Omar Saad, « parler druze c’est parler palestinien »
Altiste au sein du Palestine Youth Orchestra (PYO), Omar Saad, 19 ans, fait partie de la minorité druze vivant en Israël. L’an dernier, la presse israélienne a parlé de lui suite à son refus d’effectuer le service militaire obligatoire. Le passage de la troupe en France offre l’occasion d’en savoir plus sur cette communauté méconnue, et sa place dans la société israélienne.
MEE : Pouvez-vous d’abord nous en dire plus sur votre communauté, qui sont les druzes d’Israël ?
Omar Saad : C’est un groupe professant une religion musulmane à part des traditions sunnite et chiite. Nous sommes 118 000 en Israël. Depuis 1956, l’État israélien développe une politique visant à nous isoler du reste de la communauté arabe d’Israël. Cela commence avec la conscription. Comme si nous étions juifs israéliens, chaque druze est appelé à effectuer son service militaire à ses 18 ans, d’une durée de trois ans. Alors que les « Arabes d’Israël » en sont exemptés.
La deuxième arme est le développement d’un système scolaire pour les druzes, séparé des écoles juives et des écoles arabes traditionnelles. De la primaire au lycée, nous sommes entre druzes. L’objectif est de nous faire un lavage de cerveau dès l’enfance. On nous enseigne la loyauté envers l’État d’Israël.
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MEE : Comment s’identifient les membres de votre communauté : Arabes, Palestiniens, Israéliens ?
O.S. : La question de l’identité est vraiment compliquée. Personne ne représente vraiment l’identité druze. Celui qui souhaite faire son service militaire ne peut pas prétendre représenter la communauté druze, ni ceux qui refusent de servir l’armée israélienne, car beaucoup d’entre nous ne souhaitent pas faire de politique ni nous positionner dans le conflit israélo-palestinien.
MEE : Vous avez fait partie de ceux qui, l’an dernier, ont refusé de servir dans l’armée israélienne. Comment avez-vous justifié ce refus ?
O.S. : Le 26 août, vous pouviez me voir jouer au Conservatoire de Paris avec le Palestine Youth Orchestra. Cette troupe est ma seconde famille. Nous mangeons ensemble, nous faisons la fête ensemble, nous parcourons différents pays ensemble, nous partageons tout. Je ne peux pas imaginer les quitter pour me tenir à un check-point et vérifier les papiers de ceux qui vivent en Cisjordanie, ou les empêcher de circuler sur leur propre terre, et ce parce qu’ils sont Palestiniens.
Je suis moi-même palestinien. Mes frères et ma sœur sont palestiniens. Nous avons grandi en tant que Palestiniens. Notre éducation parentale nous a enseigné que nous sommes palestiniens. Et je suis aussi arabe. Même si je n’avais pas été membre du PYO, j’aurais refusé car mes parents m’ont appris notre histoire et m’ont expliqué que notre place est au sein de la nation palestinienne.
MEE : Vous représentez un cas à part dans la communauté druze, non ?
O.S. : Malheureusement oui. Depuis 1956 [année où les druzes ont eu l’obligation de servir dans l’armée israélienne], beaucoup d’entre nous ont refusé de faire leur service militaire, mais cela reste compliqué et marginal. Pour dissuader les générations suivantes, Israël nous demande de choisir entre la conscription et l’incarcération. Les autorités nous indiquent également qu’en cas de refus, elles nous empêcheront de travailler, d’obtenir le permis de conduire, d’accéder à l’université.
Lorsque tu déclares refuser le service militaire, il y a différentes étapes. Dès le départ, l’armée te propose des justifications afin d’éviter que tu sois perçu comme un opposant au régime politique et que cela soit médiatisé. On te demande si tu as un handicap ou une maladie. Si tu dis oui, tu évites la conscription mais, pour l’administration, c’est pour raison médicale et non politique.
Pour ma part, depuis que j’ai déclaré mon refus d’être incorporé, j’ai été emprisonné sept fois en l’espace de sept mois. Ma plus longue incarcération a duré environ un mois, c’était la dernière. Ils sont venus me chercher lorsque j’étais malade, j’avais une infection virale qui nécessitait une hospitalisation, et ils ont commencé par refuser que je bénéficie d’un traitement médical. J’ai dû attendre quatre jours pour voir un médecin qui m’a permis d’être soigné. D’après celui-ci, quelques heures encore sans traitement, et je mourais.
MEE : Vos deux petits frères sont violonistes dans le PYO, c’est bientôt à leur tour d’être appelés à servir l’armée, quel est leur avis à ce sujet ?
O.S. : Ils vont refuser. Le premier sera incarcéré autour d’octobre ou novembre prochain, le second dans quelques années. Beaucoup de choses arrivent dans la vie d’un être humain, mais lorsque tu es éduqué dans la droiture, que tes parents te dotent d’un esprit éclairé, et, en ce qui nous concerne, de la fierté d’être palestiniens, cela t’aide à surmonter tous les obstacles, y compris la prison.
C’est aussi l’une des idées motrices du PYO, unir des Palestiniens de par le monde derrière une bannière. Si presque tout le monde peut venir en Palestine, les Palestiniens de la diaspora n’ont pas cette possibilité, et ceux de Cisjordanie ou de Gaza ne peuvent pas circuler librement. Nous, avec l’orchestre, nous les représentons partout dans le monde. Nous montrons aussi que nous ne représentons pas le terrorisme, mais différents talents et, malgré les difficultés, nous faisons de notre mieux pour exister. Le PYO est l’une des plus fortes manières de résister à l’occupation. Vous pouvez détruire tous les types de résistance, mais la culture musicale, la résistance artistique, on ne peut pas la combattre.
MEE : L’actualité a été marquée récemment par des manifestations à Tel Aviv en opposition aux attaques perpétrées par des extrémistes juifs contre des civils palestiniens, et notamment l’incendie de la maison d’une famille palestinienne dans laquelle un bébé et son père ont perdu la vie. Comment percevez-vous ces réactions de la société civile israélienne ?
O.S. : D’abord, cela a permis de montrer que le terrorisme n’a ni religion, ni couleur de peau, ni nationalité. Il fallait réagir, et ce fut très important. Ensuite, le principal enjeu c’est de comprendre que l’ennemi demeure l’Apartheid qu’Israël fait subir aux Palestiniens. C’est grâce à lui que ces extrémistes juifs peuvent faire ce qu’ils veulent, aller où ils ont envie. L’État leur fournit des armes pour soi-disant se défendre, alors qu’ils ne font que tuer des civils palestiniens qui protestent contre la colonisation.
La manifestation a démontré que peu importent ta communauté, ton origine, ta couleur de peau, les gens veulent combattre le terrorisme. L’enjeu est de bien définir ce qu’on nomme « terrorisme ». Les opérations militaires israéliennes en Cisjordanie et à Gaza sont du terrorisme. Enfin, ceux qui manifestent doivent comprendre l’erreur de percevoir le conflit comme une opposition entre deux parties. Le Hamas n’a pas, et n’aura jamais, l’arsenal militaire d’Israël. Et l’opération de l’été dernier [contre la bande de Gaza] l’a bien montré. Il n’y a pas de guerre, juste des enfants, des pères, des mères, des personnes âgées, composant un peuple occupé qui se fait massacrer à chaque nouvelle offensive militaire décidée par les autorités israéliennes.
MEE : Dans la ville d’Aix-en-Provence, la mairie a insisté pour qu’un quatuor israélien se produise dans le même cadre que vous, afin « d’équilibrer » le fait que le PYO joue dans sa ville. Que pensez-vous de cette décision ?
O.S. : C’est la preuve de leur soutien au sionisme, et ce n’est acceptable pour aucun de nous. Si le maire pense que l’invitation d’un quatuor israélien à jouer dans le même cadre que nous permette d’équilibrer quelque chose, ou de résoudre le conflit israélo-palestinien, il ferait mieux de réfléchir à nouveau. Par exemple, commencez par répondre à cette question : si demain l’orchestre philarmonique d’Israël, ou l’Orchestre des jeunes d’Israël, venait jouer dans sa ville, insisterait-il pour que le PYO ou un artiste palestinien s’y produise également ?
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