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Combattre Daech : le dilemme de l’Iran et des États-Unis

La concurrence entre les États-Unis et l’Iran aura pour seul effet de permettre la survie de Daech : la défaite de cet ennemi repose sur la coopération

Face à l’attentat qui a récemment eu lieu en Californie, le président américain Barack Obama a promis, dans son allocution télévisée du 6 décembre dernier, une intensification des frappes aériennes contre Daech (l’autre nom de l’État islamique). Il a affirmé qu’une coalition de plus en plus importante de pays en guerre contre Daech finirait par aboutir à des résultats probants. Cependant, il n’a annoncé aucun changement dans la stratégie actuelle, notamment au sujet de l’envoi de troupes en Syrie et en Irak.

Daech a déjà essuyé un certain nombre d’importantes défaites, dont certaines au cours des derniers mois. La tentative du groupe État islamique de prendre la ville kurde de Kobané, en Syrie, s’est soldée par un échec, et il a perdu le contrôle du barrage de Mossoul, de Tikrit, et plus récemment de Sinjar, en Irak. En novembre, il a également perdu l’aéroport stratégique de Kweires, près d’Alep.

Malgré ces pertes, les stratégistes s’entendent tous pour dire qu’il sera presque impossible de gagner pour de bon la guerre contre ce groupe violent et radical sans envoyer de troupes au sol.

Le dilemme réside dans le fait que Barack Obama s’oppose fermement à l’envoi de troupes américaines dans cette guerre. Au vu des expériences passées des États-Unis lors de deux importantes guerres dans la région (en Afghanistan et en Irak), le raisonnement de Barack Obama est cohérent. « Il ne faut pas que nous soyons attirés une fois encore sur la pente glissante d’une guerre longue et coûteuse sur le sol irakien ou syrien. C’est cela que cherchent les groupes comme Daech. Mais ils savent aussi que si nous occupons des pays étrangers, ils pourront entretenir l’insurrection pendant des années, en tuant nos soldats par milliers, en épuisant nos ressources et en profitant de notre présence sur place pour recruter de nouveaux éléments », a fait remarquer Barack Obama.

Les États-Unis ont déjà tenté de mettre en place un programme basé sur l’entraînement de troupes locales et sur l’envoi d’armes. Ce fut un échec retentissant, à l’image de celui des programmes du même type qui avaient eu pour but d’entraîner les armées afghane et irakienne. Dans le cas de Mossoul, 30 000 soldats irakiens ont pris la fuite face à 800 combattants de Daech.

Des rumeurs circulent au sujet du possible déploiement de troupes arabes sunnites en Irak pour combattre Daech. Ces bataillons classiques rencontreront très probablement le même sort que celui des forces de l’OTAN en Afghanistan. Pour gagner définitivement la guerre contre Daech, il faudra des combattants d’une grande motivation, qui s’accrocheront à leurs convictions avec autant de fermeté que les extrémistes défendent les leurs. Jusqu’à présent, deux groupes seulement ont manifesté ce trait de caractère : les Kurdes syriens et les Iraniens, ainsi que leurs représentants sur place.

L’Amérique peut-elle compter sur les Kurdes pour mettre définitivement fin à la guerre contre Daech ? La réalité concernant les Kurdes est qu’ils se battent pour obtenir un territoire où ils pourront créer un nouvel État kurde indépendant. Par conséquent, ils sont réticents à s’engager stratégiquement dans un combat contre Daech à l’échelle du pays. Et ceci est bien compréhensible : ils ne veulent pas mener la bataille d’autrui.

L’Iran, cependant, a des raisons à la fois idéologiques et politiques ainsi que des impératifs de survie qui le poussent à s’engager sans réserve dans la bataille contre Daech, l’ennemi juré des chiites. L’importante présence iranienne en Syrie et en Irak par le biais de groupes affiliés pourrait faire de l’Iran un allié très efficace pour les États-Unis dans leur bataille contre les organisations extrémistes salafistes, et tout particulièrement contre Daech. Cependant, un certain nombre d’obstacles se dressent pour empêcher la formation d’une alliance irano-américaine.

Les alliés des États-Unis dans la région, parmi lesquels Israël, des États arabes comme l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, la Turquie, s’opposeront à une telle alliance. Est-ce là un obstacle insurmontable pour les États-Unis ? L’expérience de la finalisation de l’accord sur le nucléaire iranien a permis de montrer que, même en présence d’oppositions véhémentes à cet accord de la part des protagonistes régionaux, il était possible de s’en sortir en fin de compte.

Le sort à réserver au président syrien Bachar al-Assad pourrait être un autre obstacle à la formation d’une telle alliance. Cependant, John Kerry est convaincu qu’un accord sur l’avenir de la Syrie est maintenant à portée de main. « Ce n’est qu’une question de semaines avant que nous puissions envisager de façon concevable la possibilité d’une grande transition pour la Syrie, et je ne pense pas qu’assez de gens s’en soient nécessairement rendu compte. Mais c’est bel et bien la réalité », a déclaré John Kerry le 14 novembre en marge du sommet de Vienne, auquel tous les pays de la région ont participé.

Cependant, le principal problème est que le dirigeant iranien s’oppose catégoriquement à toute négociation et à tout accord avec les États-Unis.

De nombreux analystes iraniens et occidentaux pensaient que la conclusion d’un accord historique sur le nucléaire entre l’Iran et les six plus grandes puissances mondiales ouvrirait la voie vers plus de discussions et enfin vers la réconciliation entre l’Iran et les États-Unis. Cependant, après la fin des négociations, le chef suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a prononcé un discours enflammé dans lequel il a clairement annoncé que l’Iran ne changerait pas de position vis-à-vis des États-Unis. Il a notamment mis l’accent sur le fait qu’il « [n’accepterait] aucune négociation avec les États-Unis, que ce soit pour des questions bilatérales, régionales et mondiales ».

Tandis que cette prise de position était une conséquence des impératifs imposés au dirigeant iranien dans son pays, l’Amérique a également sa part de responsabilité dans cette situation. Peu après la signature du contrat sur le nucléaire par l’Iran et les principales puissances, John Kerry a franchement indiqué dans son allocation devant le comité du Sénat chargé des relations étrangères que la position des États-Unis envers le gouvernement iranien restait la même en dépit de la conclusion de l’accord sur le programme nucléaire iranien. « J’ai d’importants projets […] sur notre manière de lutter à l’avenir contre les autres activités de l’Iran, contre le terrorisme, ses soutiens, sa participation à la violence confessionnelle au Moyen-Orient, entre autres choses », avait-il remarqué.

Le pouvoir iranien est méfiant vis-à-vis des buts poursuivis par les États-Unis dans leur bataille contre Daech. Bien que les Américains aient mené d’importantes campagnes aériennes qui ont permis la défaite de Daech à Tikrit et à Kobané et qu’ils aient également tué certains des principaux dirigeants de Daech, ils sont restés spectateurs alors que des convois blindés de Daech avançaient au mois de mai vers Ramadi en empruntant une route principale.

Et ceci s’est produit en dépit du fait que les services de renseignements et les responsables militaires américains « disposaient d’éléments d’information tangibles sur l’imminence d’une attaque de Daech à Ramadi », comme l’indiquent les différents rapports. Le général Qasem Soleimani, commandant de la Force al-Qods, une force d’élite iranienne, s’en est violemment pris à l’inaction américaine, se demandant notamment si elle « [n’était] pas l’indice d’une quelconque complicité dans ce complot ».

Cependant, ces manœuvres contradictoires sont peut-être la conséquence du refus iranien de prendre part aux interactions « bilatérales » avec les États-Unis, et de son émergence en Irak et en Syrie en tant que force opposée aux intérêts américains.

L’appareil décisionnel iranien croit à tort que l’issue de cette guerre contre Daech jouera sur le front militaire. Ces responsables ignorent donc délibérément le fait que la confrontation et la concurrence avec les États-Unis peuvent grandement complexifier cette guerre, ce qui rendra leurs objectifs extrêmement coûteux et bien plus difficiles à atteindre.

Ils ont également manqué d’intérêt pour d’autres fronts pourtant capitaux où l’influence américaine peut se révéler la clef du succès, à savoir l’échange d’informations, le blocage des accès financiers de Daech, la pression faite sur la Turquie pour qu’elle ferme ses frontières afin d’empêcher les combattants étrangers de rejoindre Daech, et l’interruption des activités du groupe État islamique sur Internet et les réseaux sociaux.

La coopération irano-américaine pourrait éliminer le facteur que représente la menace iranienne et encourager les États-Unis à faire des démarches importantes, notamment au sujet des pressions à effectuer sur la Turquie pour qu’elle ferme ses frontières avec la Syrie.

Selon un rapport récent, le nombre de combattants étrangers présents en Syrie a plus que doublé depuis juin 2014, étant passé de 12 000 à 27 000. Les fronts non militaires, sur lesquels la Russie n’est pas en mesure d’exercer une grande influence, sont d’une grande importance dans cette bataille.

Enfin, l’argument ultime est qu’aussi bien du point de vue américain qu’iranien, Daech est perçu comme un ennemi mortel. La concurrence entre les deux États aura pour seul effet de permettre la survie de Daech. La défaite de cet ennemi repose sur la coopération.

La coopération irano-américaine est-elle possible ? Oui, absolument. Sous le président Mohammad Khatami (1997-2005), l’Iran avait réussi à coopérer avec les États-Unis et avait joué un rôle clef dans la chute des Talibans et la mise en place du gouvernement d’Hamid Karzai, qui avait la faveur des États-Unis.

- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste freelance qui écrit principalement sur la politique intérieure et étrangère de l’Iran. Il est également le coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace, publié en mai 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le secrétaire d’État américain John Kerry pose en compagnie du ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, lors d’une conférence bilatérale organisée dans les locaux des Nations unies le 26 septembre 2015 à New York (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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