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Violer pour faire taire : l’Égypte de Sissi viole ses citoyens pour les faire rentrer dans le rang

Cette semaine, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) a publié un rapport alarmant sur la systématisation des violences sexuelles perpétrées par les forces de sécurité sur les citoyens
Manifestation contre la violence sexuelle contre les femmes en Egypte, le 6 février 2013 (AFP)

Tous les protagonistes et organisations ayant accepté de témoigner dans cet article ont été anonymisés pour préserver leur sécurité.

« Ca peut arriver à n’importe qui, on t’arrête pour une raison quelconque, et on te fait toutes ces choses. Moi je me sens de plus en plus en danger », lâche A. à la terrasse d’un bar cossu de la capitale. Sur son trajet pour rejoindre ses amis, il a été contrôlé deux fois, sans raison apparente.

« Ils nous mettent la pression, toutes ces choses qu’on entend sur ce qui se passe dans les postes de police et les prisons, ça terrifie tout le monde, ils nous font rentrer dans le rang comme ça. »

Quatre ans après la révolution portée par les slogans « liberté, justice, dignité » qui avait insufflé au peuple égyptien l’espoir d’une vie meilleure, la population est étouffée par un pouvoir que les organisations de défense des droits de l’homme considèrent comme « pire que Moubarak ».

Depuis le renversement du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013 par l’armée, les autorités égyptiennes revendiquent l’arrestation de 16 000 personnes.

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Les ONG parlent de 40 000 détenus politiques. A mille lieux du deuxième canal de Suez, de la nouvelle capitale, de la grande conférence économique de Charm el-Cheikh, voilà l’autre visage de l’Egypte. Celui d’une répression aveugle qui prend des expressions effroyables.

Depuis le renversement du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013 par l’armée, les autorités égyptiennes revendiquent l’arrestation de 16 000 personnes

Cette semaine, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) a publié un rapport alarmant sur la systématisation des violences sexuelles perpétrées par les forces de sécurité sur les citoyens. Trente-deux pages dépeignant l’horreur qui se déroule dans les prisons, les commissariats, mais aussi au vu et au su de tout le monde, dans la rue, à la sortie des universités.

Des agressions qualifiées de « systématiques », malgré l’absence de chiffres. « Avec presque certitude, on peut considérer que toute personne arrêtée ou détenue est victime de violences sexuelles », estime le rapport.

« C’est le cadeau de bienvenue », lâche pleine de cynisme R., analyste pour une organisation de défense des droits des femmes.

« Je vais te montrer ce que c’est qu’un homme »

Les témoignages collectés dans le rapport de la FIDH sont glaçants et révèlent la brutalité et l’impunité des forces de sécurité dans le pays. N. y raconte comment elle a été violée dans un van de police à la sortie de l’université al-Azhar. « J’ai vu ce policier qui touchait la poitrine d’une femme, je lui ai lancé : ‘‘Si tu veux l’arrêter, arrête-la, mais tu n’as pas le droit de la toucher comme ça’’. Il m’a répondu : ‘’Tu te prends pour qui, un homme ?’’ Il m’a attrapée avec deux autres policiers. Ils m’ont frappée, insultée et m’ont emmenée dans leur van.

Ils m’ont battue jusqu’à ce que je ne puisse plus tenir debout, j’ai perdu mon voile et ils ont commencé à m’agresser. Un des policiers leur a demandé d’arrêter, mais ils lui ont demandé de se taire.

L’un d’eux m’a dit : ‘’Je vais te montrer ce que c’est un homme’’ et ils ont ri. Il a enlevé son pantalon et s’est assis sur ma poitrine, il a mis son sexe dans ma bouche, une fois, deux fois, trois fois… j’étais totalement paralysée, je me suis mise à vomir. Puis il s’est allongé sur moi. Je lui ai dit qu’il n’avait pas le droit de me faire ça. Il m’a frappé dans les jambes, les a écartées et m’a violée en m’insultant. »

Le rapport de la FIDH mentionne aussi le calvaire de ces deux jeunes hommes, violés dans un commissariat du centre-ville après une manifestation contre la répression militaire.

« Un officier m’a posé des questions mais les réponses ne lui plaisaient pas », raconte l’un d’eux, « il a demandé à un jeune policier de m’enfoncer des doigts dans l’anus. Il l’a fait, plusieurs fois. » Il y a également tous les témoignages rapportés par des proches ou des copains de cellule sortis de prison : les rapports sexuels forcés entre codétenus, l’électrocution des parties génitales, les viols et les humiliations à répétition.

Sissi, pire que Moubarak

Le rapport pointe du doigt l’impunité qui sévit dans les rangs des officiers aux uniformes noirs et beiges, surtout depuis l’arrivée d’al-Sissi au pouvoir. « Nous avons constaté depuis juillet 2013 une forte augmentation », affirme à Middle East Eye K., membre de la FIDH qui a travaillé sur cette enquête. L’une des causes est dramatiquement mathématique : « Ces deux dernières années, nous avons vu des arrestations massives, plus de personnes arrêtées et détenues, c’est plus d’opportunité de commettre de tels abus. »

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Une accélération alarmante qui, selon les humanitaires, tient en la « toute-puissance des forces de sécurité » sous un Etat qu’ils qualifient sans nuance de « policier. » « Les forces de police, militaires et du renseignement jouissent d’une telle liberté que les dérives sont tolérées et encouragées par le régime », note la FIDH.

Des « voyous » au pouvoir qui prennent aussi leur revanche sur un peuple qui les avait humiliés en 2011. « C’est une vendetta ! Il y a quatre ans le peuple a brûlé les commissariats. Avant la chute du régime, il voulait surtout la chute du ministère de l’Intérieur », rappelle à Middle East Eye S., psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes, « aujourd’hui la police se venge, elle a le pouvoir, elle veut rappeler au peuple qui est le chef. »

Mais ces agressions ne sont pas nouvelles. Elles étaient déjà légion sous Moubarak, extrêmement vivaces sous le gouvernement de transition du SCAF (Conseil suprême des forces armées) et de retour en force avec l’arrivée d’al-Sissi. Tous des pouvoirs militaires.

Un emballement également observé par Amnesty International, présente sur le terrain « Le niveau très élevé de répression implique une violence sous-jacente. Les forces de sécurité font usage de la force pour maintenir les gens dans un certain ordre et punir ceux qui iraient à l’encontre des autorités. Pour ça, elles utilisent principalement la violence sexuelle », note N., membre de la cellule Moyen-Orient d’Amnesty.

État fou ou policiers déviants ?

La question se pose pourtant. Dans quelle mesure les autorités se rendent-elles coupables de ces crimes ? Comment savoir s’ils sont le fait d’ordres donnés au sommet de l’Etat ou des dérives personnelles impossibles à colmater ? « Elles [les autorités] sont responsables à plusieurs degrés », affirment les associations, « à commencer par leur déni et leur passivité » explique la FIDH.

Le discours d’al-Sissi en juin 2014 invitant à « moraliser la société égyptienne » à la suite de graves agressions sur la place Tahrir et la création d’un office spécialisé dans la protection des femmes n’y ont rien changé. « Il n’y a eu qu’une seule condamnation de civils pour violences sexuelles, et jamais un agent de l’État n’a été inquiété pour ce genre d’abus », rappelle l’organisation à Middle East Eye.

En juillet dernier, le président du Conseil national pour les femmes, Mervet al-Telawi, déclarait d’ailleurs : « Il est impossible qu’une organisation paramilitaire comme la police puisse se rendre coupable de tels crimes », remettant publiquement en cause le témoignage d’une jeune femme qui avait fait grand bruit dans la presse.

Mais les accusations vont plus loin. « Nous n’avons pas de preuve matérielle que ces policiers reçoivent des ordres pour commettre des violences sexuelles mais les similarités dans les pratiques nous poussent à croire à un modèle généralisé dans le cadre d’une stratégie politique cynique », estime la FIDH. Un soupçon partagé par plusieurs organisations basées au Caire.

« On le sait, les policiers sont entrainés aux pratiques de tortures », confirme C, chercheuse dans un institut spécialisé dans les violations des droits fondamentaux. « Je ne suis pas sûre qu’ils le soient spécifiquement au viol mais on leur montre le chemin de manière assez crue. Des témoignages de victimes relatent des échanges en leur présence du type : ‘’Je prends celui-là, il a un beau petit cul, je te laisse la fille avec les gros seins’’ », raconte S.

Viols politiques

À cela s’ajoutent aussi des violences d’État, parfaitement assumées par les autorités qui pratiquent les célèbres « tests de virginité », examens vaginaux et anaux dans l’objectif officiel de prouver une activité sexuelle chez les personnes arrêtées. Des actes réalisés en dehors de tout cadre légal, sans justification aucune et qui visent spécifiquement des factions dérangeantes de la société dans le but de « détruire et d’humilier », affirme la FIDH. « Il y a des groupes de personnes qui sont particulièrement ciblés : les opposants politiques, les Frères musulmans, les étudiants et les minorités sexuelles. »

Autre inquiétude dont les témoins font part : les violences sur les proches de détenus, poussant certains prisonniers à refuser les visites. « Nous avons des témoignages de personnes nous expliquant qu’elles sont victimes d’agressions quand elles se rendent au parloir », explique M., à la tête d’une toute jeune association de défense des droits civiques et sociaux, à Middle East Eye.

Des faits confirmés par A., dont le père, accusé d’être un Frère musulman, est en prison depuis plus d’un an. « À chaque fois qu’on se rend à la prison, on se fait tripoter. Sous prétexte qu’il y a du monde, les policiers passent pour ‘‘rétablir l’ordre’’ et touchent tout ce qu’ils ont sous la main », explique-t-elle. « Je me suis déjà rebellée mais l’officier m’a rétorqué : ‘’Il te protège, alors tu peux bien le laisser se faire plaisir’’ ».

Et à mesure que la répression augmente, que l’ennemi d’Etat devient pluriforme, les victimes se diversifient. Toute voix dissonante devient cible de viol.

Au détour de discussions, plusieurs travailleurs d’ONG avouent, eux aussi, avoir subi des agressions sexuelles dans le cadre de leur fonction. D., avocate, raconte à Middle East Eye comment elle est insultée et victime d’attouchements quand elle rend visite à ses clients en prison. Une autre humanitaire, bien connue pour son travail auprès des victimes d’agressions sexuelles, mentionne du bout des lèvres son viol par un groupe de militaires.

« À chaque fois qu’on se rend à la prison, on se fait tripoter. Sous prétexte qu’il y a du monde, les policiers passent pour ‘‘rétablir l’ordre’’ et touchent tout ce qu’ils ont sous la main »

- A., fille d'un prisonnier politique

« Pendant très longtemps, les gens ont pensé que les victimes étaient seulement des Frères musulmans, et elles n’étaient pas crues sous prétexte qu’elles sont persona non grata au sein de la société.

Aujourd’hui, les gens réalisent que ça touche d’autres tranches de la société, des militants, des avocats, des handicapés mentaux, des homosexuels, des athées, n’importe qui avec qui les autorités ont un problème », rappelle S.

« Ce sont des actions perpétrées dans le but de faire taire les gens, et ça marche », tranche M. « Si l’Etat, qui est sensé protéger nos droits, se rend responsable de ce type de violations, si c’est celui qui attaque, torture, viole la population mais aussi ceux qui la défende, cela signifie que le citoyen n’a plus aucune protection», observe S., « les gens se sentent en insécurité. »

L’humiliation silencieuse

Si la peur des représailles est bien là, les organisations dénoncent aussi un fléau rampant, accentué par le tabou de la sexualité au sein de la société égyptienne qui rend la dénonciation d’autant plus difficile. « La société civile ne se protège pas elle-même contre ce type de violences.

Les victimes sont stigmatisées car la pensée dominante considère que ce sont les personnes de mauvaise vie qui sont agressées : les homosexuels, les femmes libérées… Elles n’ont pas droit à la justice devant l’Etat, ni devant le peuple. Ce silence encourage la propagation. S’il y avait au sein de la société un bloc contre ça, si elle était plus ouverte et disait ‘’on se fiche de savoir qui est homosexuel, qui a une vie sexuelle en dehors du mariage’’, le problème serait surement moins important », note la psychiatre.

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Un conservatisme dont les bourreaux se servent aussi pour faire du chantage à leur victime. « Les forces de sécurité espionnent la vie privée de tous les citoyens », insiste S. auprès de Middle East Eye, « elles ont accès à votre Facebook, vos appels, vos textos, connaissent vos amis, vos sorties et votre vie sexuelle […] Les Egyptiens sont bien plus libérés que ce qu’on veut bien dire.

La plus grande peur est que cette vie cachée soit révélée sur la place publique. On n’a pas peur de se faire tuer, on a peur que notre famille découvre notre vie intime, donc quelle est la stratégie ? Je te viole et si tu me dénonces, je vais envoyer à ta famille les photos sexy que tu as échangées avec ton copain. »

Une angoisse constante qui  pousse à garder le silence et décime les aspirations à la démocratie de toute une population. « Aujourd’hui, on fait tout pour éviter l’arrestation. Au sein des familles, on se dit ‘’mon Dieu, pourvu que tu n’ailles pas au poste de police’’, plutôt que ‘’mon Dieu, j’espère qu’ils ne te feront pas de mal’’, car on sait que de toutes façons, ça arrivera. Ils se servent de nos peurs. 

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