La répression de la vie culturelle et médiatique palestinienne continue en Israël
Le gouvernement israélien a déclaré la guerre à une chaîne de télévision palestinienne qui a été lancée le mois dernier depuis un camion-studio mobile près de Nazareth en Israël.
La chaîne, qui diffuse ses programmes six heures par jour à 1,5 million de citoyens arabes palestiniens en Israël, se concentre sur les nouvelles, les arts, la nourriture et les célébrités, tout en offrant des programmes pour enfants et des jeux.
Malgré le budget et les ambitions modestes de la chaîne, le ministre de la Sécurité publique d’Israël, Gilad Erdan, a ordonné sa fermeture la semaine dernière, décrivant ses activités comme une « violation de la souveraineté d’Israël ».
Cette chaîne par satellite – appelée Palestine ‘48 – est la première chaîne desservant la minorité palestinienne d’Israël à être financée par l’Autorité palestinienne, le gouvernement provisoire de Mahmoud Abbas en Cisjordanie occupée.
Les responsables israéliens ont affirmé que la chaîne est utilisée par l’Autorité palestinienne pour « prendre pied » en Israël afin de promouvoir la désinformation et la provocation.
Toutefois, les critiques affirment que la répression dont est victime la chaîne fait partie d’une plus grande offensive menée par la nouvelle ministre de la Culture, Miri Regev, sur la vie culturelle des Palestiniens en Israël, lesquels représentent un cinquième de la population.
Ahmed Tibi, membre palestinien du parlement israélien, a récemment rapporté au site web d’informations Ynet : « Regev agit envers les artistes arabes comme les policiers israéliens à l’égard des manifestants arabes : comme un ennemi qui doit être éliminé. »
Rapprochement avec le monde arabe
Selon Makbula Nassar, une présentatrice de la chaîne de radio commerciale Ashams à Nazareth, le lancement de Palestine ’48 avait suscité un enthousiasme particulier car la minorité palestinienne d’Israël manque de ressources pour développer ses propres médias.
« C’était comme une prison ici en termes de médias », a-t-elle confié à Middle East Eye. « Pendant longtemps, nous n’avons eu accès qu’à quelques sources d’information en dehors de celles fournies par l’État, ignorant complètement les besoins de notre communauté.
« Maintenant, on a au moins l’espoir de pouvoir développer une chaîne de télévision qui offre de nouvelles idées et perspectives, sans propagande israélienne. Nous faisons partie du monde arabe et nous devons rompre notre isolement et nous rapprocher de ce dernier. »
Le ministre de la Communication de l’Autorité palestinienne, Riad Hassan, a certifié que l’objectif de la chaîne était d’offrir une plate-forme permettant à la minorité palestinienne d’Israël d’« exposer au monde arabe tout ce qu’elle doit endurer sur les plans social, culturel et économique ».
Pourtant Netanyahou, qui est ministre de la Communication en plus d’être Premier ministre, semble être d’un autre avis.
Il a ordonné de trouver un moyen de fermer la nouvelle chaîne après son lancement le mois dernier, programmé pour coïncider avec le mois sacré du Ramadan, lorsque les chiffres des audiences TV sont élevés à travers le monde arabe.
La semaine dernière, Gilad Erdan a accusé l’Autorité palestinienne de violer les accords d’Oslo de 1994, affirmant qu’une clause interdit le financement palestinien d’activités sur le sol israélien.
Palestine ‘48 a répliqué qu’il s’agissait simplement de l’achat de programmes auprès de sociétés de télévision israéliennes, tandis que le signal est diffusé non d’Israël mais de la ville de Ramallah en Cisjordanie, via un satellite égyptien. En conséquence, aucune autorisation israélienne n’est nécessaire, selon les responsables de la chaîne.
« Cet ordre n’a aucun fondement juridique », a indiqué Jafar Farah, un membre du conseil consultatif de Palestine ‘48, à MEE. « C’est un geste purement politique de la droite dans une compétition visant à montrer qui ira le plus loin pour réduire au silence la minorité arabe. »
Jusqu’à présent, la chaîne a réussi à poursuivre sa diffusion, en dépit de l’ordre.
La culture arabe privée de fonds gouvernementaux
Les dirigeants palestiniens en Israël avertissent que, sous la direction de Regev, le ministère de la culture prépare une offensive de taille sur les arts et la culture arabes.
Ancienne porte-parole de l’armée israélienne et censeur militaire, Regev a endossé ses nouvelles fonctions en mai. Peu après, elle avait annoncé au monde artistique d’Israël : « S’il est nécessaire de censurer, je censurerai. »
L’attitude combative de Regev fait suite à un rapport officiel indiquant que les communautés palestiniennes en Israël ne perçoivent qu’une infime partie du budget de l’État pour la culture.
Sous la pression des tribunaux, le ministère de la Culture a récemment été contraint de produire des données montrant que seulement 3 % de son budget sont alloués à la minorité palestinienne en Israël.
Selon les chiffres officiels, les quatre cinquièmes des communautés palestiniennes n’ont reçu aucun fonds du ministère. Dans 83 % des communautés, il n’y avait pas d’activités musicales. La moitié n’avait pas de festivals ou de spectacles pour enfants et un tiers ne possédait pas de bibliothèque. Aucune communauté palestinienne n’avait de théâtre ou de centre artistique respectant les normes gouvernementales.
Jafar Farah, qui dirige également le centre Mossawa pour la défense des Palestiniens en Israël, lequel est allé devant le tribunal pour exiger les chiffres sur les dépenses, a déclaré que la culture arabe en Israël était privée de fonds.
« Le gouvernement fait de son mieux pour empêcher ses citoyens arabes d’obtenir une répartition équitable du budget », a-t-il affirmé. « Il veut faire taire les détracteurs de ses politiques, en particulier en ce qui concerne l’occupation et les violations des droits de l’homme. »
Un paysage culturel réinventé
Ces dernières semaines, Regev a menacé le financement par l’État de deux havres majeurs de la culture arabe : l’unique théâtre national arabe d’Israël et un théâtre judéo-arabe pour les enfants.
Le gouvernement a récemment gelé le financement du théâtre al-Midan d’Haïfa, après des plaintes concernant la production d’une pièce de théâtre en arabe sur les expériences des prisonniers politiques dans les prisons israéliennes.
Le quotidien libéral israélien Haaretz a qualifié la décision de Regev de « dure », « stalinienne » et prise dans le but de « délégitimer » al-Midan, ajoutant : « Le ministère de la culture est en train de devenir le ministère de la censure à une vitesse vertigineuse. »
Le directeur d’al-Midan, Adnan Tarabash, a démissionné depuis, mais le théâtre étant en pleine crise financière, ses responsables auraient l’intention de faire appel à l’aide de l’Union européenne.
Regev a également défrayé la chronique le mois dernier quand elle a menacé de retirer le financement promis au théâtre pour enfants Elmina à Jaffa, près de Tel-Aviv, l’un des rares projets artistiques faisant la promotion d’une coexistence judéo-arabe.
Elle avait annoncé que le théâtre serait puni après le refus de l’acteur Norman Issa, co-fondateur palestinien du théâtre, et de son épouse juive, de jouer dans une colonie dans la Cisjordanie occupée. Regev n’est revenue sur sa décision que lorsque Norman Issa a accepté de prendre part à la tournée.
Ala Hlehel, auteur palestinien récompensé vivant à Acre, a expliqué que le gouvernement de Netanyahou commençait par punir les artistes palestiniens parce que ceux-ci constituaient « une cible facile ».
« Ce n’est que le début », a-t-il souligné à MEE. « La droite estime désormais ne pas avoir de contraintes et a l’intention de réinventer l’ensemble du paysage culturel afin de se débarrasser des dissidents et des détracteurs du gouvernement, qu’ils soient arabes ou juifs.
« Il est facile de commencer par s’attaquer aux Arabes parce qu’ils ont peu de soutien en Israël. Toutefois, ce que veut vraiment la droite, c’est dominer l’opinion publique en contrôlant les médias et le discours culturel. »
Les films doivent être « israéliens »
Le gouvernement israélien a insisté sur le fait que tous les cinéastes qui reçoivent un financement de l’État doivent s’engager à identifier leurs films comme « israéliens ».
D’autres grands cinéastes palestiniens en Israël, comme Hany Abu-Assad, ont essayé de trouver des moyens de contourner les contrôles israéliens. Son film Omar, nommé l’an dernier pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, était le premier à être financé exclusivement par des bailleurs de fonds palestiniens.
Nassar, de Radio Ashams, assure que l’objectif d’Israël est de rendre la vie aussi difficile que possible aux artistes palestiniens en Israël. « Le message qui est adressé aux écrivains, aux journalistes et aux intellectuels, c’est de garder la tête basse et de ne pas faire de vagues, s’ils veulent survivre.
« Je crains que faute d’emplois ou d’opportunités pour créer, nos artistes émigrent. Et cela mettra encore plus en péril notre identité en tant que Palestiniens. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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