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Protestations pro-Kadhafi en Libye

Le Premier ministre libyen annonce également sa démission alors que les drapeaux verts de l’ère Kadhafi hissés dans le sud soulignent une frustration de plus en plus importante
Véhicules blindés devant la cour d’appel de Tripoli, capitale libyenne, lors du procès de figures de l’ère Kadhafi, le 28 juillet (AA)
By MEE

Les condamnations à mort prononcées fin juillet contre Saïf al-Islam Kadhafi et huit responsables du régime de l’époque par la cour d’appel de Tripoli ont déclenché une vague de protestations à travers la Libye, montrant ainsi que le drapeau vert symbolisant le règne long de 42 ans de Mouammar Kadhafi est plus qu’un simple objet appartenant à l’histoire.

La plus grande manifestation a eu lieu le 7 août dans la ville méridionale de Sabha, où les habitants ont rapporté que plusieurs centaines de manifestants sont descendus dans les rues d’un quartier. La protestation, décrite comme pacifique par Mohamed, un habitant local, a été dispersée après que les services de sécurité ont ouvert le feu, tuant au moins quatre personnes et en blessant beaucoup d’autres, a-t-il raconté.

Des manifestations mineures pro-Kadhafi organisées précédemment dans la ville avaient été ignorées par la Troisième force, dirigée par les Misratis et stationnée à Sabha depuis plus d’un an, à l’origine afin d’agir en tant que force de maintien de la paix suite à des affrontements locaux.

« Cette fois, je pense que la Troisième force a constaté que le mouvement pro-Kadhafi était sérieux, étant donné qu’on n’avait pas vu de manifestation de cette ampleur au cours des quatre dernières années, a expliqué Mohamed. Il y avait beaucoup de monde, y compris des femmes et des enfants, et les gens n’avaient pas peur de montrer leur visage. »

Il a indiqué que la protestation avait deux objectifs. Le premier était de contester la décision rendue par le tribunal de Tripoli et d’appeler à la libération de Saïf al-Islam Kadhafi, et le second était d’essayer de faire pression sur la Troisième force pour que celle-ci quitte le sud de la Libye. « Les gens ne veulent plus les voir régner ici, mais [les militaires de la Troisième force] ne veulent pas partir parce que le sud dispose des ressources les plus importantes de la Libye : le pétrole et l’eau. »

Des manifestations ont également été signalées à Birak, à environ 65 kilomètres au nord de Sabha, où la plupart des habitants sont issus de la même tribu qu’Abdallah Senoussi, ancien chef des services de renseignement de Kadhafi qui a également été condamné à mort par le tribunal de Tripoli.

Des drapeaux verts dans les rues

Les protestations dans la ville n’ont pas été perturbées par une quelconque présence militaire, la Troisième force n’étant pas parvenue à prendre le contrôle de la ville malgré ses tentatives en mars dernier. Les habitants issus de la tribu Senoussi ont également menacé de mettre à l’arrêt une station de pompage locale desservant la Grande Rivière artificielle, qui alimente en eau la capitale Tripoli, si le verdict contre Senoussi n’était pas annulé.

Des manifestations mineures ont eu lieu dans le territoire contrôlé par le groupe État islamique, notamment à Syrte, ville natale de Mouammar Kadhafi. Les fidèles de l’ancien régime ont été dispersés par les militants de l’État islamique, qui ont tiré des coups de semonce en l’air, a rapporté un habitant local qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat. Quatre femmes et trois hommes ont été arrêtés lors de la protestation et détenus pour interrogatoire.

Les habitants des autres villes contrôlées par l’État islamique se sont montrés plus prudents. « L’État islamique avait menacé de tirer sur toute personne qui aurait protesté vendredi dernier ; il n’y a donc pas eu de drapeaux verts dans les villes qu’ils contrôlent, mis à part à Syrte, bien que quelques drapeaux verts aient flotté dans des zones désertiques reculées, a-t-il expliqué. Mais si ces manifestations s’intensifient sur l’ensemble de la Libye, les gens s’enhardiront et nous verrons plus de drapeaux verts. Je connais beaucoup de gens qui attendent juste le bon moment pour protester. »

Même à Benghazi, le berceau de la révolution de 2011, quelques habitants ont manifesté. « J’ai vu environ 30 ou 40 personnes avec des drapeaux verts et des photos de Saïf lorsque je conduisais pour rentrer chez moi. J’ai eu l’impression de reculer dans le temps, d’être dans une machine à remonter le temps », a raconté Jamal, un homme de 34 ans. « J’ai ressenti un vrai choc et j’ai ralenti pour regarder, mais ensuite, j’ai vu les militaires arriver à toute vitesse, donc j’ai repris ma route. »

Selon lui, le timing de cette protestation n’était pas le bon. « Je sais que beaucoup de gens espèrent un retour à une vie comme à l’époque de Kadhafi, et je crois en la démocratie et en la liberté d’expression, mais ce n’est pas le bon moment pour ce genre de protestation, car il y a une guerre à Benghazi. »

« Tout le monde en a assez »

Les protestations constituent la manifestation publique d’un secret mal gardé en Libye : le mouvement pro-Kadhafi, qui existe depuis la révolution de 2011, a gagné en force suite à l’insatisfaction face à la tournure que la vie de nombreux citoyens ordinaires a prise au cours des quatre dernières années.

Dans l’ouest de la Libye, beaucoup affirment avoir peur d’exprimer ouvertement des opinions controversées, mais affichent toujours leur loyauté en regardant une des deux chaînes de télévision « vertes » de Libye, diffusées depuis l’Égypte.

Dans les villes les plus reculées de Libye, la vie quotidienne est devenue si difficile (montée en flèche des prix des denrées alimentaires et du carburant, pénurie de liquidités et retards réguliers de plusieurs mois dans le paiement des salaires des employés du secteur public) que la frustration refoulée a poussé les gens à passer à l’action, a expliqué Mohamed.

« Tout le monde en a assez de cette situation terrible, et nous ne pouvons plus garder le silence, a-t-il indiqué. Le drapeau vert est désormais hissé dans de nombreux endroits à Sabha. Pas dans les quartiers centraux qui sont contrôlés par la Troisième force de Misrata, mais dans des secteurs connus pour être fidèles à Kadhafi. »

Il a ajouté que certaines personnes qui avaient initialement soutenu la révolution de 2011 ont rejoint ces protestations.

Le désir d’un retour à la stabilité de l’ère Kadhafi

« La plupart des Libyens veulent simplement une vie tranquille. L’identité de ceux qui prennent le pays ou de ceux qui contrôlent l’argent de la Libye ne les intéresse pas : ils veulent juste une vie paisible. C’est pour cela que Kadhafi est resté au pouvoir pendant 42 ans. Les salaires étaient payés à temps, nous avions de bonnes aides pour tous les produits de première nécessité et la vie n’était pas chère. »

Cependant, les images des drapeaux verts de nouveau hissés en Libye, qui circulent sur les médias sociaux, ont suscité de vifs débats, en particulier parmi ceux qui ont souffert sous le régime sévère de Kadhafi ou qui ont perdu des membres de leur famille pendant la révolution.

« Tant que Saïf est vivant et en Libye, il n’y aura jamais la paix, a indiqué un ancien combattant révolutionnaire. Beaucoup pensent que Saïf et Senoussi doivent être exécutés pour la stabilité du pays, dans la mesure où ils restent des symboles centraux du pouvoir de l’ancien régime. S’ils sont tués, ces protestations prendront fin. »

Dans un pays déjà déchiré entre des camps fidèles à des régions, des tribus et des groupes politiques opposés, les protestations des fidèles de Kadhafi illustrent encore une autre division en Libye, qui risque de ne pas s’effacer facilement.

Malgré les mesures de répression prises contre les manifestants à Sabha et une présence militaire accrue dans d’autres villes ayant affiché une dissension, de nouvelles manifestations sont prévues à travers la Libye ce vendredi. Mohamed a expliqué qu’il avait espéré que ces protestations se fassent sous le drapeau blanc de la paix, plutôt que sous le drapeau vert de l’ère Kadhafi ou sous le drapeau de la révolution libyenne.

Le Premier ministre démissionne à la télévision

Mardi soir, dans une démarche sans lien avec ces événements, Abdallah al-Thani, le Premier ministre du gouvernement libyen reconnu internationalement, a annoncé sa démission lors d’une interview télévisée en direct.

« Si ma démission est la solution, alors je l’annonce ici », a déclaré al-Thani pendant le débat télévisé, ajoutant que « [sa] démission [serait] soumise au parlement ce dimanche ».

Plus tôt dans la journée, les factions libyennes rivales avaient commencé à Genève une nouvelle série de pourparlers de paix parrainés par l’ONU en vue de la création d’un gouvernement d’union nationale ; les représentants du puissant parlement de Tripoli ont finalement rejoint les négociations après les avoir boycottées le mois dernier.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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