Ahed Tamimi et les femmes dans la résistance palestinienne
Alors que les militants du monde entier ont pris part à la journée mondiale d’action pour libérer les Tamimi le 18 février, il convient de souligner le courage qui a valu à Ahed Tamimi, 17 ans, de devenir le visage de la résistance palestinienne.
Il est également important de célébrer les Palestiniennes en général et la longue liste de leurs nombreuses contributions à la lutte.
Le sexe compte
Ahed Tamimi est une jeune femme admirable qui fait la fierté des Palestiniens et de nos alliés, non pas parce qu’elle a giflé un soldat, mais parce que, pendant des années, elle a participé à – et mené – des manifestations contre le vol de sa terre.
Elle était une icône avant « la gifle » qui a résonné dans le monde. Elle a parlé avec éloquence de la lutte palestinienne pour la justice, et comment celle-ci est liée à d’autres luttes similaires dans le monde.
Et tandis qu’Israël essaie de tenir les médias à l’écart de son procès, nous devons faire notre part et dénoncer la manière dont ce pays traite une indigène qui défend sa terre et ses ressources naturelles contre une armée d’occupation illégale.
Nous devons faire notre part et dénoncer la manière dont Israël traite une indigène qui défend sa terre et ses ressources naturelles contre une armée d’occupation illégale
Et oui, son sexe compte : si un garçon de 17 ans avait giflé un soldat israélien, ils l’auraient abattu sur place, plutôt que de se moquer de lui au début, l’arrêtant seulement quand la vidéo de la gifle serait devenue virale.
Pourtant, comme je l’ai écrit dans un article précédent, même s’il est possible qu’Ahed elle-même soit exceptionnelle, sa lutte est néanmoins typique de celle de millions de Palestiniens. Il n’y a rien d’inhabituel dans son arrestation avant l’aube : Israël arrête en moyenne deux enfants palestiniens par nuit.
En tant que telle, Ahed est représentative d’une multitude de femmes et d’enfants palestiniens dont les histoires ne sont pas suffisamment rapportées.
Traduction : « Pourquoi l’expérience d’Ahed Tamimi est si importante – Le régime d’occupation d’Israël incarne parfaitement l’inhumanité indescriptible de la détention d’une population civile pendant des générations »
Dans un article sobre publié ici la semaine dernière, le rédacteur en chef de MEE, David Hearst, a retracé les chemins similaires empruntés par un père et son fils, Nasr et Ahmad Jarrar, à 15 ans d’intervalle.
Nasr Jarrar fut exécuté par des soldats israéliens à Jénine en août 2002, après avoir lui-même tiré sur un Palestinien utilisé comme bouclier humain par des soldats israéliens qui envahissaient le camp de réfugiés. Le 7 février 2018, des soldats israéliens ont abattu le fils de Nasr, Ahmad. Il venait de tirer sur un colon.
« De père en fils, comment la lutte palestinienne se transmet d’une génération à l’autre », écrit David Hearst, donnant un aperçu instructif de l’oppression actuelle des Palestiniens, même si les circonstances qui les entourent semblent changer.
De la mère à la fille
En plus des pères et fils, il est important d’inscrire intentionnellement les contributions des Palestiniennes, lorsque celles-ci sont effacées par les schémas patriarcaux au sein de la communauté, ainsi que par les médias internationaux. Après l’exécution d’Ahmad Nasr Jarrar, un groupe de Palestiniennes a décidé d’organiser une délégation pour présenter leurs condoléances aux familles en deuil.
Nihaya Qawasmi, une organisatrice basée à Jérusalem, m’a dit dans une communication privée que quelques femmes, y compris elle-même, avaient pris l’initiative d’organiser le voyage de Jérusalem à Jénine, pour présenter leurs condoléances aux familles des deux jeunes martyrs, Ahmad Nasr Jarrar et son cousin Ahmad Ismail Jarrar. Elles voulaient également se rendre chez un troisième martyr, Ahmad Abu Obeid, mais on leur a refusé la permission d’y aller.
Une délégation d’environ 40 personnes, en majorité des femmes, s’est rendue chez le premier martyr, mais quand il a fallu choisir deux délégués pour présenter leurs condoléances au nom de tout le groupe, la poignée d’hommes du groupe a décidé que deux d’entre eux le feraient.
Les meneuses ont demandé à ce que soit un homme et une femme, mais les hommes ont insisté pour que deux d’entre eux parlent. « Nous nous sommes retrouvées dans la position inconfortable d’être considérés comme d’irrespectueuses fautrices de troubles si nous avions insisté sur le fait que l’un d’entre nous devrait parler », m’a raconté Qawasmi.
Il est important d’inscrire intentionnellement les contributions des Palestiniennes, lorsque celles-ci sont effacées par les schémas patriarcaux au sein de la communauté, ainsi que par les médias internationaux
« Ces mêmes hommes ont alors décidé qu’on n’avait pas le temps pour visiter la deuxième maison, et ont même refusé un déjeuner préparé par l’un des hôtes pour les 40 membres de la délégation », a poursuivi Qawasmi. « Ainsi, au cours de la journée, trois décisions majeures ont été prises par des hommes lors d’un événement initialement organisé par des femmes. »
« Quelques hommes sont devenus les meneurs, comme si nous n’étions pas là, comme si ce n’était pas notre idée, comme si nous n’étions pas ceux qui avaient appelé et organisé la délégation. Peu de femmes ont protesté, les autres étaient réservées et, soudainement, les hommes sont devenus les meneurs et nous étions plus que des suiveuses. »
Bien que de telles expériences ne soient bien sûr pas représentatives de la façon dont tous les hommes palestiniens traitent toujours les femmes, elles sont trop fréquentes et doivent être dénoncées, même si nous exposons aussi le préjugé orientaliste des médias occidentaux.
Épine dorsale de l’Intifada
Pour en revenir à la première Intifada, que les médias occidentaux représentent principalement par l’image de jeunes hommes qui lancent des pierres, nous devons également rendre hommage aux organisatrices. Dans le film The Wanted 18, par exemple, les femmes expliquent comment elles ont acheté du tissu coloré et cousu les drapeaux palestiniens que les gens ont brandi lors des rassemblements.
Afin de ne pas être surprises dans cette activité « illégale », différentes femmes se relayaient pour acheter des mètres d’une couleur à la fois, rouge, noir, blanc et vert. Elles les assemblaient ensuite dans la maison d’une autre femme, alors que de plus en plus de femmes faisaient la garde pour prévenir si des soldats israéliens approchaient, et distraire les soldats lorsque cela s’avérait nécessaire.
Faire flotter le drapeau était l’une des actions les plus provocantes et les plus stimulantes de la première Intifada. Un autre film récent, Naila and the Uprising, réalisé par Julia Basha, montre que les femmes étaient l’épine dorsale de l’Intifada, ce qui avait maintenu l’unité.
« Quand les femmes s’impliquent dans des mouvements de protestation, la recherche montre que ces mouvements ont plus de chances de réussir et de mener à des sociétés démocratiques », a expliqué Bacha. « Quand les mouvements ont pour vocation d’appeler à l’égalité des sexes, ils ont tendance à adopter des stratégies non-violentes et ont tendance à mener à des sociétés stables, démocratiques et pluralistes. Elles durent plus longtemps. »
Comme l’écrit Amy Zimmerman, dans sa critique du documentaire : « Les activistes féminines ne sont pas des aberrations brillantes – elles sont la colonne vertébrale invisible qui soutient un mouvement. »
La persistance des femmes ne se démonte pas, même lorsqu’elles paient le prix le plus élevé.
Fatima Breijeh, d’Al Ma’sara, Bethléem, a perdu un fils, Imad. Toutefois, elle affirme : « J’ai décidé de continuer à résister jusqu’à mon dernier souffle et de continuer à inciter les gens à résister et à apprendre à mes enfants à résister et à jeter les bases de leur vie grâce à leur lait. Nos racines sont ancrées ici. Nous, ce pays, ce pays, nous sommes de ce pays. Regardez la terre, le sol, vous découvrirez que c’est notre couleur. »
Notre moral aurait été écrasé il y a longtemps, s’il n’y avait pas eu les femmes et les jeunes filles
Il n’est donc pas surprenant que l’autre fils de Briejeh, Hassan, coordonne le Comité national contre le mur et les colonies, participant régulièrement à des manifestations hebdomadaires contre la colonie voisine d’Ifrat.
Malak Mattar, âgée de 18 ans, dont les peintures sont désormais exposées dans des maisons du monde entier, incarne la créativité contre vents et marées. Mattar, qui a grandi à Gaza, a commencé à peindre à l’âge de 14 ans pour se remettre du traumatisme de l’opération Plomb durci, le troisième des assauts militaires massifs d’Israël contre la bande de Gaza qu’elle a déjà connu à son jeune âge.
Agents de la résistance
Avec ses peintures, pour la plupart des portraits de femmes, Mattar a montré au monde l’indomptable ténacité des Palestiniens et le désir irrépressible de vivre une vie de liberté et de dignité.
Ce ne sont là que quelques exemples du rôle primordial joué par les femmes et les jeunes filles palestiniennes dans la lutte pour la libération palestinienne. Nos hommes, jeunes et vieux, sont essentiels à la résistance.
Toutefois, notre moral aurait été écrasé il y a longtemps, s’il n’y avait pas eu les femmes et les jeunes filles.
Et il est d’autant plus important d’inscrire leur contribution à la libération palestinienne quand le discours occidental, conservateur et libéral, dépeint la culture palestinienne comme irrémédiablement patriarcale, comme si la misogynie n’était pas un phénomène universel et comme si les femmes et les filles palestiniennes n’avaient pas toujours été des participantes actives de la lutte, des agents du changement et de l’espoir.
Dans ce contexte, nous devons mettre au premier plan la longue histoire des femmes palestiniennes en tant qu’agents de résistance, de sumud (ténacité) et, finalement, de libération.
En Palestine, il n’y a pas de front de bataille lointain où des hommes armés vont et engagent d’autres hommes armés. Il y a une armée d’occupation composée de soldats israéliens, hommes et de femmes, une population de familles civiles qui résistent, des pères aimants comme Bassem Tamimi, des mères déterminées comme Fatima Breijeh, des jeunes femmes féroces comme Ahed Tamimi et d’innombrables organisateurs, femmes, hommes, jeunes et vieux, sans qui nos droits auraient été abandonnés, négociés depuis longtemps.
Alors que nous rendons hommage aux Tamimi, il est temps de retirer l’expression « femmes et enfants », qui infantilisent littéralement les femmes adultes, tout en effaçant les différences de sexe entre filles et garçons.
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la Palestinienne Ahed Tamimi, à droite, militante contre l’occupation israélienne, comparaît devant un tribunal militaire dans la prison d’Ofer, en Israël, dans le village de Betunia en Cisjordanie en 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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