Yémen : le roi des serpents est mort, mais d’autres surgiront à sa place
Dans la banlieue de Sanaa, l’ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh a été appréhendé à un poste de contrôle par ses anciens alliés houthis qu’il avait récemment reniés ; ces derniers auraient extirpé de sa voiture l’homme de 75 ans et lui auraient tiré une balle derrière la tête.
Moins d’une semaine auparavant, les deux parties étaient liées par une alliance stratégique contre la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui soutient le gouvernement dit « légitime » d’Abd Rabbo Mansour Hadi, l’ancien vice-président de Saleh. Aujourd’hui, Saleh est mort.
« Saleh a désormais été transformé en martyr par de nombreux Yéménites »
– Un ancien membre du mouvement houthi
La semaine dernière a été marquée par des changements monumentaux, mais pas entièrement imprévisibles, dans le jeu des alliances au Yémen. Selon des analystes et des Yéménites au sein du mouvement houthi et du parti de Saleh, le CGP, sa mort ébranlera les fondations d’un pays qui est déjà en plein effondrement, encouragera les Houthis contre leurs ennemis et accentuera la misère du peuple yéménite.
Un ancien membre du mouvement houthi, qui a souhaité conserver l’anonymat, a déclaré à Middle East Eye qu’il était convaincu que l’élimination aussi rapide d’un rival immensément puissant place significativement les Houthis en position de force.
Les Houthis ont toutefois marginalisé de nombreux Yéménites qui, quels que soient leurs sentiments à l’égard de l’ancien président Saleh, n’approuvent pas le timing de son décès ou la manière dont celui-ci a eu lieu.
« Saleh a désormais été transformé en martyr par de nombreux Yéménites, non pas parce qu’ils l’appréciaient nécessairement, mais parce que sa mort signifie la fin d’une ère et le début d’une ère bien plus atroce, marquée par des conflits économiques, un gouvernement dysfonctionnel et une corruption généralisée », a déclaré la source.
Compte tenu du rythme auquel les rapports de force évoluent, il est difficile de dire ce que réservent les mois à venir dans le conflit au Yémen.
Selon Will Picard, fondateur et directeur exécutif du Yemen Peace Project, nous pourrions observer quelques tendances générales.
« Tout d’abord, la coalition devrait désormais intensifier sa campagne aérienne et traitera probablement Sanaa comme une zone de feu à volonté, comme à Sa’dah. Nous allons probablement avoir beaucoup plus de victimes civiles de frappes aériennes dans les prochains jours.
Deuxièmement, si les Houthis peuvent s’accrocher à leur territoire, ils lanceront probablement des représailles contre tous ceux qu’ils considèreront comme des sympathisants du CGP à Sanaa et dans les gouvernorats voisins. Cela donnera lieu à des attaques contre des chefs tribaux ainsi que des personnalités politiques ; l’alignement des forces armées tribales pourrait par conséquent évoluer.
Troisièmement, il est possible que l’Iran intensifie son implication dans la guerre. S’il y voit une question de vie ou de mort pour les Houthis et sa dernière chance de gagner un avantage au Yémen, l’Iran « pourrait consacrer plus de ressources au combat. »
Un jeu de pouvoir international
Bien que les Houthis soient fréquemment décrits comme une force par procuration de l’Iran, l’ampleur du soutien matériel qui leur est apporté par la République islamique est sujette à débat. Cela pourrait toutefois changer à mesure que le conflit continuera de s’intensifier.
Les forces saoudiennes et émiraties sont probablement consternées par la mort de Saleh, qui était apparemment prêt à conclure un accord dans le but de nuire aux Houthis et d’aider la coalition saoudienne à remporter la guerre en échange d’un accord de partage du pouvoir censé l’inclure lui-même ainsi que son fils Ahmed.
Désormais, ces mêmes efforts visant à nuire aux Houthis devraient provenir de partisans influents du CGP qui se trouvent encore à Sanaa, ou de ceux qui sont désabusés par l’assassinat de Saleh et qui nourrissent de plus en plus d’amertume face à l’incapacité des Houthis à gouverner.
L’ancien partisan houthi qui a souhaité conserver l’anonymat a poursuivi son analyse : « Un incident comme celui-ci – le meurtre d’un homme qui a régné pendant près de quarante ans – rendrait toute personne raisonnable réticente à prévoir les scénarios à venir, mais les Houthis seront confrontés à une multitude de problèmes s’ils ne font pas d’efforts en faveur de la paix et de la réconciliation. »
« Les Houthis seront confrontés à une multitude de problèmes s’ils ne font pas d’efforts en faveur de la paix et de la réconciliation »
– Un ancien membre du mouvement houthi
« Il leur sera demandé de mettre en œuvre des réformes et de faire face à la crise économique. »
L’animosité récente entre les Houthis et les fidèles de Saleh n’est pas sans précédent. De 2002 à 2010, le président Saleh a mené six guerres contre les rebelles houthis dans la province de Sa’dah, leur province d’origine.
Des milliers de personnes ont été tuées au cours de cette période, dont Hussein Badreddine al-Houthi, le frère du chef actuel des Houthis, Abdel Malek.
Les Houthis et Saleh se sont retrouvés du même côté du champ de bataille lorsque ce dernier a été destitué en 2012 et remplacé par son vice-président, Hadi.
Pendant près de trois ans, leur alliance était parvenue à rester intacte. Ce n’est qu’au mois d’août qu’un signe clair de tensions élevées est devenu tangible.
Des rumeurs ont commencé à se répandre selon lesquelles Saleh cherchait à conclure un accord avec les Saoudiens en échange de son exfiltration du Yémen.
Après quelques accrochages mineurs, les affirmations ont été rejetées et décrites comme une tentative de la coalition visant à semer des divisions au sein de l’alliance ; peu d’éléments ont été mentionnés jusqu’à la semaine dernière, lorsque l’on a rapporté que Saleh avait conclu avec la coalition un accord qui allait lui permettre de fuir à Oman.
La fin de Saleh
La méfiance et l’animosité couvaient toujours en coulisses, ce qui a été clairement illustré dans la vidéo montrant le corps sans vie de Saleh, publiée ce lundi.
On peut y entendre un partisan houthi dire « Sayyid Hussein, votre mort n’a pas été vaine », en référence à la mort désormais vengée de Hussein Badreddine al-Houthi, qui a été tué par les forces de Saleh en 2010.
Il convient de souligner que ces tensions ont éclaté à l’occasion du Mawlid al-Nabi, l’anniversaire du prophète Mohammed, qui est célébré à la fois par les chiites zaydites et par les sunnites chaféites au Yémen.
« Sayyid Hussein, votre mort n’a pas été vaine »
– Voix entendue sur la vidéo de la mort de Saleh
Selon le Dr Waleed Mahdi, chercheur spécialiste du Yémen et professeur adjoint au département d’études internationales et régionales de l’Université de l’Oklahoma, les célébrations du Mawlid sont devenues plus qu’une tradition religieuse.
« Elles se sont transformées en une démonstration de force des Houthis, qui ont souhaité indiquer clairement à Saleh qu’il y avait un nouveau shérif en ville. Le Mawlid a renouvelé le droit d’Abdel-Malek al-Houthi au titre socioreligieux de « Sayyid » (descendant du Prophète) et à ses implications sectaires en matière d’autorité.
« Saleh a bien évidemment reçu cela comme une menace existentielle, ce qui a été à l’origine de sa déclaration dénonçant les Houthis. »
De nombreux experts s’accordent à dire que la mort de Saleh ne rapproche pas le Yémen de la paix. Dans cette phase comme dans toutes les autres phases du conflit, ce seront probablement les civils qui en pâtiront.
Comme l’a énoncé un commentateur anonyme à Sanaa, « l’histoire de l’homme qui danse sur la tête des serpents est maintenant terminée et il ne reste que les serpents. »
Photo : des partisans brandissent des masques d’Ali Abdallah Saleh (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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