Les droits des Palestiniennes négligés en faveur de la libération nationale
RAMALLAH – La Jerusalemite Women’s Coalition, un groupe de Palestiniennes de Jérusalem-Est, a publié un communiqué le 24 octobre demandant la « protection immédiate » de la communauté internationale en raison de la récente vague de violences qui secoue Israël et les territoires palestiniens occupés laquelle, affirment-elles, les fait « vivre dans un état de peur et d’horreur ».
Cette coalition « demande à ce que les femmes et les filles soient protégées », puisque ces groupes « sont particulièrement vulnérables à diverses formes de violence étatique et d’atrocités de masse ».
Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par l’occupation, selon Nadera Shalhoub-Kevorkian, professeure à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui a rédigé ce communiqué au nom de la coalition.
« Les aspects liés au genre ont toujours été évidents dans l’occupation israélienne », a-t-elle déclaré.
Dans toute la Cisjordanie, des familles hésitent à laisser les femmes sortir seules en raison du ciblage délibéré des femmes et des filles par les forces israéliennes.
Les femmes ne peuvent pas aller travailler et les filles manquent également davantage l’école que les garçons, ce qui provoque une « reproduction du patriarcat » dans la société palestinienne, a expliqué Shalhoub-Kevorkian à Middle East Eye.
Eileen Kuttab, directrice de l’Institut d’études des femmes (IWS) à l’université de Birzeit en Cisjordanie, a fait écho aux sentiments de la Jerusalemite Women’s Coalition, en déclarant qu’en raison de la nature structurelle, cyclique et hiérarchique des violences, les femmes deviennent souvent des « amortisseurs » dans le conflit, et les Palestiniennes sont les plus mal loties sous l’occupation.
Cependant, les obstacles à l’avancée des droits des femmes ne se résument pas aux effets de l’occupation, a expliqué Kuttab. En Palestine, les droits des femmes souffrent des forces imbriquées de l’oppression politique et sociale. Ces forces sont indissociables et œuvrent à se renforcer et à s’entretenir mutuellement, créant de nouvelles formes d’oppression, a précisé Shalhoub-Kevorkian.
Au lieu de trouver un équilibre entre la libération nationale et sociale, « les gens font plus attention à la libération de la terre au détriment de la libération des femmes », a déclaré Rawda Basir, directrice de l’antenne de Naplouse du Women’s Studies Centre (WSC), à MEE.
Les droits des femmes sous l’occupation
Le ministère des Affaires des femmes (MOWA) a été créé en tant qu’organe de l’Autorité palestinienne (AP) en 2003, sa raison d’être étant « la promotion et l’autonomisation des Palestiniennes », selon le site Web du ministère.
Une déclaration prononcée devant les Nations unies en mars 2014 par Rabiha Diab, ministre des Affaires des femmes, laisse entendre clairement que le ministère voit l’occupation comme le principal facteur inhibant l’avancée des droits des femmes en Palestine.
« L’occupation militaire israélienne et ses politiques et pratiques oppressives contre le peuple palestinien a considérablement affecté les Palestiniennes de manière très préjudiciable. »
Jamilah Abu-Duhou, spécialiste en études de genre envoyée par l’ONU Femmes comme consultante auprès du MOWA, a déclaré à MEE que les femmes « sont touchées comme tout Palestinien » par l’occupation, pourtant, elles « portent le poids de la réaction violente à l’occupation ». En Palestine, et plus particulièrement au sein de l’Autorité palestinienne, les « priorités nationales prennent le pas sur les priorités d’égalité entre les sexes », selon Abu-Duhou.
Eileen Kuttab de l’IWS est d’accord avec Abu-Duhou. Elle a observé un état d’esprit selon lequel « le premier ennemi est l’occupation, pas l’homme », ce qui a conduit de nombreux Palestiniens à voir les droits des femmes comme une question à traiter après la création d’un État palestinien indépendant. Elle souligne qu’« il y a différentes luttes au sein de la même lutte » et aucune de ces luttes ne doit être mise de côté en faveur d’une autre.
Le système juridique et une « stigmatisation sociale » en Palestine
Exemple de l’oppression sociale des femmes au sein de la société palestinienne : leur manque de protection en vertu du système juridique palestinien. Rawda Basir estime que « les hommes se voient toujours accorder le bénéfice de la loi » en Palestine. Par exemple, les peines de prison sont plus souples pour ceux qui tuent au nom de l’honneur familial.
Al Jazeera a rapporté une augmentation l’année dernière des « crimes d’honneur » en Palestine : des meurtres commis le plus souvent par les membres de la famille contre des femmes accusées de « conduite sexuelle immorale ». Basir mentionne également le fait que les jeunes filles de moins de 18 ans doivent être accompagnées par un homme afin de déposer plainte pour viol.
Selon Jamilah Abu-Duhou, « le système juridique constitue une préoccupation majeure » pour le MOWA, et le ministère a été impliqué dans l’élaboration de lois et d’amendements afin de l’améliorer.
Toutefois, elle affirme qu’il faut modifier non seulement le système juridique, mais aussi les procédures judiciaires, ainsi que les attitudes sociales dans leur ensemble.
Le MOWA a formé des juges et des procureurs pour qu’ils soient plus sensibles à la question des genres dans leur application des lois. Abu-Duhou a déclaré que la nécessité de cette formation est liée à la « stigmatisation sociale » qui est attachée aux femmes et à leurs droits en Palestine.
Sawa, une ONG palestinienne « travaillant contre tous les types de violence faites aux femmes et aux enfants », est une autre organisation de défense des droits des femmes qui s’attache à remettre en cause cette « stigmatisation sociale ».
La stratégie centrale de Sawa est la sensibilisation communautaire : l’organisation offre une formation aux professionnels, notamment aux procureurs, aux médecins et à l’unité de protection de la famille des forces de police palestiniennes. Cette formation vise à intégrer davantage les questions relatives au genre et les problèmes des femmes dans le quotidien de la société palestinienne.
Lina Saleh, coordinatrice de la hotline de Sawa consacrée aux violences sexuelles, estime que la société palestinienne prend progressivement conscience des problèmes des femmes. Depuis la création de la hotline en 1998, de plus en plus de femmes sont prêtes à tendre la main et à faire confiance à Sawa, qui leur fournit des conseils et de l’aide.
Interrogée sur les effets de l’oppression à la fois politique et sociale des femmes en Palestine, Flora Salman, superviseuse à Sawa, a répondu : « [l’occupation] pourrait être un facteur, mais ce n’est pas la cause principale des violences faites aux femmes. »
Elle accuse davantage la structure sociale patriarcale en Palestine : « Les hommes se donnent le droit de se comporter envers les femmes comme si elles étaient leur propriété. » Elle a expliqué que cette structure patriarcale n’est pas spécifique à la Palestine : « C’est pareil dans toute autre société... nous ne sommes pas différents des autres sociétés, c’est comme cela partout et dans toutes les sociétés. »
Un contexte complexe
En raison de cette insoluble imbrication d’oppression sociale et d’oppression politique, les stratégies d’autonomisation des femmes doivent être spécifiquement axées sur le contexte local – ce que ne font pas les ONG internationales et les donateurs selon de nombreux Palestiniens, a indiqué Eileen Kuttab à MEE.
Dans son communiqué du 24 octobre, la Jerusalemite Women’s Coalition a demandé « la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité ». La résolution exprime la « préoccupation par rapport au fait que les civils, surtout les femmes et les enfants, représentent la grande majorité des personnes touchées par les conflits armés ».
Cependant, Eileen Kuttab de l’IWS a confié à MEE que « les résolutions [de l’ONU] telles que la 1325 sont largement hors de propos. La Palestine n’est pas en conflit ni en période post-conflit, mais au milieu d’un mouvement de libération nationale dans lequel les droits des femmes sont négligés ».
Kuttab estime que de nombreuses ONG et bailleurs de fonds considèrent les droits des femmes comme un concept abstrait et leurs actions sont « sans rapport avec le contexte ». Ils se concentrent sur l’oppression politique ou sociale des femmes et ne tiennent pas compte de la manière dont les deux œuvrent de concert pour se renforcer mutuellement.
« Pour être pertinent, nous ne pouvons pas appliquer les lignes directrices de l’ONU et les laisser se répercuter progressivement, cela perd sa signification au niveau local », a expliqué Kuttab. Abu-Duhou abonde dans son sens : « Nous ne pouvons pas continuer à penser que l’État palestinien est un État normal... ce qui fonctionne ici ne fonctionne pas ailleurs, nous sommes uniques en ce sens. »
Dans le processus de construction d’un État, Kuttab estime qu’il est impératif que les droits des femmes ne soient pas oubliés. En combinant la lutte pour les droits nationaux avec la lutte pour les droits des femmes, il existe une chance que la structure du futur État palestinien soit basée sur des principes d’égalité sociale.
Elle affirme que la Palestine a besoin « de trouver une formule où les droits des femmes sont à l’ordre du jour et non dissociés de la lutte nationale ».
« Les droits des femmes sont étroitement liés aux droits nationaux, ils doivent avancer main dans la main », a déclaré Abou-Duhou à MEE. « Alors que nous bâtissons un État, nous savons quel genre d’État nous voulons : démocratique, libéral... au sein de cette idéologie nous érigeons des droits, et les droits des femmes doivent être au premier plan du mouvement pour les droits nationaux... les uns ne devraient pas passer avant les autres. »
« [Les femmes] doivent être libérées et, en même temps, nous devons libérer notre terre. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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