Yémen : toujours plus d’affrontements à l'horizon
Malgré la nomination la semaine dernière d'un nouvel émissaire de l’ONU pour la paix au Yémen, et en dépit des appels au dialogue et des propositions émanant des parties prenantes au conflit, rien à l'horizon ne laisse présager que de véritables pourparlers auront lieu prochainement. Les actes de défiance et les déclarations provenant des deux côtés suggèrent que chacun croit que le temps et les circonstances jouent en sa faveur, et que la poursuite des hostilités se traduira par des conditions plus favorables une fois à la table des négociations.
L’annonce faite par l’Iran la semaine dernière d'un cessez-le feu imminent n’a abouti à rien, et la fin annoncée de l'opération Tempête décisive conduite par l’Arabie saoudite n'a pas atténué les combats. Au contraire, les frappes aériennes se sont poursuivies et les combats au sol se sont intensifiés.
Des combattants yéménites ont déclaré qu'ils allaient attaquer les Houthis soutenus par l’Iran ainsi que les forces fidèles au Président déchu Ali Abdallah Saleh même dans le cas où les frappes aériennes s’arrêteraient. Pendant ce temps, Riyad arme et entraîne des tribus yéménites, et rassemble sa garde nationale à la frontière.
Les Houthis ont rechigné devant les conditions imposées par l'Arabie saoudite et par le gouvernement internationalement reconnu du Yémen, à savoir déposer les armes et se retirer des territoires conquis, y compris de la capitale Sanaa, avant que les négociations ne puissent avoir lieu.
Le gouvernement yéménite a répondu à l’appel de Saleh en faveur des pourparlers de paix (un Saleh dont les décennies de pouvoir dictatorial ont mené à la révolution populaire qui a entraîné sa destitution, et dont les forces se battent aux côtés des Houthis) en insistant sur le fait qu’« il ne peut y avoir aucune place » pour lui « dans aucune des discussions politiques à venir ».
En fait, malgré les déclarations mutuelles sur la nécessité du dialogue, les belligérants se préparent à un conflit croissant, confiants en leur victoire.
Les avantages de la coalition
Riyad est conscient qu'il détient un avantage militaire notable. Il a pu facilement et rapidement mettre en place une coalition régionale, et dispose d’une suprématie aérienne sur le Yémen ainsi que de diverses forces alliées sur le terrain. Enfin, il est soutenu par ses alliés occidentaux (Washington a intensifié les livraisons d'armes à la coalition).
D’autre part, les Houthis et Saleh sont relativement isolés sur les plans régional et international. L'Iran, qui soutient les Houthis, n’a pas la même amplitude d’action au Yémen que celle dont il dispose en Syrie ou en Irak, notamment parce que le Yémen est géographiquement plus éloigné et se trouve sous le blocus de la coalition. Aussi, est-il difficile pour les Houthis ou pour Saleh de recevoir des armes ou de bénéficier de l’aide de combattants étrangers.
La conscience de ce manque de marge de manœuvre de l’Iran a probablement contribué au rejet par les gouvernements saoudien et yéménite de la médiation de Téhéran, lequel avait proposé, au début de ce mois, un plan de paix en quatre points.
« Tout effort de médiation venant de l'Iran est inacceptable parce que l'Iran est impliqué dans la crise yéménite », avait déclaré Riyad Yassin, ministre yéménite des Affaires étrangères. « L'Iran est devenu une partie importante de la crise yéménite et ceux qui sont partie prenante à la crise [...] ne peuvent pas en devenir des médiateurs. »
Saleh et les Houthis ont été encore plus isolés par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU datant du 14 avril qui impose un embargo sur les armes à destination des Houthis, exige que ceux-ci se retirent des territoire conquis, et ordonne un gel des fonds internationaux appartenant au fils de Saleh, Ahmed, et au chef des Houthis, Abdul Malik al-Houthi, en plus d’une interdiction de voyager.
Les Houthis « ont tenté de remplacer unilatéralement le gouvernement légitime du Yémen par une autorité gouvernementale illégitime dominée par les Houthis », énonce la dite-résolution, qui a été soutenue par les quinze membres du Conseil de sécurité, sauf un.
Fidèle alliée de l'Iran, la Russie - qui a ouvertement critiqué l'opération Tempête décisive - s’est abstenue au lieu d'utiliser son droit de veto. D'autres pays ayant exprimé une opposition - ou tout au moins des réserves – à cette opération ont pris soin d'éviter de nuire à leurs relations avec les membres de la coalition, qui compte les Etats du Golfe riches en gaz et en pétrole et des pays géopolitiquement importants tels que l'Egypte et la Jordanie.
La coalition a réussi à détruire une grande partie de l'armement lourd des Houthis et de Saleh, et les forces loyales à ce dernier ont, d’après certaines informations, fait défection au profit du gouvernement yéménite. Plus encore, l'alliance entre les Houthis et Saleh se fonde davantage sur des intérêts mutuels que sur la confiance, l'amitié ou une entente idéologique.
Ces improbables partenaires étaient en guerre l’un contre l’autre de 2004 à 2010, et les Houthis avaient rejoint la révolte contre Saleh. Dès lors, la solidité et la longévité de cette alliance est discutable.
Les problèmes à venir
Compte tenu de tous ces éléments, Riyad estime d’une part qu'il peut poursuivre ses opérations au moins à moyen terme, et d’autre part que ses adversaires ne peuvent pas résister à une guerre d'usure. Cependant, plus cette situation dure, plus le royaume risque d’être confronté à un certain nombre de problèmes. Un conflit prolongé pourrait faire peser des tensions sur la coalition et, au final, certains membres pourraient s’en retirer ou diminuer leur contribution.
Il pourrait également éroder le soutien extérieur et même national en faveur de l’opération militaire parmi les Etats membres de la coalition et parmi les Yéménites, et encourager ainsi des critiques plus virulentes, si aucune lumière n’est visible au bout du tunnel. Jusqu'à présent, la campagne ne saurait être décrite comme un succès.
« Les principaux objectifs de l'opération Tempête décisive ont été atteints », a déclaré le général de brigade et porte-parole saoudien Ahmed al-Assiri en annonçant la fin de l’opération. « Les opérations ont été menées avec précision » et « le citoyen yéménite est à l’abri du danger », a-t-il ajouté. « Le gouvernement yéménite va maintenant procéder aux opérations nécessaires à la restauration et reconstruction du pays. »
Cependant, le nombre croissant de victimes civiles remet en question la précision des frappes aériennes. En outre, une catastrophe humanitaire se profile, la campagne militaire a jusqu'à présent échoué à modifier de façon significative l'équilibre du pouvoir dans le pays, al-Qaïda dans la péninsule arabique a gagné du terrain, et l'Etat islamique y a pris pied. Rien de tout cela ne suggère que les Yéménites sont « à l’abri du danger ».
En outre, comment le gouvernement yéménite pourrait-il commencer à « restaurer et reconstruire le pays » s’il se trouve toujours en exil, et que la perspective de son retour à Sanaa dans un avenir proche demeure distante ?
Plus le conflit se poursuit, plus il sera difficile pour les parties de prétendre raisonnablement à la victoire sur les ruines d'une nation brisée, appauvrie et divisée. Chacune pense que le temps joue en sa faveur, mais le temps est un luxe que les Yéménites ne peuvent se permettre.
- Sharif Nashashibi est un journaliste primé spécialisé dans l'analyse des questions arabes. Il écrit régulièrement pour la chaîne d'information Al-Arabiya, Al-Jazeera anglais, le journal The National et le magazine The Middle East. En 2008, il a été récompensé par l’International Media Council (Conseil international des médias) « pour avoir réalisé et contribué à des reportages systématiquement objectifs » sur le Moyen-Orient.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : combattants houthis dans la capitale du Yémen, Sanaa (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Hassina Mechaï.
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