Pour la survie du Moyen-Orient, Iran et Arabie saoudite doivent laisser de côté leurs différends
Le mois dernier, deux délégations, celle du gouvernement yéménite en exil basé à Riyad et celle des militants houthis (prétendument soutenus par l'Iran) siégeaient en Suisse dans des salles de conférence distinctes et refusaient de s'adresser la parole. Elles échangeaient néanmoins des communiqués, transmis d'une pièce à l'autre par un envoyé spécial des Nations unies, jusqu'à ce que même cet embryon de communication ne soit plus viable. Deux groupes d'adversaires négociaient leur cause, soutenus par deux puissances régionales antagonistes qui ont, chacune à leur tour, manipulé le conflit du Yémen pour servir leurs propres fins politiques.
La tension croissante entre l'Arabie saoudite et l'Iran enferme le reste du Moyen-Orient dans un cycle de conflits sans fin. Force est de constater les dégâts et l'instabilité qu'entraînent en permanence leurs guerres par procuration. En Irak, en Syrie et maintenant au Yémen, les belligérants sur le terrain ne sont pas les seules parties prenantes, ce qui exclut toute négociation : logiquement, les conflits s'enveniment et les parties en présence se montrent de plus en plus intraitables. Malgré la signature mercredi d'un accord global sur le programme nucléaire iranien, un grand nombre d'indices augurent que les guerres par procuration irano-saoudiennes pourraient bientôt s'étendre à leurs territoires nationaux respectifs.
L'Arabie saoudite bombarde sans répit les militants houthis au Yémen, prétendument pour rétablir le gouvernement élu de ce pays, mais de toute évidence, également, afin d'envoyer des avertissements à l'Iran et réaffirmer la puissance militaire saoudienne. En propageant la lutte aux mandataires présumés de l'Iran, l'Arabie saoudite faisait passer le message suivant : « L'Iran a beau monter en puissance, nous ne craignons pas la confrontation et ferons tout pour défendre nos intérêts ». Cependant, la guerre n'a toujours pas réussi à rendre au pays sa stabilité politique ni à rééquilibrer le pouvoir dans la région.
C'est un pari perdu. Suite à cette action militaire, les populations avoisinantes, jadis largement favorables, sont devenues un peuple belliqueux qui sombre dans le désespoir. La situation humanitaire a non seulement déjà atteint des niveaux comparables à ceux de la Syrie, mais cette rivalité a donné une nouvelle tournure sectaire à un conflit interne déjà fort complexe.
Ce différend implique désormais à la fois l'Arabie saoudite et l'Iran, et risque d'aboutir à une véritable guerre civile, qui déstabiliserait encore davantage la région. La guerre au Yémen entre dans son troisième mois, mais l'Arabie saoudite et ses alliés, dont le Royaume-Uni et les États-Unis, ne parviennent pas à endiguer les hostilités ni à en atténuer les désastreux effets. Bien au contraire, on regarde avec impuissance se désintégrer l'un des pays les plus pauvres au monde.
Et si ces deux puissances musulmanes adoptaient une approche différente ? Après tout, le récent accord nucléaire américano-iranien semblait jusqu'à sa conclusion un improbable tour de force. Pourquoi l'Arabie saoudite et l'Iran ne trouveraient-ils pas un terrain d'entente, eux aussi ?
Si le président iranien nouvellement élu percevait les avantages potentiels de signer un compromis avec son traditionnel ennemi juré, les États-Unis comprendraient alors qu'un accord de paix avec l'Arabie saoudite rendrait à l'Iran son statut d'état de bonne volonté, réputation perdue depuis longtemps. Si l'Iran espère renforcer sa position internationale et passer aux prochaines étapes de son ouverture au reste du monde, la république islamique doit dissiper les craintes d'un conflit régional. Ce faisant, l'Iran désamorcerait le climat politique délétère au Moyen-Orient ; il attirerait d'autant plus les investissements étrangers et assurerait l'avenir à long terme de son économie.
Quant à l'Arabie saoudite, les avantages potentiels de son implication pourraient s'avérer nombreux et à plus d'un titre. Premièrement, en instaurant la paix le long de sa frontière sud, actuellement sous le feu des roquettes houties, le nouvellement intronisé roi Salmane remporterait de ce fait une victoire significative, tant en interne qu'au niveau international. Fondamentalement, en prenant l'initiative des négociations avec l'Iran, l'Arabie saoudite enverrait immédiatement un message fort et tout à fait concret à sa minorité chiite, mécontente et de plus en plus agitée actuellement.
Les deux puissances sont actuellement confrontées à l'extrémisme islamiste, grave menace incarnée par Daech (État islamique) et al-Qaïda. Dans l'intérêt des deux États et de leur intégrité structurelle, ils doivent avant tout relever le défi de cette montée en puissance de Daech. Comme les populations tant sunnites que chiites sont menacées par l'État islamique autoproclamé, le rapprochement de ces deux grandes puissances contribuerait à éradiquer les problèmes qui poussent les jeunes musulmans à s'enrôler dans des groupes extrémistes. Leur collaboration réduirait les tensions régionales, avec un impact direct sur leurs capacités antiterroristes. La menace qui pèse sur la région est bien réelle : l'heure est venue de rechercher un accord de paix qui s'attaque aux vrais problèmes qui nous menacent.
Actuellement, les préoccupations occidentales en affaires internationales concernent deux questions clés, et pour cause : les migrants et l'extrémisme islamiste. Cependant, en poursuivant des politiques nationales qui ne font qu'entretenir et exacerber les frictions, les gouvernements occidentaux vont à l'encontre de leurs propres intérêts.
Le soutien tacite du gouvernement britannique à l'agression anti-iranienne de l'Arabie saoudite au Yémen est un cas d'école de leur incapacité à comprendre que, si les migrants viennent trouver refuge en occident, c'est parce qu'ils y sont poussés par le sort dramatique qui leur est réservé dans leur pays d'origine. De même, en n'exerçant pas de pressions en faveur d'une désescalade des tensions entre les deux superpuissances musulmanes, les gouvernements occidentaux préparent le terreau des circonstances grâce auxquelles prospèreront Daech et consorts.
Une politique plus prévoyante permettrait de tirer parti des capacités d'influence occidentales afin de créer les conditions susceptibles de minimiser les menaces qui pèsent en permanence sur l'Occident. Cela contribuerait fortement à améliorer le sort de millions de personnes dans la région.
- Jamila Ali-Rajaa, diplomate yéménite, est membre du Dialogue national au Yémen.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye
Photo : vue des dégâts sur le site de la vieille ville de Sanaa (capitale du Yémen), classée par l'UNESCO au patrimoine mondial, le 15 Juin (AFP)
Traduction de l'original par Dominique Macabies
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