Un changement radical transforme l’opinion américaine vis-à-vis d’Israël
NEW YORK, États-Unis – À première vue, la relation américano-israélienne apparaît aussi solide que jamais.
Les sondages montrent que 70 % des Américains ont une opinion favorable d’Israël. Lors de la récente réunion de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), un lobby pro-israélien, les candidats des deux principaux partis à la présidence se sont engagés à soutenir jusqu’au bout leur allié du Moyen-Orient.
Cependant, en creusant un peu, des fissures dans le soutien apparemment sans faille envers le pays ont commencé à apparaître.
Ces derniers mois, des législateurs démocrates ont demandé une enquête sur les allégations d’exactions israéliennes contre les Palestiniens, tandis que les défenseurs des droits ont de plus en plus recours aux tribunaux américains contre des Israéliens. Certains sondeurs suggèrent même que l’opinion publique pourrait être moins pro-Israël qu’on ne le pensait.
Et, bien sûr, Bernie Sanders, sénateur démocrate du Vermont, s’est écarté du troupeau de candidats à la présidentielle en mettant en évidence les souffrances des Palestiniens lors de l’évocation de leur conflit avec les Israéliens.
« L’opinion publique est en train de changer », a indiqué à Middle East Eye Seth Morrison, du groupe militant Jewish Voice for Peace. « Les jeunes Américains ont grandi dans un environnement très différent de leurs parents et sont prêts à regarder différemment le conflit israélo-palestinien. »
En mars, Patrick Leahy, l’autre sénateur démocrate du Vermont, a envoyé une lettre au secrétaire d’État américain, John Kerry, énumérant de possibles « violations flagrantes des droits de l’homme » par Israël, notamment l’usage de la torture et des exécutions extrajudiciaires.
Cette lettre, signée par dix autres parlementaires, demandait également une enquête à l’encontre de l’Égypte pour des motifs similaires. L’Égypte et Israël comptent parmi les principaux bénéficiaires de l’aide militaire américaine.
La signature de Leahy est d’autant plus significative que son nom est apposé sur une loi conditionnant l’aide militaire américaine au fait que les forces de sécurité d’une nation se livrent ou non à la torture ou à d’autres violations flagrantes des droits de l’homme.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a insisté sur le fait que les forces israéliennes ne commettent pas d’exactions dans leurs combats avec des « terroristes sanguinaires ».
La porte-parole du département d’État américain, Pooja Jhunjhunwala, a déclaré que le personnel « examinait la lettre et préparait une réponse ». Ces réponses peuvent inclure des informations sur le fait de « traduire devant la justice les forces de sécurité ayant commis des violations des droits de l’homme », a-t-elle indiqué à MEE.
Même si cela n’apporte rien, les militants ont salué une percée.
« C’est important parce que les parlementaires ont été prêts à résister à la riposte attendue de l’AIPAC », a déclaré Morrison, un lobbyiste, à MEE.
« Nous avons rencontré des membres du Congrès, en leur demandant de signer, et par le passé, nous n’aurions pas franchi le seuil. Aujourd’hui, ils sont ouverts à une meilleure compréhension de cette question. »
Autre exemple : un groupe de Palestiniens a engagé le mois dernier une ambitieuse action en justice réclamant plus de 30 milliards d’euros à des magnats, associations caritatives et entreprises américains pour leur soutien à l’accaparement des terres et aux autres violations des droits des Palestiniens par Israël ces 40 dernières années.
Ils réclament des dommages et intérêts au magnat des casinos de Las Vegas Sheldon Adelson, à Irving Moskowitz, un philanthrope ayant des intérêts immobiliers à Jérusalem-Est, ainsi qu’au pasteur John Hagee par rapport au financement de la construction de colonies sur le sol palestinien.
L’affaire a été portée à Washington DC par l’activiste Bassem al-Tamimi et quelques 35 autres Palestiniens et Américains d’origine palestinienne sur des accusations de conspiration, de crimes de guerre, de violations de propriété, de pillage et de racket.
« Renversement total de situation aux États-Unis »
Le bilan des avocats pro-palestiniens dans les cours civiles américaines n’est pas brillant, mais Martin McMahon, un avocat des plaignants travaillant pour le cabinet Martin McMahon and Associates, estime que les jurés américains ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois.
« Il y a un renversement total de situation aux États-Unis en matière de tolérance de ce comportement du gouvernement israélien et notre procès est apparemment un vecteur d’expression pour ceux qui sont complètement frustrés par ce processus », a déclaré McMahon à MEE.
S’ajoute à cela Bernie Sanders, qui tente de rattraper son retard contre Hillary Clinton pour obtenir l’investiture démocrate dans la course à la Maison Blanche, et semble plus impartial que d’autres politiciens américains sur le conflit israélo-palestinien.
Lors de la réunion de l’AIPAC de mars dernier, Hillary Clinton a pour sa part déclaré : « La sécurité d’Israël est non négociable ». Le favori républicain Donald Trump a loué un « lien indissoluble » entre les États-Unis et Israël. Sanders n’a pas assisté à ce déferlement d’amour.
Dans une interview avec le New York Daily News, il a non seulement soutenu « le droit d’Israël à exister », mais s’est aussi posé contre la misère palestinienne, dénonçant un « taux de pauvreté et de chômage jamais vus et Gaza qui reste une zone détruite ».
Pour Shibley Telhami de l’Université du Maryland, cela n’est pas uniquement de l’idéalisme, mais une tentative de courtiser les jeunes démocrates.
« Il a abordé la question comme aucun autre candidat à la présidentielle ne l’a jamais fait – aucun ayant de vraies chances », a déclaré Telhami à MEE. « Il satisfait la base en espérant qu’être plus proche de la base va l’aider contre Hillary Clinton. »
Selon Telhami, cela fait partie d’une tendance plus large.
Alors que les sondages d’opinion traditionnels montrent un soutien indéfectible envers Israël – un récent sondage Gallup, par exemple, a constaté que les Américains soutiennent davantage les Israéliens (70 %) que les Palestiniens (17 %) – le tableau est peut-être incomplet.
Sondages en faveur d’une diplomatie « impartiale »
Telhami, qui mène ses propres sondages, a indiqué que lorsqu’on les interroge sur le rôle que les États-Unis devraient jouer dans la médiation du conflit israélo-palestinien, la plupart des répondants (66 %) déclarent que Washington devrait être impartial.
Selon les données de Telhami, les républicains évangélistes, un dixième de la population des États-Unis, constituent le principal groupe pro-Israël. Environ 77 % des républicains évangélistes veulent que les États-Unis penchent en faveur d’Israël dans les négociations, contre 29 % des Américains en général.
« Par le passé, il existait un consensus national et les démocrates et les républicains étaient plutôt d’accord sur cette question », a expliqué Telhami à MEE.
« Au cours des dernières années, une division entre les partis a émergé dans le courant politique américain. Les démocrates souhaitent désormais massivement que les États-Unis soient neutres, notamment 80 % des démocrates de moins de 35 ans. »
Ceux du lobby pro-israélien ne sont pas d’accord.
Selon eux, l’acrimonie personnelle entre le président américain Barack Obama et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou sur la construction de colonies et le projet nucléaire iranien n’a pas sérieusement ébranlé une relation éprouvée par le temps.
« Le peuple américain est majoritairement pro-Israël aujourd’hui », a déclaré Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, un organisme parapluie, à MEE.
« Je ne doute pas que la relation continuera à être solide, même malgré les hics. »
Les répercussions de la lettre de Leahy, le procès d’al-Tamimi et la campagne de Sanders montreront peut-être qui est davantage dans le vrai.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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