Comment l’Occident a depuis un quart de siècle fabriqué le plan de Trump pour la Palestine
Depuis plus d’une semaine, les Palestiniens font face à une nouvelle tentative de la part de l’administration américaine d’imposer ses conditions pour la résolution du conflit israélo-palestinien. Certes, le plan annoncé par Donald Trump le 28 janvier comporte des nouveautés. Notamment, c’est un plan de paix qui se veut final et définitif, bien qu’il n’ait été précédé d’aucune négociation.
C’est aussi un plan qui ignore le consensus international relatif au processus de paix, établi depuis une trentaine d’années. En particulier, le plan ignore les résolutions internationales demandant la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens occupés depuis juin 1967. Le plan de Trump ignore aussi et contredit le droit international, en particulier les conventions de Genève qui établissent l’illégalité de l’annexion et du transfert de la population de l’État occupant dans le territoire occupé.
Sur 180 pages et en 45 300 mots, le plan de l’« accord du siècle » ne mentionne pas une fois le terme « occupation »
Ce plan efface donc une réalité fondamentale : Israël est une force d’occupation et la Palestine est un territoire occupé. Sur 180 pages et en 45 300 mots, le plan de l’« accord du siècle » ne mentionne pas une fois le terme « occupation ».
Donald Trump tente de changer qualitativement les principes internationaux selon lesquels le conflit est compris et traité. Et pourtant, l’essence même du plan du président américain n’est pas nouvelle. Au contraire, elle a toujours été présente dans la logique des pays occidentaux vis-à-vis de la cause palestinienne.
L’approche d’Oslo
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Sans trop remonter dans le temps, il suffit d’analyser comment les États-Unis ont traité le conflit depuis le début des négociations entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’État d’Israël au début des années 90. On peut facilement y trouver les origines de la logique de Trump.
Ces négociations, qui ont commencé à la suite de la conférence de Madrid en 1991, ont abouti à la « déclaration de principes » signée à la Maison-Blanche en septembre 1993, plus connue sous le nom d’accords d’Oslo. Ces « principes » qui ont représenté les bases d’un processus de paix, jamais achevé, ont été conclus sous les auspices et le parrainage des États-Unis.
Le philosophe palestino-américain Edward Saïd, membre du Conseil national palestinien, a été l’un des premiers à attirer l’attention sur les nombreuses failles de ces accords.
D’abord, ceux-ci n’ont pas établi que le but final des négociations était la fin de l’occupation et l’établissement d’un État palestinien. Ces accords n’ont pas traité de la question des colonies israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem ou dans la bande de Gaza. Mais c’est en particulier l’approche économico-sécuritaire qui a déclenché la sonnette d’alarme chez Saïd, et chez bien d’autres critiques des accords et du processus d’Oslo à l’époque.
En effet, pendant les longues années de négociations entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël, seulement deux aspects découlant des accords ont été établis : les relations économiques inégales, entraînant l’apparition d’une classe économique palestinienne rattachée à l’économie israélienne, et la coopération sécuritaire entre l’autorité palestinienne et l’État d’occupation.
Visiblement, aux yeux des États-Unis et des autres donateurs qui ont soutenu financièrement le processus de paix, les Palestiniens n’avaient besoin que de « business » et du renfort des forces de l’ordre les contrôlant.
Une aide sous conditions
La politique mise en place par les pays impliqués dans ce processus est en réalité révélatrice de la logique de ces États. Pendant des années, les États-Unis, les pays européens, le Canada et le Japon se sont tous impliqués dans une opération de financement de l’Autorité palestinienne et des ONG en Palestine, avec pour but annoncé d’aider à la construction d’un État et d’une société civile palestiniennes, avec l’objectif d’instaurer la solution à deux États.
Aucun de ces pays n’a eu comme ligne politique, dans la pratique, la fin de l’occupation. Le but ultime de ces financements a toujours été de maintenir le peuple palestinien sous contrôle
Les projets mis en place par les États donateurs ont inclus des programmes de formation à la démocratie, la révision des cursus scolaires, des projets d’infrastructure et d’autres établis sur la base des besoins, allant du traitement des eaux usées au financement des piscines municipales. Ces projets mis en œuvre depuis Oslo ont coûté des centaines de millions de dollars.
Sur les millions de dollars versés au nom de la population palestinienne, pas un seul centime n’a été destiné à accroître la capacité des Palestiniens à exercer leur souveraineté, après la fin de l’occupation, ou à construire une économie palestinienne productive et indépendante.
Au contraire, les projets financés visaient à améliorer les conditions de vie des Palestiniens – ou plutôt, à les rendre plus supportables – à travers l’injection artificielle et continue d’argent provenant de la communauté internationale. Autrement dit, aucun de ces pays n’a eu comme ligne politique, dans la pratique, la fin de l’occupation. Le but ultime de ces financements a toujours été de maintenir le peuple palestinien sous contrôle.
C’est le maintien sous contrôle de la résistance des Palestiniens et les responsabilités économiques et administratives de leur gestion qui ont toujours été le centre de l’attention des pays influents au sein de la communauté internationale. Pour ces pays, il fallait traiter les effets secondaires de l’occupation et non pas l’occupation elle-même. C’est ce principe fondamental que l’on retrouve dans le plan de Donald Trump.
La version israélienne du « politiquement correct »
Cela relève d’un paradigme encore plus sinistre : l’adoption, par ces pays, du point de vue et du discours israéliens, comme version politiquement correcte du conflit. Cette vision s’est d’abord manifestée dans l’adoption des questions sécuritaires comme sujet prioritaire en vue de la résolution du conflit.
La coordination sécuritaire avec Israël, imposée à l’Autorité palestinienne, n’inclut pas la lutte contre la violence des colons, la diminution des incursions de l’armée d’occupation dans les zones « autonomes » palestiniennes ou même la lutte contre la criminalité dans la zone C, sous contrôle israélien exclusif selon les accords d’Oslo.
La coordination sécuritaire s’est alors limitée à deux aspects principaux : la gestion des déplacements des Palestiniens aux frontières et le contrôle de l’activisme politique palestinien. La sécurité en question servait strictement les intérêts d’Israël et de l’occupation.
Pour ces pays, il fallait traiter les effets secondaires de l’occupation et non pas l’occupation elle-même. C’est ce principe fondamental que l’on retrouve dans le plan de Donald Trump
Cette même logique s’est manifestée dans sa forme la plus radicale après les élections parlementaires palestiniennes de 2006, remportées par le Hamas. Le boycott européen et américain de l’Autorité palestinienne, qui a suivi les élections et qui s’est maintenu malgré la formation d’un gouvernement pluraliste d’union nationale, expliquait aux Palestiniens qu’ils avaient mal voté, et qu’ils avaient raté leur réforme.
On retrouve cette même logique de manière plus directe dans le conditionnement politique du financement des organisations de la société civile palestinienne par les États-Unis.
Depuis la fin de la deuxième Intifada, l’agence de développement américaine, USAID, a commencé à imposer aux ONG palestiniennes la signature d’un document de « lutte contre le terrorisme » par lequel elles s’engagent à ne pas employer ni servir aucun Palestinien ou Palestinienne ayant des relations, présentes ou passées, avec la majeure partie des factions politiques palestiniennes, jugées par les États-Unis comme « terroristes ».
Il s’agissait alors d’obliger la société civile palestinienne à adopter la terminologie israélienne pour désigner l’action politique palestinienne, dénoncer la résistance et se dissocier de l’histoire de la lutte du peuple palestinien. La société civile palestinienne a catégoriquement rejeté ses conditions, et les États-Unis ont alors arrêté le financement de projets dans le territoire palestinien en 2011.
De manière similaire, en juillet 2019, à la veille de l’annonce pressentie du plan de Trump, l’Union européenne a adopté des clauses « anti-terrorisme » conditionnant son financement des organisations civiles palestiniennes. Cette fois encore, la société civile palestinienne a rejeté ses conditions, comme l’atteste une déclaration signée par une quarantaine d’associations et de syndicats.
La voix palestinienne absente
Mis à part le style particulier de Trump, qui viole les règles établies dans toutes ses actions, son plan de paix ne présente pas une logique nouvelle. Au contraire, il représente l’aboutissement de la longue trajectoire adoptée par les grandes puissances mondiales dans le traitement de la question palestinienne.
Ce traitement se base sur le principe consistant à ignorer ou naturaliser ses causes profondes, adressant seulement les conséquences pour Israël.
Si l’on étudie les raisons qui ont amené à cette vision, on retrouve sans nul doute la responsabilité des leaders palestiniens, mais aussi les rapports de force et d’intérêts.
Au centre de cette problématique, se trouve également la longue et lourde absence de la voix palestinienne – la version palestinienne des événements. La perception du conflit du seul point de vue israélien rend impossible l’identification aux Palestiniens – et donc la compréhension des injustices qu’ils vivent –, un élément pourtant essentiel pour équilibrer le débat auprès de l’opinion publique internationale.
- Qassam Muaddi est un journaliste palestinien basé à Ramallah. Il rend compte des développements politiques, des mouvements sociaux et des questions culturelles en Palestine.
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