Comment les sionistes chrétiens ont obtenu leur homme à la Maison-Blanche
Le 18 juillet 2017, le vice-président américain Mike Pence a prononcé le discours d’ouverture du sommet annuel de Christians United for Israel (CUFI). Fondé en 2006 par le pasteur John Hagee, un évangéliste de San Antonio, CUFI affirme être le plus grand groupe pro-israélien des États-Unis, avec trois millions de membres. Hagee a appuyé la candidature de Donald Trump à la présidence en mai 2016.
Le mouvement sioniste chrétien n’est pas un phénomène récent. Des efforts sont déployés depuis plus d’un siècle pour restaurer la gloire biblique largement illusoire d’Israël
Pence a encore une fois promis que l’administration Trump transférerait l’ambassade américaine à Jérusalem, cette fois-ci devant des partisans chrétiens d’Israël de plus en plus rétifs face à l’incapacité de Trump à tenir sa promesse de campagne pour Israël – signe de ce que certains analystes ont considéré comme un nouveau revirement idéologique du côté de la Maison-Blanche.
Le revirement idéologique de la Maison-Blanche
« Le discours de Pence marque un changement fondamental dans le langage historiquement employé par la Maison-Blanche pour articuler la relation entre les États-Unis et Israël », a écrit Dan Hummel, chercheur à la Harvard Kennedy School, dans le Washington Post.
Ce changement fondamental s’effectue en faveur du sionisme chrétien, une idéologie qui fonde son soutien politique pour Israël sur la conviction que l’État moderne d’Israël est une manifestation de prophéties inscrites dans la Bible – et que le sort même des États-Unis est prophétiquement lié à Israël.
Hummel décrit Pence comme un « fervent sioniste chrétien » qui exprime son soutien pour Israël en des termes explicitement prophétiques. Son apparition au sommet « est le signe d’une nouvelle ère d’influence des sionistes chrétiens à la Maison-Blanche ».
Pence n’est pas seul dans ses efforts déployés pour convaincre Trump de réaliser ce que les sionistes chrétiens considèrent comme une prophétie biblique. Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas, sa fille Sara Huckabee Sanders, désormais attachée de presse de la Maison-Blanche, ainsi que Sarah Palin exercent une grande influence dans l’administration Trump et sont de fervents sionistes chrétiens.
Roy Moore, que Trump a appuyé à l’occasion des élections sénatoriales en Alabama, fait partie du troupeau.
L’Armageddon des sionistes chrétiens
Les sionistes chrétiens, qui comptent environ 20 millions de représentants aux États-Unis, ont versé des millions de dollars au cours des dernières décennies dans leur quête d’un Israël élargi. Ils ont parrainé la migration de milliers de juifs en provenance de Russie, d’Éthiopie et d’autres pays.
Ils contribuent à hauteur de plusieurs millions de dollars à la construction de nouvelles colonies dans les régions palestiniennes occupées afin d’y accueillir les migrants. « Le transfert à Jérusalem prouve que notre président tient parole », a déclaré Hagee.
Benyamin Netanyahou a la conviction inébranlable et peut-être délirante qu’il a été choisi par Dieu pour diriger le peuple juif
Il a également tenu d’autres propos moins lucides : « Remettre Jérusalem aux Palestiniens reviendrait à remettre la ville aux talibans. » Il a également affirmé que le peuple juif brûlerait en enfer pour l’éternité à moins qu’il n’abandonne le judaïsme et ne se convertisse au christianisme après la bataille d’Armageddon.
C’est ce que croit John Hagee, et vraisemblablement ce que croient les trois millions d’adeptes au sein de CUFI qui font partie des 40 millions de membres du mouvement évangélique, ou du moins partiellement.
Il reste alors la spéculation la plus effrayante, selon laquelle le président en personne pourrait également partager certaines convictions avec Hagee, ou ne serait-ce qu’une seule d’entre elles. L’obsession de Trump pour l’islam a peut-être été partiellement façonnée par les considérations antimusulmanes de l’ancien chef de CUFI, le pasteur Jerry Falwell, aujourd’hui décédé.
Fini l’intermédiaire honnête
Le 6 décembre dernier, Trump a explicitement nié tout espoir encore persistant de parvenir à une solution à deux États. « Après plus de deux décennies de dérogations, nous ne sommes pas du tout plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens. Ce serait une folie de supposer qu’en répétant exactement la même formule, nous obtiendrions aujourd’hui un résultat différent ou meilleur. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé que le moment est venu de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël », a-t-il déclaré.
La reconnaissance de Jérusalem en tant qu’unique capitale d’Israël est beaucoup plus que symbolique. En effet, cela revient à nier l’obligation la plus fondamentale du processus de paix, à savoir une solution à deux États.
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas l’a reconnu lui-même. Les Palestiniens sont désormais convaincus que les États-Unis ne pourront jamais être un intermédiaire honnête ou un modérateur neutre – bien que les États-Unis n’aient jamais vraiment été un modérateur impartial.
L’influence politique énorme exercée par Israël aux États-Unis a rendu impossible toute interaction honnête et cette duplicité est aujourd’hui flagrante. Lors d’un sommet international qui s’est tenu le mois dernier, Abbas a déclaré que les États-Unis étaient inaptes à arbitrer le conflit au Moyen-Orient, marquant un revirement politique majeur après des décennies passées à courtiser la bienveillance américaine.
Le 21 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies a statué en faveur de la condamnation de la décision de Trump sur Jérusalem. Presque tous les États membres de l’ONU l’ont condamnée en dépit des menaces brandies par Trump de mettre fin aux financements américains pour les États qui s’opposeraient à sa décision sur Jérusalem.Abbas a annoncé ce revirement, qui est intervenu en réponse à la déclaration de Trump sur Jérusalem, lors d’un sommet des dirigeants musulmans qui a condamné l’initiative américaine et appelé à la reconnaissance mondiale d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.
Cela nous amène à un arrêt brutal du processus de paix suite aux efforts fructueux fournis par Jared Kushner, gendre et conseiller de haut rang de Trump, pour exiger des Palestiniens qu’ils acceptent de capituler totalement face aux exigences d’Israël. Jared Kushner et sa famille ont contribué à hauteur de plusieurs millions de dollars aux efforts israéliens de colonisation en Cisjordanie.
L’issue de ses efforts, à savoir refuser aux Palestiniens tout remède à leurs doléances, n’aurait jamais dû être mise en doute dès lors que Trump lui avait accordé une autorité absolue.
Le retour du Messie
Un problème critique pour les sionistes purs et durs et leurs alliés chrétiens est représenté par l’emplacement des ruines des premier et second Temples juifs, situés sous la mosquée al-Aqsa, le troisième site le plus sacré de l’islam. Un principe fondamental de la théorie sioniste chrétienne veut qu’un nouveau temple soit construit sur ces ruines antiques.
Les Palestiniens estiment que les fouilles archéologiques israéliennes effectuées sous le complexe de la mosquée al-Aqsa dans le but de construire un nouveau temple constituent une menace pour la mosquée. Les sionistes chrétiens soutiennent avec véhémence que cela doit être fait afin de réaliser la prophétie. Ils pensent qu’une fois la construction du nouveau temple achevée, le retour du Messie sera inévitable.
Le seul espoir pour les Palestiniens est une inclusion progressive de la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza dans ce qui deviendra une entité unique, Israël. Une issue très peu probable. Les Israéliens n’accepteront jamais d’accorder aux Palestiniens, musulmans comme chrétiens, la citoyenneté et le droit de vote dans ce que Netanyahou proclame désormais comme étant l’État juif.
Netanyahou a la conviction inébranlable et peut-être délirante qu’il a été choisi par Dieu pour diriger le peuple juif. « Le Premier ministre a une notion messianique de lui-même et se voit comme une personne appelée à sauver le peuple juif du nouvel Holocauste », a déclaré Eyal Arad, ancien haut conseiller politique.
Il ferait mieux de se dépêcher. Il est aujourd’hui visé par une quatrième enquête pour corruption et malversation depuis qu’il est en poste.
Pence est également convaincu de l’appel de Dieu. Son passage biblique préféré, qu’il cite souvent, est le suivant : « Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance. »
Le Parti républicain repose fortement sur les sionistes chrétiens, à la fois pour leur argent et pour leurs suffrages
Pence se montre ambitieux au-delà de son manque apparent de références et de ses échecs politiques en tant que gouverneur de l’Indiana. Pence a « clairement fait comprendre » au Comité national républicain qu’il était prêt à prendre la place de Trump en tant que candidat du Parti républicain à la présidence suite à l’affaire de l’enregistrement de l’émission Access Hollywood en octobre 2016.
Un président véritablement évangélique ?
L’été dernier, le New York Times a rapporté que Pence semblait se préparer à briguer un mandat présidentiel. Pence a nié les faits avec véhémence. Pence a imaginé la possibilité réelle que le Parti républicain se retourne contre Trump après un autre scandale majeur, qui assurerait sa propre ascension.
Les États-Unis pourraient se retrouver avec un président véritablement évangélique. Ce qui est inquiétant, ce n’est pas que Pence croie en Dieu, mais qu’il semble certain que Dieu croit en lui.
Les érudits bibliques chrétiens traditionnels considèrent le texte biblique comme étant allégorique. Or, les sionistes chrétiens croient en une interprétation littérale du texte péniblement tortueux du livre de la Révélation.
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Toutefois, le mouvement sioniste chrétien n’est pas un phénomène récent. Des efforts sont déployés depuis plus d’un siècle pour restaurer la gloire biblique largement illusoire d’Israël. Au XVIIe siècle, le roi Jacques Ier suggérait que « la fin des temps » aurait lieu en Palestine.
Comme les sionistes chrétiens aujourd’hui, il croyait que les tribus hébraïques devaient être réunies et revenir de la diaspora pour que la bataille finale entre les forces du mal et le Messie puisse avoir lieu à Armageddon.
Une nouvelle déclaration Balfour
Lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, et son Premier ministre, David Lloyd George faisaient tous deux preuve de sympathie à l’égard du sionisme chrétien. En 1917, trois ans avant que la Société des Nations n’ait confié à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine, Balfour écrivait à Lord Rothschild, membre de la famille de banquiers juive immensément riche et partisan de la première heure du sionisme, que « le gouvernement de Sa Majesté envisage[ait] favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploier[ait] tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif ».
L’État d’Israël n’aurait peut-être pas vu le jour sans la déclaration Balfour
L’État d’Israël n’aurait peut-être pas vu le jour sans la déclaration Balfour. Lorsque les États-Unis ont reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, l’objectif était, du moins en partie, de convoquer le Messie et de commencer à préparer la bataille d’Armageddon.
C’est ce que croient les sionistes chrétiens et c’est ce qu’ils réclament sans relâche à l’administration. La Bible nous dit que Jésus reviendra pour tout réparer.
Les musulmans, les juifs, les bouddhistes, les hindous, les shintoïstes, les animistes, les vaudous, les catholiques, les agnostiques, les athées et tous les autres seront convertis aux légions sionistes chrétiennes du Seigneur. Le Messie Jésus-Christ triomphera et dénouera tous les maux qui nous touchent aujourd’hui. Il anéantira l’Antéchrist et sa horde barbare dont font partie les Russes, tandis que lui, Jésus, régnera en roi sur la terre pour mille ans de bonheur et d’abondance.
Mais ils croient tout d’abord qu’il faut rétablir l’Israël antique et le débarrasser des hérétiques de toute confession religieuse autre que la leur, afin de réaliser la prophétie biblique du retour du Christ sur terre.
L’Israël biblique
Cette seconde venue n’augure cependant rien de bon pour les Israéliens selon la liturgie chrétienne sioniste. Israël ne sera malheureusement plus. Israël sera détruit au cours de cette apocalypse.
Selon leur croyance, Jésus, affligé de constater que les juifs ne l’ont pas considéré comme le Messie, tuera tous les juifs qui refuseront de se convertir au christianisme, ou plus précisément au sionisme chrétien. Jésus n’est semble-t-il pas du genre à tendre l’autre joue quand on lui manque de respect.
Si vous croyez le contraire, si vous croyez que les prophéties bibliques telles qu’interprétées par les sionistes chrétiens relèvent de la folie, vous êtes dans la majorité impuissante. Grâce au positionnement de Mike Pence et d’autres comme lui à la Maison-Blanche, les sionistes chrétiens sont parvenus à atteindre un degré d’influence incroyable sur ce qui est peut-être la nation la plus puissante au monde.
Ils croient que seule l’Apocalypse purifiera le monde et que les États-Unis seront l’instrument qui engendrera la colère de Dieu. Les ressources importantes et la puissance militaire des États-Unis font partie du plan divin visant à nous amener l’Apocalypse.
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Trump fera tout pour encourager la loyauté aveugle de ce troupeau dont il a hérité. Le Parti républicain repose fortement sur les sionistes chrétiens, à la fois pour leur argent et pour leurs suffrages. Ils ont un impact profond sur la direction du parti, même si le parti semble désormais plus théocratique que politique.
Les sionistes chrétiens sont fortement susceptibles de voter ; ils dépassent les vingt millions et sont de généreux contributeurs. Ils forment la base de cette nouvelle théocratie républicaine.
Ils ne veulent pas la paix avec les Palestiniens. Les Palestiniens n’ont pas leur place dans l’Israël biblique. Les sionistes chrétiens veulent les voir partir afin de purifier le Royaume naissant d’Israël et d’ouvrir la voie à leur éternité de bonheur au paradis.
- Morgan Strong est un ancien professeur d’histoire du Moyen-Orient et conseiller sur les questions relatives à cette région pour le programme 60 Minutes de CBS News.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le voyage du vice-président américain Mike Pence au Moyen-Orient a été retardé deux jours avant le jour d’arrivée prévu (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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