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Les enregistrements de Mekameleen pourraient faire tomber le gouvernement Sissi

Les enregistrements audio récemment divulgués, qui semblent indiquer que de hauts responsables égyptiens ont fabriqué des preuves en vue du procès de l'ancien président Mohammed Morsi, ont été vérifiés indépendamment
Les voix contenues dans l'enregistrement audio sont apparemment celles de hauts responsables du bureau d'Abdel Fattah al-Sissi.

La police britannique, qui enquête sur des allégations de commandement et contrôle d'actes de torture et de mauvais traitements de prisonniers par le gouvernement égyptien, a obtenu des preuves authentifiant un enregistrement secret dans lequel de hauts responsables du cabinet d'Abdel Fattah al-Sissi discutent des moyens de fabriquer des preuves sur la détention initiale de Mohammed Morsi, qui était illégale.

L'authentification est déterminante en vue de poursuites judiciaires en Grande-Bretagne, dans la mesure où le contenu de l'enregistrement établit le rôle central joué par le maréchal Sissi et ses proches collaborateurs dans l'administration des détentions et les violations de l’Etat de droit en Egypte. Si cet enregistrement est accepté par le service du procureur de la Couronne britannique, il pourrait être utilisé pour arrêter des ministres et des généraux égyptiens, qu’ils soient encore en service ou non, s'ils relèvent de la compétence des tribunaux britanniques, a expliqué un conseiller juridique à Middle East Eye.

Des preuves judiciaires solides

Une section de trente minutes d'enregistrement audio a été examinée par le principal laboratoire britannique d'analyse judiciaire de discours et de contenus acoustiques, JP French Associates, qui est dirigé par Peter French, professeur de sciences judiciaires du discours à l'université de York. Le laboratoire apporte aux tribunaux britanniques des analyses judiciaires de voix et propose des conseils et des formations aux organismes internationaux de maintien de l’ordre.

L'équipe d'analyse judiciaire a été chargée de déterminer si la voix du principal participant aux discussions, le général Mamdouh Shahin, conseiller juridique du Conseil suprême des forces armées (CSFA), était authentique.

L'enregistrement a été comparé à d'autres échantillons de sa voix. Dans son rapport, l'équipe d'analyse judiciaire conclut ainsi : « Nous avons évalué la probabilité de retrouver dans les enregistrements qui font l’objet de l’analyse certaines caractéristiques propres au discours de Mamdouh Shahin, par rapport à la probabilité de les retrouver si le locuteur était une autre personne. En accomplissant cette tâche, nous avons examiné le degré de similitude entre les enregistrements de référence et les enregistrements mis en cause. »

« Nous avons également examiné le caractère typique ou distinctif des caractéristiques retrouvées dans les enregistrements analysés, dans la mesure où ceci affecte le nombre de locuteurs d'une variété linguistique comparable susceptibles de partager ces caractéristiques. Sur la base de ces évaluations, nous pensons que la preuve appuie fortement l'idée que le locuteur ayant fait l'objet de l'analyse est M. Mamdouh Shahin. »

JP French a rejeté la possibilité que les enregistrements, diffusés par Mekameleen, une chaîne satellitaire turque pro-Frères musulmans, aient été montés de toutes pièces ou manipulés électroniquement.

Dans son rapport, le laboratoire a déclaré : « Rien n'indique que les contenus oraux entendus dans les enregistrements ont été fabriqués en rassemblant une multitude de segments de parole et d'énoncés de courte durée. Il serait très difficile de créer une conversation convaincante de cette façon. En outre, les contenus oraux comportent les caractéristiques de conversations naturelles que l’on s’attend à trouver dans un enregistrement authentique. »

C'est la première fois qu'une enquête est réalisée sur un enregistrement diffusé par Mekameleen, et son authenticité ouvre la porte à d'autres examens judiciaires d'enregistrements, d'après des sources proches de la chaîne satellitaire.

Outre la police britannique, l'élément de preuve sera également envoyé à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, qui a ordonné l'an dernier un moratoire sur les condamnations à mort en Egypte, ainsi qu'à la Commission des droits de l'homme des Nations unies.

L'authentification de l'enregistrement affaiblit davantage le président Sissi aux yeux de son donateur principal du Golfe, l'Arabie saoudite. Dans des conversations divulguées ultérieurement, Abdel Fattah al-Sissi et son cabinet officieux dénigrent leurs donateurs du Golfe, les qualifiant de « demi-Etats », et discutent des moyens d’acheminer l'argent que l'Egypte reçoit de l'Arabie saoudite, du Koweït et des Emirats arabes unis vers des comptes bancaires utilisés par l'armée égyptienne.

Lors d'un discours prononcé ce dimanche, Sissi s'est directement adressé à ses « frères du Golfe » : « La technologie est utilisée dans le but d'atteindre des objectifs. Je ne franchis pas les limites, alors comment pourrais-je permettre à quelqu'un de les franchir devant moi ? [...] Nos frères du Golfe doivent savoir que nous les respectons profondément et que nous devons nous montrer vigilants face à ce qui est perpétré dans le but de créer la division et la dissension. »

« J'ai rencontré toutes les composantes de la société égyptienne, j'ai tenu des discours qui peuvent représenter jusqu'à mille heures d'enregistrement. Dans ces mille heures, pas le moindre abus ni le moindre propos désobligeant envers une personne, un Etat, une faction, un groupe ou une entité ne sort de ma bouche. »

« La contrefaçon est à l’ordre du jour »

Les enregistrements authentifiés reprennent une conversation entre plusieurs conseillers de haut rang d’Abdel Fattah al-Sissi confrontés au problème posé par la détention initiale de Mohammed Morsi, qui était illégale en vertu de la loi égyptienne. Morsi était détenu dans une caserne militaire au sein de la base navale d'Aboukir, près d'Alexandrie, alors que les procureurs  du gouvernement ont affirmé lors d'une audience du tribunal qu’il était détenu par le ministère de l'Intérieur.

Dans les enregistrements, Mamdouh Shahin déclare que si les procureurs perdaient au tribunal au sujet de la détention de Morsi, le reste de l'affaire le concernant, c'est-à-dire « les accusations d'espionnage et l'affaire de meurtre [contre Morsi] de l'Ittihadia [le palais présidentiel], tomberait à l'eau ».

Shahin indique à Abbas Kamel, directeur du bureau de Sissi, qu'ils doivent fournir aux procureurs un mandat d'arrêt signé par le général Mohamed Ibrahim, ministre de l'Intérieur, et « antidaté au jour du coup d'Etat ». Shahin demande à Ibrahim de s'assurer que le mandat d'arrêt soit imprimé dans les archives officielles du gouvernement, de sorte qu’il ait l'air légitime.

Shahin et Kamel s’entretiennent ensuite avec le général Oussama el-Gendy, chef des forces navales et commandant de la base militaire dans laquelle Morsi était initialement détenu. Shahin tente de convaincre son interlocuteur, sceptique, de remettre sa base au ministère de l'Intérieur afin qu’il lui donne l’apparence d’une prison.

Kamel et Shahin évoquent ensuite l'idée d'envoyer des gardiens de prison dans cette base fraîchement convertie en centre de détention, ainsi que de concocter des rapports de visite de dirigeants africains et d'avocats égyptiens spécialisés dans les droits de l'homme, avec de vraies dates et de vrais noms de délégations. Pour rendre tout cela encore plus authentique, Kamel suggère d'ajouter une salle de torture pour montrer comment les prisonniers sont pendus par les pieds. Shahin ajoute en plaisantant : « A vos ordres, toujours. La contrefaçon est à l’ordre du jour. »

Rodney Dixon, un avocat de la Couronne qui intervient dans les procédures internationales aux côtés de Morsi et du Parti Liberté et Justice, a indiqué que « l'authentification des enregistrements est assez concluante. Ces enregistrements montrent jusqu'où le gouvernement égyptien est prêt à descendre pour manipuler le processus juridique et contourner l’Etat de droit et les normes internationales. Ils montrent que le processus juridique n'est pas indépendant du gouvernement. »

Dixon a déclaré qu'il mettrait l'élément de preuve à la disposition non seulement de l'équipe juridique de Morsi en Egypte, mais également de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ainsi que de la police britannique. « Au Royaume-Uni, bien que cet élément de preuve ne permette pas directement de savoir si la torture a été employée, il montre à quel point le gouvernement égyptien s'est installé dans une position de commandement et de contrôle. Nous demanderons à la police d'en tenir compte afin de déterminer la responsabilité des membres du gouvernement vis-à-vis des mauvais traitements infligés aux détenus. »

Traduction de l'anglais (original).

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