Gaza : l’émission humoristique qui apporte du rire dans l’adversité
Bombes, sang, ruines et douleur : telle est la manière dont le monde identifie Gaza aujourd’hui. Depuis qu’Israël a imposé un blocus sur la bande côtière en 2007, l’ampleur de la dévastation à Gaza est en effet considérable. Non seulement les habitants de Gaza subissent des coupures d’électricité fréquentes, des pénuries de carburant, la fermeture des frontières, des restrictions commerciales et la montée du chômage, mais ils ont aussi enduré trois campagnes militaires israéliennes qui ont laissé derrière elles des milliers de morts, de blessés, de sinistrés et de sans-abri.
Certains pourraient avoir du mal à croire que « Comelogia », un sketch comique hebdomadaire qui fait partie d’un nouveau programme diffusé sur Al-Araby TV, une chaîne basée à Londres, est produit et filmé à Gaza. Cependant, l’art de la satire est depuis longtemps une façon pour les gens d’exprimer leurs sentiments face à l’adversité.
C’est le cas avec « Comelogia », créé par cinq jeunes Gazaouis qui voulaient utiliser le stand-up comedy et la satire pour aider les gens à rire des conditions difficiles à Gaza tout en racontant la réalité palestinienne.
Avant leur récente apparition sur Al-Araby TV, le groupe était principalement connu pour son spectacle humoristique « Bas Ya Zalameh » (« Arrête ça, mec »), lancé sur YouTube en 2012. Depuis, les médias sociaux sont la fenêtre du groupe vers un monde sans frontières ni restrictions, attirant plus de huit millions de vues dans le monde entier sur ses chaînes YouTube et plus de 100 000 fans sur Facebook.
Une idée est née
Thaer Moner, le réalisateur et producteur, et Mahmoud Zuaiter, l’acteur principal, se sont rencontrés pour la première fois à l’université al-Azhar. Thaer a toujours été un amateur de stand-up. C’est lui qui a soumis l’idée de créer une émission humoristique sur YouTube avec son ami Mahmoud, dans le but de dépeindre la culture palestinienne et de faire entrer la forme artistique du stand-up dans le courant dominant palestinien.
Faisant part de sa frustration face à la situation à Gaza et au niveau de chômage élevé, en particulier chez les jeunes, Thaer a expliqué à Middle East Eye, via Skype, la pensée qui sous-tendait son idée : « Je voulais dessiner un sourire sur le visage des gens et m’adresser aux jeunes de Gaza pour leur montrer que leurs talents ne devaient pas être gaspillés. » Il a également indiqué que le stand-up en tant que forme d’art est rarement produit en Palestine, ce qui l’a déterminé à former une équipe de stand-up à Gaza.
Les familles des deux jeunes hommes n’ont pas compris la nature et le but de leur initiative au premier abord. Ils les ont tout de même soutenus et les ont aidés à démarrer. La famille de Mahmoud les a laissés utiliser comme studio un appartement vide dont ils étaient propriétaires, tandis que la famille de Thaer l’a aidé à acheter l’équipement nécessaire, notamment une caméra, des projecteurs lumineux et un système audio. Hesham Adnan, Ibrahim Khalil et Ahmed Assi les ont rejoints plus tard, formant ainsi une équipe de production complète.
Les vidéos produites par le groupe, qui abordent des phénomènes sociaux et économiques à Gaza, se sont rapidement propagées à travers différents réseaux de médias sociaux. Les artistes ont aussi produit quelques vidéos évoquant les questions humanitaires résultant du siège de Gaza et de l’occupation de la Palestine par Israël. Mahmoud a par exemple imité la publicité de Volvo mettant en scène Jean-Claude Van Damme en créant une vidéo où les voitures sont poussées au lieu d’être conduites, pour mettre l’accent sur la question de la pénurie de carburant à Gaza.
Un périple semé d’embûches mais gratifiant
Le foyer familial de Mahmoud a été bombardé lors d’une attaque israélienne. Tout comme Hesham, il a également perdu des membres de sa famille. Évoquant les pertes qu’il a subies, Mahmoud a indiqué qu’il ne pouvait pas laisser quoi que ce soit l’affecter. « Nous devions continuer à vivre notre vie, être positifs et pleins d’espoir, et dessiner un sourire sur le visage des gens. »
« Message à Israël », un épisode publié lors de l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014 dans la bande de Gaza, tourne en ridicule les trois guerres menées par Israël contre Gaza en six ans et les divers aspects de l’attaque lancée au cours de l’été, des missiles d’« avertissement » israéliens tirés sur les toits aux célèbres avions de combat F16.
Le groupe a été confronté à plusieurs autres obstacles découlant du siège israélien, comme les difficultés pour acheter des équipements et les coupures de courant récurrentes. « Nous devions rythmer notre travail en fonction des horaires de distribution de l’électricité, a expliqué Thaer à MEE. Nous faisions le tournage, le montage et la mise en ligne aussi vite que nous le pouvions pendant les heures de disponibilité de l’électricité. »
« La qualité de notre premier épisode était très faible et nous avons reçu beaucoup de commentaires négatifs, a ajouté Mahmoud. Au départ, j’ai été très réticent à l’idée de continuer, mais je suis très heureux que nous l’ayons fait. »
Comme leur production s’est améliorée et leurs vidéos ont gagné en popularité à Gaza et ailleurs, l’équipe a été contactée par la télévision palestinienne, qui lui a demandé de produire trente épisodes de « Bas Ya Zalameh » ; l’émission a été diffusée pendant le ramadan, un moment où les familles se réunissent et regardent la télévision. « C’était gratifiant d’être regardés à la télévision et d’avoir pour audience tous les groupes de notre société, et pas seulement les jeunes », a poursuivi Mahmoud, ponctuant la conversation d’anecdotes amusantes de personnes les abordant dans les rues de Gaza et leur demandant de se faire prendre en photo avec eux.
Saddam Zourob, un Palestinien de Gaza qui vit et travaille à Londres, exprime son admiration envers le groupe qui a, selon lui, réussi à surmonter la souffrance de Gaza et à faire sourire les gens en critiquant certains phénomènes sociaux. « Ils envoient un puissant message d’espoir, malgré le manque de ressources et la gravité du blocus qui affecte tous les aspects de la vie à Gaza », a-t-il expliqué à MEE.
Hesham, l’un des acteurs, est revenu sur la nouvelle production du groupe pour Al-Araby TV, indiquant qu’il s’agissait d’une étape importante. « Nous sommes très enthousiastes quant à cette nouvelle expérience et nous espérons être en mesure de briser les stéréotypes au sujet de l’art palestinien, qui est traditionnellement dominé par la tragédie, et produire une émission qui aborde des questions sociales en exprimant le point de vue de la jeunesse. »
L’équipe a réussi à toucher un public arabe large et diversifié. Noura al-Dabbagh, diplômée en sciences politiques originaire d’Irak, suit le groupe depuis ses débuts. « Je suis tombée sur les vidéos de Mahmoud et Hesham sur YouTube avant leur apparition à la télévision », a-t-elle raconté à MEE.
« Ils me faisaient toujours rire, mais ce qui m’a le plus frappé était la similitude que j’ai trouvée entre les questions des jeunes en Palestine et celles des jeunes en Irak. » Noura, qui interagit fréquemment avec les publications et les vidéos du groupe sur Facebook, a également fait part de sa compréhension et de son attachement grandissants pour Gaza et la Palestine après avoir vu ces vidéos en ligne. « Ces garçons m’ont montré un visage de Gaza qui est différent de celui que nous voyons tout le temps à la télévision, et ils m’ont rapprochée de leurs expériences. »
La satire est progressivement devenue l’un des moyens les plus populaires pour la jeunesse palestinienne de Gaza d’exprimer ses luttes quotidiennes. Malgré les innombrables calamités qui frappent la bande côtière, ces jeunes comédiens ne sont qu’un exemple de la volonté inébranlable de Gaza de vivre, de rire et de se libérer de son long isolement.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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