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L’AKP renaissant souhaite changer la constitution turque

L’objectif du passage à un régime présidentiel fera vraisemblablement obstacle à une nouvelle constitution

ISTANBUL, Turquie - Suite à son incroyable succès dans les urnes en Turquie, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) a annoncé mercredi 4 novembre que sa priorité était de changer la constitution. L’objectif principal de l’AKP est de passer à un régime où la présidence détient les pouvoirs exécutifs. Toutefois, c’est précisément pour cela que ses tentatives rencontreront vraisemblablement une résistance féroce.

Quelques heures après avoir obtenu près de 50 % des voix lors des élections du 1er novembre, le Premier ministre Ahmet Davutoğlu a appelé tous les partis à se réunir et à se mettre d’accord sur une nouvelle constitution lors de son discours de victoire.

« Je demande à tous les partis qui entrent au parlement d’élaborer une nouvelle constitution nationale civile. Il est évident que le régime actuel ne répond pas aux besoins de la Turquie. Ce pays est à l’étroit », a déclaré Davutoğlu à ses partisans en liesse.

Bien que tous les partis politiques conviennent de la nécessité d’une nouvelle constitution civile, les tentatives précédentes du parlement pour en rédiger une suite aux élections de 2011 ont échoué en raison de divergences fondamentales. L’actuelle constitution de la Turquie est entrée en vigueur en 1982 et a été rédigée par la junte militaire après le coup d’État de 1980.

Le président joue actuellement un rôle essentiellement honorifique. Toutefois, Recep Tayyip Erdoğan a pu effectivement diriger les affaires du pays étant donné que le parti qu’il a cofondé est au pouvoir depuis qu’il a été élu président en 2014.

Malgré son retour, l’AKP n’a toujours pas le nombre requis de députés nécessaires pour modifier unilatéralement la constitution ou même soumettre les changements proposés à un référendum.

Mustafa Şentop, vice-président de l’AKP et juriste, estime qu’un régime présidentiel est essentiel pour assurer la stabilité politique et que l’électorat a soutenu une telle avancée en donnant 50 % des voix au parti.

« Un régime présidentiel permettra d’éviter les périodes d’incertitude politique comme celles observées après les élections de juin. C’est le meilleur moyen pour la Turquie d’avancer », a déclaré Şentop à Middle East Eye. « Notre volonté d’établir un tel régime n’a jamais été un secret et les résultats de ces élections montrent que nous avons le soutien de l’opinion publique au sujet de cette initiative. »

En revanche, les opposants démentent cette impression et affirment que les performances relativement médiocres de l’AKP – par rapport à son propre point de référence – lors des élections de juin était en partie dues au fait qu’il avait défini le passage à un régime présidentiel comme sa priorité.

Gürsel Tekin, secrétaire général du Parti républicain du peuple (CHP), a déclaré aux journalistes le 3 novembre que l’opinion publique ne soutenait pas le passage à un régime présidentiel, même parmi la base de partisans de l’AKP, et que son parti ne soutiendrait aucunement une telle avancée.

« Nous sommes là s’ils veulent créer un système juridique et une nouvelle constitution basée sur les normes occidentales. Cependant, ce n’est pas la peine de venir nous trouver s’ils veulent l’empoisonner en mentionnant un régime présidentiel », a déclaré Tekin.

Şahin Mengü, un ancien membre de la commission parlementaire en charge de la constitution, créée après les élections de 2011, affirme qu’aucun parti n’était parvenu ne serait-ce qu’à un semblant d’accord à l’époque et qu’il n’y avait aucune chance que cela réussisse aujourd’hui.

« Tout d’abord ce gouvernement ne disposera pas du mandat nécessaire pour changer la constitution d’un point de vue juridique. Il pourra tout au plus faire quelques amendements ici et là. Il ne dispose même pas des quotas suffisants pour le faire seul », a déclaré Mengü à MEE. « Si les quatre premiers articles de la constitution sont modifiés, c’est la fin de la Turquie telle que nous la connaissons. »

Les quatre premiers articles de la constitution turque stipulent globalement que la Turquie est une république laïque sociale-démocrate fondée sur les principes établis par Mustafa Kemal Atatürk et que le turc est sa langue officielle.

Opposition au régime ou à une personne ?

De l’avis de Şentop, l’AKP n’a jamais eu l’intention de tenter de changer les quatre premiers articles. Il pense que de telles insinuations sont uniquement destinées à créer des obstacles à l’égard d’une transition vers un régime présidentiel dans lequel les partis d’opposition dans leur forme actuelle n’auront aucune chance de parvenir un jour au pouvoir.

« Les partis d’opposition s’accrochent à un régime parlementaire parce qu’ils sont persuadés que c’est leur seule chance d’arriver au pouvoir. Ils n’arriveraient jamais à rassembler le nombre de voix requis pour parvenir au pouvoir dans un régime présidentiel », a déclaré Şentop.

Şentop estime également que l’opposition vis-à-vis d’un régime présidentiel repose purement sur l’animosité à l’encontre du président Erdoğan et affirme que l’AKP souhaite promouvoir un débat honnête concernant les mérites d’un régime présidentiel.

« Ils visent une personnalité, pas un régime de gouvernance. Alors que, en fait, les anciens présidents Süleyman Demirel et Turgut Özal ont voulu un régime présidentiel tout simplement parce qu’il s’agit d’un régime plus efficace », a déclaré Şentop.

Mengü croit cependant que le régime présidentiel a uniquement fait ses preuves aux États-Unis et à un certain degré en France et n’est pas un régime qui fonctionnerait en Turquie.

« Même Ataturk, le leader le plus charismatique que ce pays ait jamais eu, n’a jamais envisagé d’adopter un tel régime et a opté pour un régime parlementaire. Un régime présidentiel ne fonctionnerait pas en Turquie », a déclaré Mengü.

Alliés potentiels

Certains pensent que le Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, pourrait se révéler être un allié surprise de l’AKP dans sa tentative de mise en œuvre d’un régime présidentiel. Bien que le HDP ait fait reposer une grande partie de sa campagne électorale sur sa promesse d’empêcher Erdoğan de mettre en place un régime présidentiel, l’attrait d’une constitution garantissant certains droits aux citoyens kurdes du pays pourrait le pousser à faire des compromis.

Des questions telles que la décentralisation accrue de pouvoirs dans certains domaines et la garantie constitutionnelle des droits culturels fondamentaux tels que le droit à l’éducation publique en langue kurde pourraient tenter le HDP à envisager de coopérer avec l’AKP.

« Tous les types [de gouvernance] peuvent être débattus, y compris le régime présidentiel. Cependant, une structure restrictive reposant sur une seule personne est impossible. Ce n’est pas ce dont la société a besoin », a déclaré le porte-parole du HDP, Ayhan Bilgen, cité le 3 novembre par le journal turc Cumhuriyet.

De plus en plus de personnes sont convaincues que l’AKP, sûr de sa force après une victoire électorale si décisive, va tendre un rameau d’olivier à ses rivaux politiques afin de progresser dans sa tentative d’introduction d’une nouvelle constitution.

Mengü pense que les tentatives d’amendement de la constitution sont vouées à l’échec dans le climat actuel de fortes tensions au sein de la société.

Selon Şentop, le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution n’est pas quelque chose qui peut se faire en une seule séance et il s’agit plutôt d’un projet à long terme où la stratégie de l’AKP sera décidée suivant l’évolution de la situation.

« Nous avons exprimé ouvertement notre conviction que le régime présidentiel est ce qu’il y a de mieux pour le pays. Nous souhaitons que ce débat se poursuive d’une manière claire et ouverte. Ce n’est pas une question de positions à court terme », a affirmé Şentop.


Photo : le président Erdoğan et le chef de l’État-major général de l’armée turque Hulusi Akar en voiture (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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