Entre l’Algérie et la Palestine, il y a bien plus que de la politique
« Quand on a posé pour la photo de groupe, tous les enfants ont crié en chœur : ‘’Palestine !’’ ». Khaled Jarrar n’est pas un homme qui sourit beaucoup. Mais à l’évocation de cette scène, son visage s’illumine. L’ancien garde du corps de Yasser Arafat devenu réalisateur-photographe-performer a trouvé une nouvelle source d’inspiration : l’Algérie.
Arrivé la semaine dernière pour une résidence artistique – il cherche à rapprocher les révolutions palestinienne et algérienne – Khaled entreprend de distribuer des appareils photo jetables à des enfants de la Casbah d’Alger pour monter une exposition itinérante avec leurs clichés. « Je perçois mon travail comme une façon de casser les frontières », explique-t-il à Middle East Eye. « Malgré la distance, l’Algérie et la Palestine sont si proches. Je ne parle pas simplement de fraternité entre nos deux peuples, mais d’histoire. »
Flashback. Le 13 novembre 1974, Yasser Arafat est invité à la tribune de la 29e session de l’Assemblée générale des Nations unies présidée par un jeune ministre des Affaires étrangères algérien, Abdelaziz Bouteflika. Dans un discours historique, le leader de l’OLP rend hommage au futur chef d’État algérien pour son soutien à la cause palestinienne.
« Il faut bien comprendre qu’à l’époque, personne ne soutenait l’OLP, considérée comme un mouvement terroriste », rappelle un diplomate algérien contacté par MEE. « Aucun officiel palestinien n’avait pris la parole à l’ONU depuis le plan de partage en 1947 ! C’est grâce à l’Algérie que le dossier a été remis sur la table et qu’en 1988, l’OLP a voté une motion pour que des pourparlers soient entamés avec Israël. Aucun État ne s’est jamais autant impliqué pour les Palestiniens et je peux vous dire qu’à l’époque, on ne s’est pas fait que des amis ! »
Pressions internationales
De ce mois de novembre 1988, Abdelaziz Rahabi, alors porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, s’en souvient comme si c’était hier : Alger accueille les membres du Conseil national palestinien envers et contre toutes les pressions internationales. Il raconte à MEE : « Les États-Unis nous avaient recommandé de ne pas les recevoir. Plusieurs étaient recherchés par les services de renseignements du monde entier ! Parmi eux, Abou Daoud, responsable de la prise d’otages de sportifs israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, et l’un des Palestiniens qui avaient détourné le navire de croisière Achille Lauro en 1985. »
C’est tout de même à Alger que Yasser Arafat proclame la création d’un État palestinien. « C’est comme ça », résume sans regret l’ex-diplomate. « On s’est toujours sacrifiés pour les Palestiniens, ce qui nous a valu de nombreuses inimitiés, y compris dans le monde arabe ».
À la politique, Khaled Jarrar préfère la vérité de l’histoire. « Les Algériens ont, comme nous, été opprimés et ont souffert de l’occupation », souligne-t-il. « Leur combat pour la liberté est encore aujourd’hui un exemple pour la plupart des Palestiniens. »
Un argument souvent entendu à Alger. En 2010, quatre mois après l’attaque par la marine israélienne d’une flottille turque qui tentait de forcer le blocus de la bande Gaza, le MSP (parti islamiste algérien) faisait partir une caravane humanitaire pour les Palestiniens. « En tant qu’Algériens, nous avons vécu une colonisation qui ressemble point par point à celle d’Israël : les Français ont usurpé nos terres, aliéné la société, humilié nos parents... Il est donc normal que nous soyons impliqués », rappelait Abderrezak Makri, aujourd’hui président du parti, au quotidien El Watan.
Farès, un Algérien installé depuis 21 ans à Gaza, analyse cette relation avec beaucoup d’humour. « Quand je vois la réaction des Algériens, toujours prêts à manifester en solidarité avec les Palestiniens, et leurs témoignages de sympathie sur les réseaux sociaux, j’en conclus que cette relation est vraiment ‘’sentimentale’’ ! », déclare-t-il à MEE.
Il est en revanche plus nuancé sur la position officielle. « L’Algérie reste un des meilleurs soutiens à la cause, bien sûr. Mais sa relation avec la Palestine n’est plus aussi forte que par le passé. Un Palestinien qui souhaite venir en Algérie a désormais besoin d’un visa, ce qui n’était pas le cas avant. Le comble, c’est qu’il n’existe aucune représentation diplomatique algérienne dans les territoires palestiniens ! »
Alger considère pour sa part que l’installation d’une ambassade ou d’un consulat dans les territoires occupés reviendrait à reconnaître le statut de l’occupant.
Des froids, il y en a bien eu quelques-uns. Mahmoud Abbas n’est pas venu en Algérie pendant près de dix ans après que le président algérien a incité les Palestiniens à « régler leurs problèmes entre eux ». Mais depuis Boumediene et sa célèbre phrase, « Nous soutenons la Palestine qu'elle opprime ou qu'elle soit opprimée », Alger ne manque jamais une occasion de rappeler qu’elle reste mobilisée.
« L’Algérie a toujours fourni des aides en tous genres à la Palestine, et ce bien avant les autres pays », rappelait l’an dernier le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Cet été là, le Croissant rouge algérien acheminai un lot de médicaments et de matériel médical vers la bande de Gaza, visée par l’opération militaire israélienne « Bordure protectrice ». Des rassemblements populaires avaient été organisés dans plusieurs villes du pays et la présidence de la République algérienne avait appelé à une minute de silence le 31 juillet 2014, demandant aux entreprises de cesser tout activité pendant cinq minutes, et avait débloqué une aide d’urgence de 25 millions de dollars d’aide humanitaire pour Gaza.
« Une position de principe inaliénable »
« Il faut le reconnaître », poursuit Abdelaziz Rahabi, « depuis 1964, l’Algérie, qui paie chaque année à temps ses contributions à l’Autorité palestinienne, n’a jamais utilisé l’argent pour exiger quoi que ce soit en retour. » Début août, au Caire, le ministre algérien des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue des États arabes, Abdelkader Messahel, a réitéré « la position de principe et inaliénable de l'Algérie et son plein engagement vis-à-vis du peuple palestinien et de ses droits légitimes à l'instauration d'un État indépendant avec Jérusalem pour capitale ».
La projection, la semaine dernière, des Infiltrés, le documentaire de Khaled Jarrar primé aux festivals internationaux de Dubaï et de Chicago, a été sans surprise accueillie avec émotion par le public algérois. Une occasion pour Haitham Amaire, représentant de l’ambassade de Palestine à Alger, d’insister sur la nécessité de montrer en images « une réalité, celle de l’occupation, que les Algériens ne peuvent pas constater d’eux-mêmes puisqu’il leur est impossible de venir chez nous. Nous savons que cela a un impact, car nos deux peuples ne font qu’un. »
Les deux artistes algériens qui ont accompagné Khaled Jarrar pendant sa résidence – Arslan Naili, designer, et Yasser Ameur, artiste de rue – s’en sont rendu compte. « Le fait qu’il soit Palestinien facilite les échanges. On le voit dans les quartiers populaires où l’on passe, les gens se sentent immédiatement concernés », témoignent-ils à MEE.
Il n’en fallait pas plus pour bouleverser l’artiste. « Je suis touché par l’accueil que les gens me réservent et par le dialecte que je ne comprends pas toujours, si poétique et si musical. Je suis impatient de revenir en Algérie… ».
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