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La tactique turque en Libye paie… pour l’instant

Malgré la récente progression d’Ankara et du Gouvernement d’union nationale, leurs avancées restent fragiles et n’aboutissent à rien
Des combattants fidèles au GNA se réjouissent d’avoir pris le contrôle de la ville côtière libyenne de Sabratha, le 13 avril (AFP)
Des combattants fidèles au GNA se réjouissent d’avoir pris le contrôle de la ville côtière libyenne de Sabratha, le 13 avril (AFP)

Lorsqu’il a lancé sa sanglante campagne pour prendre Tripoli au Gouvernement d’union nationale (GNA) libyen reconnu par l’ONU en avril 2019, le maréchal Khalifa Haftar et son Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée s’attendaient à une victoire rapide et décisive. 

Soutenu par les Émirats arabes unis et l’Égypte, avec le feu vert de l’administration Trump et le renfort du groupe russe Wagner et des mercenaires de divers pays, Haftar était convaincu qu’une victoire totale – qui aurait ouvert la voie à la création d’une dictature militaire à l’égyptienne à Tripoli – était tout à fait à portée de main. 

À mesure de la progression de l’offensive de Haftar, le GNA s’est désespérément mis en quête d’un soutien régional et international. Face à la perspective de la chute de son allié, la Turquie est intervenue pour accroître son soutien militaire au GNA. 

En novembre dernier, la Turquie a signé deux accords avec le GNA : l’un en matière de délimitation des zones de juridiction maritime en mer Méditerranée, dont la légalité est contestée par de nombreux acteurs, et l’autre en matière de sécurité et de coopération militaire. 

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À travers le premier accord, la Turquie cherchait à saper le cadre en matière de sécurité et d’énergie en Méditerranée orientale, centré sur la coopération entre l’Égypte, Israël, la Grèce et Chypre.

En fait, c’était l’un des trois objectifs cruciaux que la Turquie voulait atteindre grâce à son incursion en Libye, outre le désir d’Ankara de faire pencher la balance en sa faveur dans la lutte de pouvoir avec certains rivaux régionaux tels que les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Arabie saoudite, et de sécuriser ses intérêts financiers et énergétiques en Libye et dans la Méditerranée orientale au sens large. 

Craignant un retour de bâton européen et un isolement international, le GNA n’a pas voulu signer un tel accord pendant longtemps, malgré la pression turque – en fait, cet accord concernait davantage la Turquie que la Libye, et pour le GNA, c’était le prix à payer afin d’obtenir le soutien militaire de la Turquie.

Puisque son appel à l’aide n’a pas été entendu, tant au niveau régional qu’international, que le GNA a signé. Dans un sens, pour le GNA, le premier accord était une condition préalable à remplir pour parvenir au second.

Avec le second accord en matière de sécurité et de coopération militaire, Ankara s’est effectivement engagé à protéger le GNA. La Turquie a fourni du matériel militaire et transféré des mercenaires syriens en Libye pour combattre au nom du GNA.

La Russie transférant également de son côté des mercenaires syriens pro-régime en Libye pour combattre au nom de Haftar, la guerre civile syrienne s’exporte entièrement en Libye.  

La Russie transférant également de son côté des mercenaires syriens pro-régime en Libye pour combattre au nom de Haftar, la guerre civile syrienne s’exporte entièrement en Libye 

L’objectif de la Turquie est d’empêcher la chute du GNA et d’ouvrir la voie à un processus politique en étant en position de force.

Pendant une brève période, la Turquie et la Russie ont semblé appliquer leur recette d’Astana pour la Syrie à la Libye en organisant une réunion entre les belligérants à Moscou en janvier, mais elle a failli lorsque Haftar est parti sans signer l’accord. 

Dans ce contexte, la conférence de Berlin en janvier n’a produit aucun résultat significatif. Au lieu de cela, le camp de Haftar est revenu à sa stratégie de solution militaire, et le GNA a fait de même. 

Simultanément, la Turquie a fait monter les enjeux en ce qui concerne son engagement militaire et politique envers le GNA. Elle a d’abord établi une supériorité aérienne autour de Tripoli, puis dans d’autres régions de l’ouest de la Libye.

Elle a fourni au GNA des drones armés, des systèmes de missiles, des véhicules militaires et des brouilleurs de radar, tandis que des frégates turques ont fourni un soutien au GNA au large des côtes de l’ouest de la Libye. Ankara a également déployé du personnel militaire à des fins de formation et de planification stratégique.

Deux objectifs interdépendants

La plus grande implication militaire de la Turquie en Libye a récemment commencé à porter ses fruits. Le mois dernier, les forces du GNA ont pris le contrôle de sept villes de l’ouest de la Libye, y compris les villes côtières stratégiquement importantes de Sabratha, Sorman et Al-Ajaylat.

Le GNA a également sécurisé la route de la frontière tunisienne à Tripoli, et entre Tripoli et Misrata. 

Traduction : «2- Sans aucun doute, la perte d’al-Watiya affectera le moral des forces de l’ANL ailleurs. En prenant al-Watiya, le GNA pourra libérer des ressources/forces pour la banlieue sud de #Tripoli. Cela exercera une pression sans précédent sur les forces de l’ANL qui y sont stationnées. Tarhounah devient la prochaine cible. #Libye

3- La base aérienne d’al-Watiya est la bonne nouvelle promise par #Erdoğan il y a quelques semaines. La #Turquie cherchera à utiliser la base aérienne pour accroître sa présence dans l’ouest de la #Libye et équipera la base avec des ressources qui façonneront l’empreinte militaire et les opérations de la #Turquie à l’avenir.»

Subissant d’importants revers, l’ANL de Haftar  a annoncé une trêve, le mois sacré musulman du Ramadan offrant un bon prétexte, le 30 avril.

Consciente des résultats des cessez-le-feu précédents, qui n’ont pas duré longtemps, et pensant que l’ANL pouvait utiliser n’importe quelle période de trêve pour se consolider sur le plan militaire, le GNA a catégoriquement rejeté cet appel. 

Tirant parti de leur récente progression militaire, la Turquie et le GNA ont les yeux rivés sur deux objectifs interdépendants. Premièrement, comme l’illustrent les récentes attaques à la roquette des forces de Haftar, qui ont touché des zones autour de la résidence de l’ambassadeur d’Italie et de l’ambassade de Turquie, Tripoli reste à portée de bombardement par les forces de Haftar.

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Le GNA va maintenant essayer de repousser les combattants de Haftar de leurs bases restantes près de Tripoli.

Deuxièmement, étant donné que Tarhounah est un poste de transit et de logistique clé pour Haftar dans l’ouest de la Libye, le GNA s’efforcera de chasser les forces de l’ALN de la ville. 

Couplé avec les récents gains territoriaux du GNA, l’objectif ultime semble être le contrôle complet du GNA sur l’ouest de la Libye. 

À cet égard, la récente capture par le GNA de la base aérienne stratégique d’al-Watiya des forces de Haftar est un pas important dans cette direction.

Pourtant, malgré la récente progression de la Turquie et du GNA, leurs avancées restent précaires et peu décisives. Il n’y a aucun signe de fin du conflit. Au lieu de cela, il est très probable que le camp pro-Haftar intensifiera son soutien militaire au maréchal, exacerbant et compliquant davantage le conflit. 

De plus, pour traduire les avancées militaires en avancées politiques, Ankara doit avoir une plus grande coordination politique, en particulier avec les pays largement favorables au GNA comme l’Italie et l’Allemagne.

Dans la même veine, les Européens doivent adopter une position plus ferme en rejetant la quête, désormais intenable, de Haftar d’une dictature militaire en Libye.  

Comme c’est le cas avec le transfert de mercenaires syriens en Libye, les deux parties au conflit libyen et leurs partisans opèrent de plus en plus avec peu de recours au déni.

Une telle escalade nécessitera non seulement un engagement militaire accru et une responsabilité directe de la Turquie, mais elle exigera également que le gouvernement gère le front intérieur. Beaucoup ont affirmé que l’intervention libyenne n’était pas si populaire en Turquie.  

En effet, des signes indiquent une fatigue sociétale vis-à-vis des campagnes militaires de la Turquie à l’étranger. Le soutien du public à la récente intervention à Idleb de la Turquie était nettement inférieur à celui des autres campagnes militaires de la Turquie en Syrie.

La pandémie de coronavirus pourrait raffermir davantage cet état d’esprit, de sorte que le gouvernement doit être conscient des perceptions populaires tout en préparant la prochaine phase de sa campagne en Libye. 

Position de l’opinion publique

Un sondage en janvier a révélé que 58 % des Turcs interrogés étaient opposés au déploiement de soldats turcs en Libye.

En revanche, à l’exclusion des récentes opérations d’Idleb, le soutien aux précédentes opérations syriennes de la Turquie était beaucoup plus élevé, autour de 75 %. Un autre sondage de décembre dernier a indiqué que seuls 38 % des répondants soutiennent le déploiement militaire en Libye.

La pandémie de coronavirus augmentera probablement la remise en cause par le public des campagnes militaires étrangères

Ces résultats indiquent la position de l’opinion publique sur la politique de la Turquie en Libye, montrant que le gouvernement doit faire preuve de prudence dans sa gestion.

Mais le gouvernement peut présenter sa politique libyenne différemment en la reliant à sa politique chypriote et plus largement vis-à-vis de la Méditerranée orientale. Le haut niveau de soutien aux opérations turques en Syrie était principalement motivé par des facteurs liés à la politique régionale kurde, plutôt que par la dynamique syrienne en soi. 

Le verdict public sur la tactique turque de la Libye sera façonné rétrospectivement. Le soutien à la politique de la Turquie en Libye sera également basé sur sa perception comme un succès ou un échec. Alors que les récents revers de la Turquie à Idleb sont de mauvais augure, les récents gains en Libye devraient avoir l’effet inverse. 

Dans le même temps, la pandémie de coronavirus augmentera probablement la remise en cause par le public des campagnes militaires étrangères. Ankara aura du mal à éviter toute importante perte de vies humaines pour ses soldats, tout en conservant l’image d’une politique réussie pour cultiver le soutien à ses opérations en Libye. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

- Galip Dalay est chercheur dans le cadre de la bourse Richard von Weizsäcker à la Robert Bosch Academy et chercheur associé au Brookings Doha Center. Dalay est également affilié à l’Université d’Oxford.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Galip Dalay is a Richard von Weizsäcker Fellow at the Robert Bosch Academy. He is also an Associate Fellow at the Chatham House, a doctoral researcher at the History Faculty, University of Oxford, and a non-resident fellow at Brookings Doha Center
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