Le Hezbollah porte le poids de la guerre aux frontières syriennes
TYR, Liban – Le cimetière de la ville côtière de Tyr, située au sud du Liban et également connue sous le nom de Sour, est un lieu gris et terne cerné par la mer Méditerranée. Seul contraste : un drapeau jaune orné d’un symbole vert et déployé entre deux bâtons. Ce nouveau drapeau du Hezbollah entoure la tombe d’un adolescent militant mort au combat deux mois plus tôt en Syrie.
La tombe d’Hisham Ahmad, qui n’avait que 18 ans, est semblable à tant d’autres peuplant les cimetières des villes et cités soutenant le Hezbollah. Depuis que la direction du parti a officiellement annoncé l’exécution d’opérations militaires visant à aider le Président syrien Bachar el-Assad en 2013, nombre de ses combattants ont péri.
Si le parti ne donne aucune estimation précise du nombre de morts dans ses rangs, le flot constant d’images d’enterrements et la virulence du conflit en Syrie amènent de nombreux journalistes et analystes locaux à penser que le Hezbollah paie un lourd tribut. Certains pensent que le nombre de victimes affiliées au Hezbollah est sans précédent et bien supérieur aux pertes subies lors de la guerre contre Israël en 2006, où près de 250 combattants avaient perdu la vie au cours des trente-trois jours d’affrontement.
À Sour, où le Hezbollah bénéficie d’un soutien considérable, le prix à payer a été particulièrement lourd et de nombreuses tombes fraîchement creusées dans le cimetière sont ornées de photographies de jeunes combattants brandissant le drapeau jaune et des armes automatiques.
Campagne de recrutement
Toutefois, au vu des événements tournant clairement en défaveur d’Assad, le Hezbollah se trouve désormais à cours de troupes et les médias locaux évoquent de plus en plus la réalisation d’une nouvelle campagne de recrutement au Liban.
Le parti propose à ses jeunes membres (dont certains âgés d’à peine 15 ans) un salaire allant de 500 à 2 000 dollars par mois. Peu de partisans du Hezbollah remettent en cause, du moins ouvertement, les raisons revendiquées par le parti pour justifier les affrontements.
« Le Hezbollah doit combattre en Syrie afin d’empêcher le conflit de s’étendre au Liban », déclare Mohammad, propriétaire d’une épicerie du centre de Sour et exposant fièrement sur son mur un calendrier à l’effigie d’Hassan Nasrallah, secrétaire général du parti.
Mohammad pense que la présence du Hezbollah en Syrie est nécessaire pour éviter que le Liban ne connaisse le même sort que la Syrie ou l’Irak. D’autres habitants de Sour avouent craindre certains groupes tels que l’État islamique ou le Front al-Nosra (branche syrienne d’al-Qaïda). Les deux organisations contrôlent de vastes zones de la Syrie et ont menacé la communauté chiite de la région à plusieurs reprises.
Des victimes exponentielles
Toutefois, la durée du conflit et le nombre de victimes dans les rangs du Hezbollah sont lourds à porter pour ses partisans. « Nous devrions veiller à ce qu’aucun groupe de l’opposition n’occupe la frontière avec la Syrie, mais nous ne devrions pas pénétrer plus loin à l’intérieur du pays », poursuit Mohammad, tout en baissant la voix.
Il fait allusion aux affrontements dans la région de Qalamoun, une chaîne montagneuse courant le long de la frontière libano-syrienne (dont un tiers est libanais) et où des combattants de groupes de l’opposition syrienne (tels qu’al-Nosra) se sont réfugiés au cours des deux dernières années pendant que le Hezbollah et l’armée syrienne étendaient leur contrôle sur l’ouest de la Syrie.
Après une série de défaites essuyées par Assad, il semblerait que le Hezbollah cherche désormais à déloger ces combattants qui ont élu domicile sur son territoire : la région de Qalamoun surplombe la vallée de la Bekaa, foyer de milliers de chiites libanais et de nombreux partisans.
« La Résistance [nom utilisé par les partisans du Hezbollah] repousse efficacement les menaces à la frontière, mais en paye le prix », a déclaré un journaliste entretenant des liens étroits avec le parti et ayant préféré garder l’anonymat. « Il est difficile de savoir si l’armée peut s’en charger elle-même, ou, tout du moins, sans nuire davantage à l’équilibre fragile du pays. »
Le dernier discours de Nasrallah diffusé à la télévision le 5 mai concernait essentiellement la situation à la frontière. La veille, des groupes d’opposition menés par al-Nosra (milice comptant le plus grand nombre de combattants dans la région) ont annoncé la formation de l’« Armée de la conquête », une coalition de plusieurs groupes ayant lancé le même jour une attaque préventive contre les combattants du Hezbollah.
Si le nombre de combattants de l’opposition occupant la région frontalière reste incertain, des sources militaires libanaises parlent de quelques milliers. « D’après les rapports en notre possession, je dirais que 3 000 à 4 000 militants sont coincés dans la région de Qalamoun, » a déclaré Hicham Jaber, général à la retraite de l’armée libanaise (FAL).
Depuis la diffusion du discours télévisé, la coalition formée par l’armée syrienne et le Hezbollah s’est à nouveau emparée de nombreux sites stratégiques de la région. Le plus important à ce jour est Tall Moussa, point culminant qui s’élève à près de 2 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Après deux ans passés à observer les insurgents circuler librement dans cette chaîne de montagnes, Jaber estime que les laisser continuer ainsi s’avèrerait « catastrophique » à long terme à la fois pour Assad et le Hezbollah.
« Après les défaites stratégiques essuyées au nord et l’avancée de groupes d’opposition au sud, la perte de Qalamoun pourrait nous coûter la région priorisée par le régime depuis le début de la guerre, » a déclaré Jaber, « et isolerait le Hezbollah au Liban sans aucune connexion terrestre extérieure. »
Défense du bastion d’Assad
Le gouvernement de Bachar el-Assad s’est toujours attaché à garder le contrôle de la zone côtière et de Damas, ainsi que de la route les reliant. Les groupes d’opposition se rapprochent dangereusement de la région méditerranéenne de Lattaquié par le nord, et sont aux portes du bastion du gouvernement. D’après certains analystes, la victoire récente pourrait inciter les insurgents à envoyer des renforts depuis Qalamoun, d’où ils peuvent attaquer la route entre la côte et la capitale ainsi que l’autoroute reliant Beyrouth et Damas, des voies stratégiques pour le Hezbollah.
« Le Hezbollah et l’armée syrienne ont désespérément besoin de remporter une victoire après les défaites cuisantes subies dans d’autres régions du pays et qui se sont soldées par de lourdes pertes, » a déclaré Mario Abou Zeid, chercheur à l’institut Carnegie du Moyen-Orient. « Cette victoire est d’autant plus nécessaire que la présence de combattants de l’opposition peut affecter les canaux d’approvisionnement entre Beyrouth et Damas et mener des groupes d’opposition vers d’autres régions frontalières au sud, telles que la vallée du Golan. »
Abou Zeid explique que, pour le Hezbollah, se retrouver pris au piège à l’intérieur du Liban sans aucune connexion avec la Syrie pourrait s’avérer fatal en cas de conflit interne ou d’une autre guerre contre Israël.
Toutefois, si la sécurisation de la région est une question de vie ou de mort pour le parti, la mission ne sera pas sans risque et pourrait causer la perte de nombreux combattants et ressources dans les zones environnantes.
Des montagnes assiégées
D’après Abou Zeid, analyste et spécialiste du conflit syrien et des stratégies du Hezbollah, les deux parties peineront à nettoyer le secteur. « Les montagnes de cette zone sont très élevées (entre 2 000 et 3 000 mètres), et les combattants de l'opposition ont résisté à deux rudes hivers consécutifs. » En outre, ces groupes ont eu le temps de creuser « des grottes et des tunnels » pour se protéger des attaques.
Certains rapports signalent également que les combattants pourraient se replier vers la zone située entre le village d’Ersal et la frontière, un no man’s land qui n’est pas occupé par l’armée libanaise.
Les derniers soldats libanais se tiennent à quelques kilomètres d’Ersal, sur la route sinueuse reliant le village à l’artère principale qui traverse la vallée de la Bekaa à l’est du pays. La ville est peuplée de 40 000 habitants et a également accueilli un afflux de refugiés syriens qui a quasiment multiplié la population locale par trois au cours des deux dernières années.
En août dernier, Ersal a été le théâtre d’affrontements mortels entre des agences de sécurité libanaises d’un côté, et l’État islamique et al-Nosra de l’autre. Des militants de ces groupes avaient profité de la vacance de pouvoir dans la région pour y établir une base permanente. Les cinq jours d'affrontement ont fait plus de cent victimes, dont près de la moitié étaient des civils. Des groupes de militants ont capturé des dizaines de soldats et de policiers, parmi lesquels vingt-cinq sont toujours en captivité.
Cette situation participe à l’instabilité du Liban, un petit pays subissant les retombées du conflit en Syrie. Les réfugiés représentent désormais un quart de la population totale. L’agitation régionale a touché des secteurs clés, notamment le tourisme, au sein d'une économie déjà stagnante. L’armée libanaise s’est renforcée, en partie grâce à une augmentation du financement externe, afin de pouvoir faire face aux menaces éventuelles. Pour l’instant, aucune explosion ni aucun affrontement interne important ne sont à déplorer cette année. Toutefois, la décision du Hezbollah d’intervenir en Syrie a accentué les tensions politiques et sociales au sein d’un pays déjà divisé.
Si les Libanais sont habitués à vivre sur le fil, la plupart souhaitent éviter tout acte de violence pouvant mener le pays à une autre guerre.
« La sécurité est au cœur des préoccupations de la population. Toutefois, cette instabilité contribue à paralyser un peu plus nos institutions publiques corrompues, » a ajouté le journaliste qui entretient des liens étroits avec le Hezbollah.
Traduction de l'anglais (original).
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