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La crise des déchets du Liban couve depuis 40 ans

D’après certains habitants, la crise de la collecte des ordures au Liban est aujourd’hui pire qu’à l’apogée de la guerre civile
Lorsque la guerre civile a pris fin, 50 % des déchets du Liban ont été transportés vers un unique site d’enfouissement à Naameh (MEE/James Haines Young)

BEYROUTH – Après des semaines de cafouillage, le Premier ministre libanais Tammam Salam a promis mercredi que le pays se dirigeait vers une fin « progressive » de la crise des ordures, qui pourrait être de l’histoire ancienne « d’ici quelques jours ».

Cependant, plus de 21 jours après l’arrêt de la collecte des ordures dans la capitale et la décomposition de monceaux de déchets en putréfaction dans les rues de la ville avec la chaleur estivale, de nombreux habitants réclament une révision complète de la situation et non une autre solution provisoire.

La frustration était évidente la semaine dernière. Bien que le gouvernement ait annoncé son plan pour régler le problème, des centaines de personnes sont descendues dans les rues du centre-ville de Beyrouth pour appeler à une « révolution » en ce qui concerne l’enlèvement des ordures.

Une récente manifestation à Beyrouth relative aux poubelles non collectées (MEE/James Haines Young)

« C’est vraiment embarrassant », a déclaré un manifestant. « Quel pays ne peut même pas collecter ses propres ordures ? »

Le 24 juillet, la promesse du gouvernement d’acheminer les déchets vers de nouveaux sites d’enfouissement s’est également révélée insuffisante, surtout pour ceux qui s’opposent à l’enfouissement des déchets.

« Pas de centres d’enfouissement, pas de décharges, pas d’incinérateurs », a déclaré Ajwad Ayash, un militant de l’Association pour la fermeture du site d’enfouissement de Naameh (Close Landfill Naameh), un groupe d’action local. « Nous devons suivre les trois R : réduire, réutiliser, recycler. »

Ceci, toutefois, ne faisait pas partie du plan d’urgence du gouvernement. Au lieu de cela, les autorités ont choisi de construire plus de sites d’enfouissement et des incinérateurs pour brûler une grande partie des déchets – une solution dure à avaler pour la société civile, les groupes militants et les habitants.

Bien que tous conviennent du fait que le système de traitement des déchets au Liban a besoin d’une refonte complète et d’une modernisation – sans quoi le pays risque de continuer à passer d’une catastrophe à l’autre –, des décennies de mauvaise planification et d’échecs montrent que le problème est bien plus enraciné que ce que suggère la dernière crise.

Une crise née de la guerre

La récente impasse n’est que la dernière d’une longue lignée de problèmes d’infrastructure et de gouvernance qui remontent à la guerre civile et ont laissé les différentes parties du pays se noyer dans leur propre crasse.

Une grande partie des infrastructures du pays a été ravagée pendant le conflit qui a fait rage pendant 15 ans dans ce petit pays méditerranéen d’une grande diversité religieuse, le divisant en divers cantons belligérants. Le gouvernement national – qui n’a de national que le nom – a été incapable de fournir les services les plus élémentaires de façon uniforme, laissant de nombreuses régions se débrouiller seules, avec des conséquences très différentes.

Paul Makhoul (50 ans), a vécu entre la ville portuaire de Saïda et Beyrouth pendant la guerre et affirme que la récente crise lui rappelle ces temps difficiles.

« Il n’y avait pas de collecte des déchets dans le sud. Dans les villages, toutes les deux à trois maisons se réunissaient et creusaient un trou dans le sol pour y brûler leurs ordures », raconte-t-il.

« Brûler les déchets était la seule option pour beaucoup : nous le faisions quand le vent était contraire aux habitations pour ne pas être gênés par l’odeur. »

Cependant, tous n’ont pas été aussi durement touchés. Yvette Ghazi (83 ans) qui a vécu dans le Kesrouan à majorité chrétienne, au nord de Beyrouth, a déclaré à Middle East Eye que même au plus fort de la guerre, la situation des ordures était toujours sous contrôle.

Selon elle, les choses sont aujourd’hui pires que jamais.

« Nous n’avons pas eu de problème de ce genre pendant la guerre. Nous jetions nos déchets comme d’habitude et les agents de la municipalité les collectaient, mais nous ne savions pas où ils les emmenaient », a rapporté Ghazi.

« Le Kataëb et les Forces libanaises [deux groupes paramilitaires essentiellement chrétiens qui devinrent plus tard des partis politiques] avaient tout organisé dans ces régions. »

Bien plus que des ordures ménagères

Bien que les ordures ménagères semblent la question la plus évidente pour beaucoup, ce n’est qu’une partie du problème. Il apparaît désormais qu’au cours des années, des déchets chimiques et hospitaliers ont été jetés dans les décharges publiques et des décharges de fortune clandestines.

Il existe un nombre incalculable de sites potentiellement dangereux dans tout le pays.

Les explications renvoient encore une fois à la guerre. Lors d’un incident particulièrement controversé en 1987, lorsque les combats étaient à leur comble, on raconte que les Forces libanaises (FL) auraient accepté 20 millions d’euros de la mafia italienne afin de se débarrasser de 15 800 barils et 20 conteneurs de déchets toxiques dans les collines libanaises.

Le ministre de la Santé de l’époque a réuni des experts pour enquêter sur ces allégations et a établi que la plupart des déchets toxiques avaient été brûlés ou jetés dans les déchetteries publiques pour y pourrir pendant des années.

Cependant, les tentatives visant à traduire les auteurs en justice n’ont abouti à rien. Les accusations portées contre les membres des FL impliqués dans le scandale ont été abandonnées suite à une amnistie générale en faveur des différents groupes armés du pays prononcée dans le cadre des négociations de l’après-guerre en 1992.

L’échec de la reconstruction d’après-guerre

Après la guerre, une « stratégie nationale » a été mise en place pour faire face à la gestion des déchets, mais des problèmes sont apparus d’emblée.

Cela n’a jamais vraiment été une stratégie « nationale », explique Ziad Abichaker, fondateur de Cedar Environmental, un centre de recherche et de développement centré sur l’environnement au Liban.

Abichaker estime au contraire que la stratégie a été conçue exclusivement en pensant à Beyrouth et au Mont Liban – les deux zones les plus peuplées du pays. Le sud, la vallée de la Bekaa et le nord n’ont pas été pris en compte.

Avec la stratégie nationale, environ 50 % des déchets du pays ont été acheminés dans un site d’enfouissement unique à Naameh, à 30 minutes de Beyrouth en direction du sud. En outre, le tri et la séparation des déchets ont été quasi-inexistants et le processus d’identification et de construction de nouveaux sites d’enfouissement a avancé lentement.

La décharge de Naameh, à 30 minutes de Beyrouth en direction du sud (MEE/James Haines Young)

« Tous les experts avaient vu venir les problèmes actuels », a déclaré Marwan Rizkallah, un expert libanais de la gestion des déchets solides.

Selon lui, le ministère de l’Environnement a préparé de nombreux plans nationaux et a même soumis au parlement en 2012 des lois relatives à la gestion des déchets solides – une première étape pour réformer la stratégie nationale –, mais aucun progrès n’a été fait depuis. Plusieurs crises politiques ont retardé presque toutes les lois et les députés ont à peine siégé l’année dernière.

Cet échec à mettre en œuvre une stratégie appropriée provient sans aucun doute de la politique libanaise d’après-guerre, complexe et tortueuse.

La transformation de la « montagne d’ordures »

Alors que la presse internationale se concentre sur les problèmes de Beyrouth, la ville portuaire de Saïda, au sud, a probablement été la première touchée par la mauvaise gestion du pays.

La ville est devenue tristement célèbre dans les années 1990 pour sa « montagne d’ordures » de 58 mètres de haut – un énorme dépotoir dans une vallée côtière près de la ville, qui, certains jours, pouvait être senti depuis la ville et sur la route côtière à des kilomètres.

« Il y a eu une sorte d’accord politique à l’origine de la montagne de déchets », a déclaré Makhoul. « Quand la mer montait, elle emportait avec elle les ordures dans la Méditerranée. Et pendant l’été, vous ne pouviez même pas aller à Saïda à cause de l’odeur des ordures. »

La montagne était une source de pollution visuelle et un danger majeur – en cas de mauvais temps, les déchets du site s’échouaient à Chypre, à 260 km, et les incendies étaient un phénomène courant. Le site était un mélange d’ordures ménagères et d’autres déchets, notamment les décombres des bâtiments détruits pendant la guerre, à hauteur de 60 % selon les estimations. Les gaz nocifs libérés par le site asphyxiaient la ville des jours durant, provoquant la honte et la colère des habitants.

Cependant, Saïda est devenue un rare exemple de réussite en ce qui concerne la gestion des déchets au Liban. La montagne d’ordures a été transformée en un parc public de 10 000 m², agrémenté d’oliviers et d’un amphithéâtre, grâce à un projet supervisé par le Programme des Nations unies pour le développement.

Une grande partie des décombres des bâtiments et des déchets dangereux a été extraite et traitée, ne laissant que les ordures ménagères non dangereuses. Des canalisations filtrent le gaz et les déchets effluents.

Ainsi, non seulement l’odeur a disparu, mais la ville a acquis un nouvel espace public avec ce site qui ouvrira par phases au cours des huit prochaines années. Beaucoup souhaitent que ce succès devienne un modèle pour d’autres sites d’enfouissement à travers le pays, en dépit du coût de l’opération : près de 23 millions d’euros.

Selon Rizkallah et Abichaker, les municipalités locales doivent être habilitées à participer au solutionnement de ces dizaines d’années d’impasse.

« Désormais, le principal obstacle est le comportement monopolistique du gouvernement central qui fait profiter quelques personnes de la situation », a affirmé Abichaker. « Il peut garder le contrôle législatif, mais il doit donner de l’argent [aux municipalités]. »

Une question de taille

L’espace est un autre problème qui complique davantage les choses. Dans ce petit pays, il est difficile de trouver des sites d’enfouissement appropriés qui ne sont pas situés à proximité d’importants centres de population.

Selon Ayash, près de 100 000 personnes vivent à moins de 10 km du site d’enfouissement de Naameh. Alors que les effets des sites d’enfouissement sur les populations vivant à proximité sont débattus au niveau international, le ministère libanais de la Santé a ordonné l’élaboration d’un rapport pour évaluer l’impact du site.

Celui-ci n’a pas été rendu public et son auteur a refusé de parler à la presse. Toutefois, les militants qui ont pu le consulter ont déclaré qu’il était troublant. Un nombre de cas de cancers et de problèmes respiratoires significativement plus élevé que la moyenne nationale aurait été constaté parmi les personnes vivant à proximité du site, ce qui suggèrerait une certaine corrélation avec l’enfouissement des déchets. Néanmoins, il est impossible de le vérifier de façon indépendante sans une copie de l’étude.

De plus, les prix des terrains ont augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années, faisant des décharges une solution de plus en plus chère pour un pays déjà en proie à des problèmes financiers.

La reconstruction et le développement ont été également entravés par la guerre de 33 jours avec Israël en 2006, qui a ravagé une fois de plus le pays, et ses finances. Les dommages structuraux directs au Liban ont été estimés à 3,3 milliards d’euros.

Maliban, la seule usine de recyclage du verre du Liban – qui traitait la totalité du verre vert, ambré et blanc du pays – a été rasée et jamais reconstruite.

Une seule petite installation dans le nord du pays a la capacité de recycler le verre blanc, mais on estime que 71 millions de bouteilles par an sont actuellement jetées au Liban, d’après Abichaker.

Green Glass Recycling Initiative in Lebanon (GGRIL), un projet de responsabilité sociale des entreprises initié par Abichaker, a commencé à gérer un projet de recyclage du verre vert. Le groupe recycle maintenant 200 à 300 tonnes de verre par an (environ 650 000 bouteilles vertes) mais admet qu’il reste encore beaucoup à faire.

Compte tenu de la capacité de recyclage largement insuffisante, même certains militants admettent que, au moins à moyen terme, le Liban doit être plus pragmatique.

« Le recyclage est une partie de la solution, mais ce n’est pas un remède à tout », a déclaré Rizkallah. « Si un programme est vraiment bien fait, peut-être 40 ou 50 % des déchets sont recyclés, mais le reste doit partir à la décharge ou être incinéré, ou les deux. »

Il affirme ne pas être totalement pessimiste quant à la possibilité de voir une bonne solution sortir de cette situation, voyant la crise actuelle comme un tournant pour l’élimination et la gestion des déchets.

« Le niveau de prise de conscience que cela a engendré en quelques jours seulement est le même que celui qui résulterait d’une campagne de sensibilisation coûtant des centaines de milliers de dollars », a assuré Rizkallah, qui espère que ces nouvelles aspirations écologiques, ainsi que la compréhension de ce qui se passe lorsque la question des déchets n’est pas abordée de front, vont enfin permettre de trouver une solution à plus long terme.
 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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