Les tatouages tabous d’Égypte
LE CAIRE – Tout a commencé il y a douze ans alors qu’Osama Dawood rendait visite à sa famille à San Diego, en Californie. C'était la première fois qu’il voyait un salon de tatouage et il a été séduit. L’art du tatouage l’a tellement fasciné qu’il a prolongé son séjour de cinq mois pour apprendre le métier de tatoueur.
Osama Dawood est revenu en Egypte déterminé à ouvrir un salon de tatouage dans son propre pays. Cependant, il a été confronté au premier des nombreux problèmes qui l’attendaient : le gouvernement a refusé de lui délivrer l’autorisation pour ouvrir le salon. En fait, le gouvernement égyptien n’a même pas de licence officielle pour les tatouages à lui délivrer.
Il a dû déménager à Charm el-Cheikh, où il a commencé à travailler avec les touristes dans les hôtels. En sillonnant les plages, il a trouvé des clients avec lesquels il pouvait exercer ses compétences nouvellement acquises. Il a passé cinq ans là-bas.
« La plupart de mes clients étaient étrangers. A cette époque, je discutais avec beaucoup d’Egyptiens qui souhaitaient faire un tatouage, mais il y avait toujours des obstacles invisibles et leurs inquiétudes face à la désapprobation sociale qui les empêchait de passer à l’acte », explique Osama Dawood à Middle East Eye. « Les très rares Egyptiens que j’ai tatoués à cette époque étaient des Egyptiens qui avaient vécu à l’étranger pendant un certain temps ou qui avaient été longuement en contact avec des étrangers à un moment donné de leur vie. »
Osama Dawood a été confronté à un autre problème. Il a essayé de se procurer des encres de tatouage et certains équipements à l’étranger mais à l’aéroport, les douanes égyptiennes n’autorisaient pas ces marchandises. Le ministère de la Santé lui a également refusé la permission et le ministère de l’Intérieur a déclaré que son équipement était dangereux.
« C’était vraiment ridicule et frustrant », raconte-t-il. « Le matériel que j’avais commandé était très cher et m’avait coûté beaucoup d’argent, mais je ne pouvais pas le récupérer. » Afin de contourner ce problème, Osama Dawood a demandé à divers parents qui vivaient à l’étranger de lui apporter le matériel dont il avait besoin quand ils revenaient en Egypte et de déclarer à la douane que ces articles étaient destinés à un usage personnel. En l’absence d’alternatives, il a continué à s’approvisionner ainsi.
Osama Dawood a déclaré qu’il aurait pu continuer à travailler à Charm el-Cheikh pour le reste de sa vie, mais vint la révolution du 25 janvier qui a renversé Hosni Moubarak, et tous les touristes en Egypte sont repartis vers leur pays. Osama Dawood s’est retrouvé sans emploi et a eu une idée qui l’aiderait à ouvrir son salon. Il obtiendrait une licence de « barbier »-coiffeur et, par ce biais, lancerait enfin son salon de tatouage. Personne au gouvernement ne le saurait, supposait-il, puisque généralement personne ne s’intéresse à de telles choses en Egypte. Il n’aimait pas l’idée, mais c’était le seul moyen dont il disposait pour que son salon devienne réalité.
Il a créé une page Facebook et après l’ouverture du salon à Shoubra, un quartier de classe moyenne du Caire, il a eu une agréable surprise : à son grand étonnement, les clients égyptiens ont inondé sa boutique.
« La révolution a changé quelque chose aux idées sociales et religieuses dominantes ; les jeunes hommes se sentaient libres et cela stimulait leur envie de découvrir de nouvelles choses et de faire des choses qu’ils n’avaient pas osé faire avant à cause de la société, des parents ou de la religion. »
MEE lui a demandé comment la plupart des gens composait avec le fait que, pour la majorité musulmane, les tatouages sont interdits par les lois de la religion. « Environ 80 % des jeunes qui viennent dans mon salon sont musulmans ; l’islam l’interdit parce que vous ne pouvez pas effacer le tatouage. Il y a vingt ans, il n’existait aucun moyen d’enlever les tatouages, mais désormais vous pouvez facilement les enlever au laser et aussi longtemps que vous pouvez les effacer, de nombreuses personnes et cheikhs musulmans pensent maintenant qu’il n'y pas pas de problème à avoir un tatouage. »
Toutefois, cela n’enlève rien au fait qu’il existe des personnes qui regardent différemment Osama Dawood quand ils découvrent les tatouages sur ses bras ou lorsqu’ils apprennent quel est son travail, et il a été victime d’insultes.
« Il y a eu ce gars qui a réussi à obtenir mon numéro de téléphone à partir de ma page Facebook et il me téléphonait sans cesse et chaque fois que je décrochais, il m’insultait. Il a fait ça pendant une semaine environ, me causant beaucoup de problèmes avec mes clients puisque beaucoup d’entre eux ne pouvaient pas me joindre. » Dawood a également raconté être tombé dans une embuscade tendue par un « cheikh fanatique » qui vit près du salon.
« J’ai garé ma voiture en face du salon et, alors que je sortais, il m’a attaqué par derrière, prétendant que je suis maudit à cause de ce que je fais. Les gens de la rue m’ont aidé et l’ont arrêté, mais j’ai dû déposer plainte contre lui au commissariat. »
MEE a découvert qu’Osama Dawood est le seul Egyptien à être un tatoueur professionnel à succès au Caire. Interrogé sur ce qu’il en était, il a expliqué : « Je cherche à moderniser mon équipement fréquemment. Comme je travaille ici au salon – non pas dans des arrière-salles comme la plupart des autres tatoueurs, les gens me font davantage confiance. En plus, je fais cela depuis environ dix ans. Beaucoup de gens me connaissent et cela m’aide à avoir davantage de clients. »
Un de ces clients est Mina Reffat, un jeune homme qui a accepté d’être photographié pendant qu’il se faisait tatouer. Lorsque MEE lui a demandé pourquoi il se faisait tatouer, il a répondu : « Je pense que ce tatouage est une façon de me différencier des autres. C’est mon deuxième tatouage ; le premier était un tatouage religieux pour montrer ma fierté d’être chrétien, celui-ci est écrit en latin et signifie "la vie continue". J’espère faire un tatouage qui couvre l’ensemble de mon bras droit à l’avenir. »
Une autre cliente, Dalia Ahmed, est une femme mariée âgée de 31 ans qui a eu un accident de voiture il y a six mois, lui laissant une grande cicatrice dans le dos. Elle s’est adressée à Osama Dawood pour faire un grand tatouage la couvrant – une fleur rouge. Elle a déclaré à MEE : «La plupart des gens que je rencontre pensent que le tatouage est une façon de vous enlaidir, pour vous lacérer, mais en fait c’est un moyen de vous embellir. Je n’aimais pas ce à quoi je ressemblais après l’accident et j’avais remarqué que mon mari non plus. Avec la grande fleur sur mon dos je me sens à nouveau belle et j’ai retrouvé confiance en moi. »
Ahmed Meghary, 18 ans, est venu voir Osama Dawood pour un petit tatouage sur le doigt. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi faire un aussi petit tatouage, Meghary a expliqué : « Je ne sais pas quelle sera la réaction de mes parents quand ils verront le tatouage, donc je vais commencer par un petit. S’ils ne se mettent pas en colère, j’en ferai un plus gros. »
Seif Mohamed, 23 ans, a davantage d’expérience en ce qui concerne les tatouages. Osama Dawood lui a déjà fait deux tatouages et va lui en faire un troisième. Mohamed vient d’une famille riche et voyage beaucoup. Il est récemment revenu des Pays-Bas, où il a essayé la marijuana pour la première fois. Il a tellement apprécié qu’il a demandé à Osama Dawood de lui faire une feuille de marijuana pour son troisième tatouage.
Mohamed a raconté à MEE qu’un incident s’était produit dans le métro. « Je portais un T-shirt sans manches et ce gars me regardait, les yeux fixés sur mon bras, puis il s’est approché et a demandé quelle était cette chose sur mon bras. Je lui ai dit que c’était un tatouage. Il ne cessait de me dire que c’est "haram" [interdit], que je suis maudit et que je dois l’enlever immédiatement. Je suis finalement sorti du métro sans atteindre ma destination juste pour me débarrasser de ce gars ! »
Malgré la nature taboue de son travail, Osama Dawood a affirmé à MEE qu’il était déterminé à poursuivre en dépit des obstacles.
« Je sais que de nombreuses difficultés m’attendent encore, mais je crois également que ce que je fais est une véritable forme d’art et je vais continuer à exercer, en espérant que notre culture égyptienne évolue et se développe jusqu’à enfin comprendre et coexister avec ceux qui sont différents. »
Traduction de l’anglais (original).
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