sont pas dans le même camp. »

« On a finalement une sorte de processus d’Astana appliqué au contexte libyen »

- Jean Marcou, professeur à Science Po Grenoble

D’un côté, Fayez al-Sarraj et son Gouvernement d’union nationale (GNA) sont ouvertement soutenus par la Turquie.

De l’autre, Khalifa Haftar, autoproclamé maréchal de l’Armée nationale libyenne (ANL), est lui soutenu en sous-main par la Russie qui refuse pour l’instant de s’afficher comme parrain officiel.

Pour Kader Abderrahim, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Maghreb, on assiste « au grand retour diplomatique de la Russie sur un terrain duquel elle avait été exclue ». A contrario, « les Européens ont absolument tout ce qu’il faut pour exercer leur puissance, mais en même temps, sont rendus impuissants par leurs divisions et des intérêts divergents », explique-t-il à MEE.

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Comme en Syrie, où ils avaient fini par avoir l’ascendant sur le camp occidental, trop indécis, Ankara et Moscou tentent de reprendre l’initiative ces dernières semaines en Libye.

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L’appel au cessez-le-feu, lancé conjointement, le 8 janvier, par le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, et son homologue russe, Vladimir Poutine, est relativement respecté depuis samedi dernier, en dépit du refus de Khalifa Haftar de signer un accord formel lors de négociations à Moscou.

Le calme est en partie revenu à Tripoli. Cela faisait plusieurs semaines que les armes n’avaient été à ce point mises en sourdine, le long de la ligne de front qui sépare les forces du GNA et celles de l’ANL. Une fragile désescalade s’est amorcée, sans équivalent depuis l’offensive lancée en avril 2019 sur Tripoli par Khalifa Haftar.

Un succès qu’il faut mettre au compte de la Russie et de sa diplomatie qui a montré son efficacité, relève pour MEE Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. « Une de leurs forces [aux Russes], c’est cette capacité à pouvoir discuter avec tous les protagonistes des crises qui agitent la région. Il se retrouvent souvent, parfois sans même le souhaiter, en position de médiateur. »   

Pas assez d’emprise sur Haftar

Cette première grande réussite de l’axe Ankara-Moscou a été saluée lundi par le président français, qui s’est s’empressé d’appeler à faire respecter ce cessez-le-feu pour qu’il soit « crédible, durable et vérifiable ».

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La deuxième réussite du camp russo-turc est intervenue lundi, faisant renaître l’espoir d’une solution politique à la crise libyenne. Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar ont été réunis, non pas dans la même pièce, mais dans la même ville, à Moscou, pour donner corps à la trêve et signer un accord plus contraignant que l’engagement verbal pris quelques jours plus tôt.

Le maréchal est finalement parti mardi matin sans parapher le texte. « C’est quand même très décevant pour la Russie et les efforts qu’elle avait déployés », assure à MEE Igor Delanoë pour qui, ce départ précipité remet en cause « l’hypothèse selon laquelle Haftar serait l’homme lige des Russes en Libye ».

Moscou n’a pas assez d’emprise sur le chef militaire pour le contraindre à signer la trêve. 

Échec d’une étape ou processus mort-né ? Le couple Ankara-Moscou pourrait rapidement montrer ses faiblesses, estime Jean Marcou.

« C’est une alliance du grand écart, assez paradoxale. Dès que des éléments, sur le terrain, sont susceptibles de se mettre en travers de cette alliance, elle paraît fragile. Je crois d’ailleurs que l’un des jeux que les acteurs vont jouer sur le terrain va être d’une certaine manière d’ajouter des conflits, de prendre des positions, qui peuvent gêner cette alliance. » 

« Vladimir Poutine a été très habile. Il a brisé le front arabe en s’appuyant sur son allié turc »  

- Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS

C’est peut-être ce qu’a voulu faire Khalifa Haftar explique Igor Delanoë « en faisant monter les enchères auprès de ses autres sponsors. » Autrement dit, l’Arabie saoudite et surtout l’Égypte et les Émirats arabes unis qui voient que leur allié touche au but et pensent que l’option militaire peut encore aboutir.

Mais d’après Kader Abderrahim, « Vladimir Poutine a été très habile. Il a brisé le front arabe en s’appuyant sur son allié turc. »    

Jusqu’à la conférence de Berlin, la voie est donc libre pour Ankara et Moscou. Qui ont beaucoup à gagner chacun de leur côté.

La Turquie cherche à accroître son influence en Méditerranée orientale, dans une zone riche en ressources pétrolières et gazières, mais aussi à augmenter son autonomie au sein de l’OTAN pour obtenir des concessions du camp occidental. 

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La Russie souhaite assoir son influence stratégique en Méditerranée, de Tartous en passant par la Libye, et à affaiblir l’OTAN grâce à son alliance avec Ankara.

En face, l’ONU est victime de ses divisons, les États-Unis ne font pas de la Libye leur priorité et la France s’est discréditée. Le couple russo-turc pourrait profiter de cette fenêtre diplomatique pour faire progresser la solution politique en Libye.

Mais à une condition, que le cessez-le-feu tienne jusqu’à dimanche, le jour retenu pour l’organisation de ce grand rendez-vous berlinois plusieurs fois reporté. Il doit réunir les cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi l’Allemagne, la Turquie, l’Italie, l’Égypte et les Émirats arabes unis. Les questions politiques, sécuritaires et économiques doivent être abordées. 

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