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D’Obama à Trump : les leçons, les défis

Dans une analyse exclusive pour MEE, la première depuis qu’il a quitté son poste, Ahmet Davutoğlu, l’ancien Premier ministre turc, met en évidence les échecs de Barack Obama sur la scène mondiale – et les dangers pour son successeur

Il y a peu de politiciens occidentaux dont l’élection a suscité autant d’enthousiasme et d’espoir, à l’ouest comme à l’est, au nord comme au sud, que celle de Barack Obama.

De même, peu de politiciens ont suscité autant de consternation et de déception dans le monde entier qu’Obama. Son héritage sera controversé.

Après deux guerres catastrophiques des États-Unis en Irak et en Afghanistan et la stratégie mal conçue de la « guerre contre le terrorisme », l’élection d’Obama représentait l’espoir et un nouveau départ, l’occasion de réévaluer la politique étrangère américaine et de repenser la place des États-Unis dans le monde. Cela revêtait une importance particulière pour restaurer les relations américaines avec le Moyen-Orient et le monde musulman dans son ensemble.

Dans cette optique, les discours passionnés et éloquents d’Obama en Turquie et en Égypte ont été perçus comme l’avènement d’une nouvelle ère entre les deux parties.

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L’accent mis sur la démocratie, les droits de l’homme, le pluralisme, la bonne gouvernance et le développement économique était particulièrement remarquable et inspirant, compte tenu de la tendance antérieure des États-Unis à parrainer des régimes autoritaires dans la région avec bien peu de considération pour ces valeurs.

En tout état de cause, le contexte était idéal pour prendre un nouveau départ en ce qui concerne les relations régionales, lesquelles devaient s’appuyer sur les valeurs communes de la démocratie, des droits de l’homme et du progrès économique, ainsi que le rejet tant attendu de la thèse de la stabilité par l’autoritarisme.

L’observation ou l’analyse des politiques étrangères d’Obama et, en particulier, des politiques régionales, constitue plus qu’une question de curiosité politique pour moi. C’est également très personnel. Je suis devenu ministre des Affaires étrangères de la Turquie peu de temps après l’entrée en fonction d’Obama : le 1er mai 2009, pour être précis.

L’audace de l’espoir

Trois éléments en particulier m’ont amené à avoir de grands espoirs concernant sa présidence et à me sentir optimiste quant aux perspectives d’avenir de sa politique étrangère.

Premièrement, l’élection d’un président noir était une bonne nouvelle pour les États-Unis et pour le monde en général.

J’ai exprimé cette pensée pour la première fois en avril 2002, lors d’une conférence à l’Université de Princeton, bien avant que la perspective de la présidence d’Obama ne se profile. Un tel choix, selon moi, aurait reflété le caractère inclusif de la politique et de l’identité américaines.

L’émergence et l’adoption de ces valeurs dans la politique américaine et leur promotion par la politique étrangère américaine auraient été l’une des plus solides sources de soutien en faveur de l’inclusion et de la diversité dans le monde.

L’investiture de Barack Obama en tant que président des États-Unis à Washington, en janvier 2009 (AFP)

Puisque la frontière entre les politiques nationale et étrangère a progressivement perdu en importance, les retombées politiques d’une telle évolution de la politique nationale américaine auraient encouragé un changement positif dans le monde entier.

Deuxièmement, nous nous attendions à ce que l’unilatéralisme et l’interventionnisme militants pratiqués par l’administration du président George W. Bush soient suivis d’un nouveau multilatéralisme.

Avec le recul, nous nous attendions à un multilatéralisme responsable et conséquent qui n’aurait pas sombré dans la diplomatie passive et les politiques d’engagement sans conséquence aussi aisément que ce fut le cas.

Bien qu’elle puisse être une caractéristique personnelle louable, l’éloquence ne remplace pas la vision politique, le courage et les politiques responsables

Troisièmement, comme je l’ai dit plus haut, nous nous attendions à ce que l’accent mis par Obama sur les droits de l’homme et la démocratie dépasse la rhétorique et fasse partie intégrante de la politique étrangère américaine, particulièrement envers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Ce n’était pas, et ce n’est pas, une attente purement normative ou idéaliste : je crois qu’une telle politique régionale aurait également eu des résultats plus positifs pour les intérêts américains dans la région.

Une telle politique aurait élargi la composante sociale et politique de la politique étrangère américaine dans la région, qui est, dans sa forme actuelle, confinée au triangle de la sécurité, de la politique étrangère et des élites économiques dont la légitimité – et donc leur survie – est désormais en jeu.

Obama n’a pas répondu aux attentes

À mon avis, l’élection d’Obama par le peuple américain en 2008 était en accord avec l’air du temps. Je pensais que sa politique étrangère aurait également reflété les valeurs et les aspirations qui y sont associées.

Ces attentes n’ont pas été comblées.

L’échec, la déception et la consternation ont caractérisé sa politique étrangère plus que le succès ou l’espoir « audacieux ». Les États-Unis ont aliéné leurs alliés traditionnels et enhardi leurs adversaires. La défense des démocraties et la promotion du pluralisme, de la dignité humaine et de la décence étaient, au mieux, en demi-teinte.

Pour être juste, Obama a commencé dans la bonne voie, mais il n’a jamais été au bout des choses tout au long de son mandat. Il multipliait les déclarations opportunes, mais ne les traduisait jamais par des actions opportunes.

Il a projeté une vision bénigne, mais ne l’a pas étayée par des actes qui ont eu des conséquences. Bref, il y avait un écart flagrant entre la rhétorique et la mise en œuvre.

Des chars israéliens à la frontière nord avec la bande de Gaza en décembre 2008 (AFP)

Bien qu’elle puisse être une caractéristique personnelle louable, l’éloquence ne remplace pas la vision politique, le courage et les politiques responsables. De plus, nous n’avons malheureusement jamais été capables de transformer notre dialogue personnel efficace avec l’administration Obama en progrès politique sur les questions et les thèmes d’intérêt et de préoccupation communs.

Pour être plus précis, la Turquie a mené quatre séries indirectes de négociations de paix entre Israël et la Syrie pour régler leur différend entre 2007 et la fin 2008.

Les négociations, pour lesquelles une équipe que j’ai dirigée a servi d’intermédiaire, ont progressé en douceur, au point que, vers la fin de l’année 2008, beaucoup s’attendaient à ce que les deux pays signent un accord-cadre pour une solution pacifique.

À notre grand désarroi, l’administration Obama a choisi de ne pas investir d’énergie ni d’efforts pour relancer cette initiative

Toutefois, l’invasion israélienne de Gaza fin 2008 a fait avorter ce processus. Nous nous sentions naturellement trahis par le fait qu’Israël avait une fois de plus choisi la guerre au moment même où la perspective d’un accord de paix avec la Syrie devenait réalisable. « De plus, les Israéliens omirent de nous informer de leur intention d’entrer en guerre malgré le fait que le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Olmert, venait de s’entretenir longuement au cours d’un dîner en Turquie avec Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre, quelques jours seulement avant l’invasion. »

Le moment où le processus a avorté a coïncidé avec le début de la présidence d’Obama. Un traité de paix entre Israël et la Syrie aurait eu un impact spectaculaire sur la scène politique régionale. Il aurait probablement ouvert la voie à un nouveau départ dans les relations entre les pays du Levant et, plus tard, de la région élargie.

Pourtant, à notre grand désarroi, l’administration Obama a fait le choix de ne pas mobiliser toute son énergie et de ne pas déployer tous ses efforts pour relancer cette initiative.

Washington a sabordé un accord sur la Syrie

Avançons jusqu’en 2011 : l’administration Obama a adopté la bonne position discursive sur la Syrie. Elle a déclaré le régime d’Assad illégitime en août 2011, bien avant que la Turquie ne fasse de même.

En fait, le 9 août 2011, j’ai discuté pendant six heures avec le président Bachar al-Assad en personne. Nous avons convenu d’un cadre de quatorze points pour une transition pacifique et d’une période de deux semaines pour qu’il déclare ce cadre après les préparatifs nécessaires.

Nous avons informé notre homologue américain de cet accord. Cependant, l’administration américaine s’est empressée de qualifier le régime de Bachar al-Assad d’illégitime, et ce à peine une semaine après le cadre sur lequel nous nous étions mis d’accord. Nul besoin de préciser qu’au cours de cette même période, le régime de Bachar al-Assad a également violé les termes de cet accord à plusieurs reprises. Par la suite, nous avons également coupé tout contact avec le régime.

Dans le même ordre d’idées, l’administration Obama a condamné à juste titre la brutalité du régime d’Assad, a appelé à un changement de régime et a qualifié l’utilisation d’armes chimiques de ligne rouge dont le franchissement déclencherait une réaction militaire et entraînerait de graves répercussions pour le régime d’Assad.

Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoğlu (à droite) rencontre le président syrien Bachar al-Assad en 2011 (AFP/Ministère turc des Affaires étrangères)

Toutes ces positions publiquement déclarées et ces lignes rouges ont depuis été violées par le régime d’Assad avec plus ou moins d’impunité, notamment l’utilisation d’armes chimiques en août 2013.

Sur un plan plus bilatéral, même si l’administration Obama a qualifié le régime d’Assad d’illégitime et l’a accusé à juste titre d’avoir commis des crimes graves, y compris des crimes contre l’humanité, cette même administration s’est montrée peu sensible face aux difficultés, aux défis et aux menaces auxquels la Turquie fait face en tant que voisine d’un pays déchiré par la guerre et gouverné par un régime illégitime.

De l’afflux de millions de réfugiés dans le pays au terrorisme de l’État islamique (EI) induit par la Syrie et du PKK, la Turquie a été confrontée à une multitude de difficultés et de menaces.

En d’autres termes, ce régime illégitime était la source de ces défis et menaces pour la Turquie, mais l’administration Obama ne voulait pas le reconnaître comme tel et agir en conséquence.

Au contraire, en fin de compte, l’administration Obama a laissé la brutalité d’Assad se poursuivre tout en soutenant les ennemis de « son alliée » turque sur le terrain.

2013 : le moment où tout a changé

En outre, tout comme les déclarations d’Obama au Caire ont été louables, tournées vers l’avenir et encourageantes, sa position sur le putsch commis contre le premier président élu dans le pays le plus peuplé du monde arabe a été démoralisante et décourageante.

La militarisation de l’insurrection syrienne, le coup d’État en Égypte et la montée du soi-disant État islamique ont été trois facteurs qui ont fait chavirer les progrès de la démocratie et de la dignité humaine dans le monde arabe.

À cet égard, 2013 a été une année cruciale. Les réponses équivoques d’Obama à la violation de ses lignes rouges en Syrie et au putsch en Égypte ont encouragé les dictateurs à commettre d’autres atrocités pour conserver le pouvoir, ont alimenté les discours des extrémistes et ont porté atteinte à la cause de la démocratie et de la dignité humaine.

Pour comprendre l’expansion exponentielle de l’EI depuis 2014, il faut mieux comprendre ce qui s’est passé en 2013.

Un soldat russe se tient à côté d’un bus d’évacuation à Alep en décembre 2016 (Reuters)

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : l’échec américain en 2013 a également envoyé des signaux aux adversaires et rivaux des États-Unis indiquant qu’ils pouvaient compter sur l’inaction des États-Unis. Il semble que la Russie ait pris ce message profondément à cœur.

La Russie n’aurait pas été aussi provocante et révolutionnaire en Crimée et en Ukraine en 2014, et plus tard en Syrie à partir de 2015, si l’administration Obama avait pu traduire son discours en actes.

En d’autres termes, l'activisme russe de l’Ukraine à la Syrie, de la Crimée à la Libye, est une conséquence directe de l’affaiblissement du pouvoir de dissuasion bâti sur l’engagement des États-Unis à faire respecter les règles et les principes du droit international et à accomplir leurs objectifs affichés, que ce soit par défaut ou à dessein.

Peut-être que les futurs historiens considéreront 2013 comme l’année qui a façonné le cours des décennies qui ont suivi, renversé la vague de changements régionaux et redéfini la dynamique des rapports de force mondiaux.

Mauvaise interprétation des événements

Plus tragiquement encore, les stratégies inefficaces d’Obama semblent, après un certain temps, avoir culminé dans sa reconceptualisation des problèmes et sa réinterprétation des événements.

Obama est tombé aisément dans le piège consistant à confondre causes et effets. La crise syrienne a été progressivement réduite à une autre guerre contre le terrorisme – cette fois sous la forme de l’EI – ainsi qu’à la nécessité d’une aide humanitaire. L’Iran a été réduit au dossier nucléaire.

Le militantisme russe de l’Ukraine à la Syrie, de la Crimée à la Libye, est le résultat direct de la disparition de l’engagement des États-Unis à respecter les règles et les principes du droit international

Une telle interprétation passe à côté de la vraie source des tensions entre l’Iran et ses voisins : sa politique régionale. Même sur le dossier nucléaire, les États-Unis ont dû se contenter d’un accord moins favorable que celui que nous avions négocié avec l’Iran en mai 2010, en partenariat avec le Brésil.

Je me souviens encore du dernier jour. Nos négociations difficiles avec l’équipe iranienne, avec mon collègue Celso Amorim, ministre des Affaires étrangères du Brésil, avaient duré dix-sept heures sans interruption. Nous avions informé les États-Unis de nos efforts et de notre intention de régler ce différend.

Après des négociations longues et fastidieuses, nous avons conclu un accord le 16 mai 2010. Nous nous attendions à une réaction positive de Washington, mais l’administration Obama a rejeté cet accord, simplement parce qu’il n’avait pas été conclu par le P5+1.

À cette époque, la capacité iranienne d’enrichissement de l’uranium était encore relativement faible. Cinq ans plus tard en revanche, le P5+1 devait conclure un accord à un moment où l’Iran avait atteint un niveau beaucoup plus élevé d’enrichissement.

Des Iraniens célèbrent l’accord sur le nucléaire dans le nord de Téhéran le 14 juillet 2015 (AFP)

Concernant l’Irak, l’administration Obama a cherché davantage « un moyen de sortir d’Irak » qu’« une juste solution pour l’Irak ».

La plupart des malaises associés à la politique interventionniste boiteuse et irréfléchie de George W. Bush, au Moyen-Orient en particulier mais pas exclusivement, se sont reflétés dans la politique déplacée de retrait du Moyen-Orient d’Obama.

L’idée et l’état d’esprit du « retrait » du Moyen-Orient semblent avoir permis à l’administration Obama de prendre des mesures sans conséquence, inefficaces et irresponsables envers la région.

Cette mentalité de retrait ne s’est pas limitée au Moyen-Orient : au contraire, il semble que les États-Unis aient laissé tomber leurs responsabilités dans le monde entier.

Exemple reflétant ce « retrait » : l’administration Obama a préféré investir son temps et son énergie dans des questions relativement confortables plutôt que de traiter les causes profondes des problèmes réels.

Plutôt que de devenir une figure transformatrice de la politique étrangère mondiale, et malgré sa rhétorique, Obama a choisi d’être prisonnier du statu quo

Plus concrètement, l’administration Obama a en grande partie réduit la nature de ses relations avec l’Europe à la négociation sur le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, alors que le projet d’intégration européenne faisait face à la plus grave crise depuis son lancement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Ceci, en retour, a laissé les alliés de l’Amérique pris entre le marteau et l’enclume.

Peut-être que le fait qu’Obama ait remporté un prix Nobel dès le début de sa présidence a effectivement endommagé sa future politique étrangère. Cela l’a encouragé à s’en tenir à la passivité diplomatique et à ne pas prendre de décisions de politique étrangère qui auraient exigé des choix difficiles et de recourir au hard power.

Cela a paralysé sa politique étrangère. Avec le recul, il aurait dû recevoir un prix Nobel pour une réussite réelle, au lieu de le recevoir à l’avance. Ce prix Nobel est survenu trop tôt et trop facilement pour Obama.

L’histoire rendra son propre verdict sur la politique étrangère d’Obama. Selon toute vraisemblance, il s’agira d’une condamnation. Plutôt que de devenir une figure transformatrice de la politique étrangère mondiale, et malgré sa rhétorique, Obama a choisi d’être prisonnier du statu quo.

Des leçons pour le président Trump ?

Bien que les premiers signes ne soient pas encourageants, le président Donald Trump a quatre années devant lui, qui représentent une nouvelle occasion de rectifier la politique étrangère américaine vis-à-vis de la région et du monde entier en général.

Les bonnes politiques exigent une analyse approfondie de ce qui se passe dans le monde, en particulier dans la région Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA). Étant donné que la région traverse une de ses périodes de transformation les plus significatives, il est important que l’administration Trump commence à travailler sur une politique régionale plus approfondie dès le premier jour de son mandat.

Donald Trump prête serment en tant que président américain, en janvier 2017 (AFP)

À cet égard, trois facteurs sont particulièrement importants à prendre en compte pour la nouvelle administration dans la formulation d’une nouvelle politique étrangère et régionale.

Premièrement, les causes sous-jacentes qui ont entraîné des soulèvements dans le monde arabe sont toujours présentes. Ces causes ont même gagné en profondeur et en prépondérance. Il y a deux semaines, une transition pacifique du pouvoir a eu lieu à Washington. Il n’y avait pas de chars dans les rues. Les militaires visibles n’étaient présents qu’à des fins cérémonielles.

Les habitants de la région MENA méritent la même chose. Et tant qu’ils n’auront pas cette chance, la poussière ne sera pas près de retomber dans la région.

Cette image contraste radicalement avec ce qui a été tenté le 15 juillet 2016 en Turquie. La tentative de coup d’État avortée du culte terroriste güleniste (FETÖ) visait un transfert sanglant du pouvoir entre un gouvernement civil démocratiquement élu et une organisation terroriste secrète et sectaire.

Malheureusement, l’administration Obama ne s’est pas montrée suffisamment solidaire de la Turquie face au coup d’État

Malheureusement, l’administration Obama ne s’est pas montrée suffisamment solidaire de la Turquie face à cela. Ce que nous attendons de la nouvelle administration américaine, c’est qu’elle fasse preuve de solidarité avec son alliée, la Turquie, en restituant à la Turquie le leader du coup d’État, Fethullah Gülen, qui réside en Pennsylvanie, afin qu’il ait à répondre de ses actes.

Deuxièmement, une psychologie politique nouvelle et conséquente prévaut parmi les peuples, et particulièrement les jeunes, dans toute la région, et est appelée à façonner les trajectoires politiques futures. Malgré tout le traumatisme qu’ils ont subi, cette nouvelle psychologie politique refuse de cautionner qu’ils soient gouvernés par cette forme « nouvelle » et plus brutale d’autoritarisme ou de la traiter comme leur sort.

Troisièmement, la nature interconnectée du monde d’aujourd’hui signifie que la crise au Moyen-Orient n’est plus régionale mais mondiale, avec des conséquences profondes.

Plus l’Occident consent au retour de l’autoritarisme dans la région, plus il s’expose au risque d’une érosion de la démocratie dans son propre contexte national. L’Europe ne semble pas se rendre compte qu’elle ne dispose que d’une frontière fluide avec la région MENA, formée par la mer Méditerranée.

Des civils grimpent sur des véhicules de l’armée lors de la tentative de coup d’État du 15 juillet en Turquie (AFP)

Comme l’ont montré les migrations humaines importantes mais tragiques de ces dernières années, cette frontière fluide est franchissable, quelle que soit l’ampleur des investissements de l’Europe dans la sécurité à ses frontières et les clôtures. La tragédie humaine de ce côté de la Méditerranée engendre une calamité politique sous la forme de la montée du populisme politique et du déclin des normes démocratiques en Europe.

Hormis les efforts fournis par des dirigeants politiques tels que la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil européen Donald Tusk et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker – avec qui nous avons mené entre 2015 et 2016 un processus qui a abouti à la signature de l’accord UE-Turquie sur les réfugiés le 18 mars 2016 lors du sommet UE-Turquie et qui a empêché en retour la mort de réfugiés en mer Égée –, les dirigeants politiques européens sous-estiment et sous-valorisent la nature interconnectée de la destinée politique des peuples du bassin méditerranéen.

Les dirigeants politiques européens ont tendance à oublier que l’Europe est une péninsule entre la Méditerranée et l’Atlantique

Ils ont tendance à oublier que l’Europe est une péninsule entre la Méditerranée et l’Atlantique.

Dans le même ordre d’idées, la destinée de l’Europe, qui est une composante de la communauté atlantique, marquera inévitablement la destinée de l’autre, à savoir l’Amérique du Nord (et en particulier celle des États-Unis). Il est donc dans l’intérêt immédiat des élites politiques américaines et européennes, ou de la communauté des démocraties, de rechercher des solutions réelles et durables à ces crises au Moyen-Orient.

Le danger d’un début tragique

Ici, une extrême prudence est justifiée. Alors que les attentes que nous avions eues vis-à-vis d’Obama n’ont pas été satisfaites, le discours politique de Trump avant les élections, ainsi que le comportement qu’il a affiché et les décisions qu’il a prises depuis, comportent des éléments inquiétants et sont en contradiction totale avec nos attentes.

Premièrement, l’exclusion – au lieu de l’inclusion – est devenue l’élément déterminant des décisions majeures de cette nouvelle administration depuis les élections.

La rhétorique de campagne de Trump concernant les immigrés et les personnes d’identité différente – en particulier les immigrés mexicains, l’islam et les musulmans – était toxique ou, au mieux, problématique.

Une telle évolution de la politique intérieure des États-Unis à l’égard de leurs citoyens, de leurs habitants et des personnes qui vivent sur le sol américain vers une politique d’exclusion crée une voie dangereuse et un précédent que les partis d’extrême droite pourront reproduire et salira l’image des États-Unis tout en détruisant les fondations de leur soft power, cette puissance douce qui a formé une part significative de la puissance globale des États-Unis et de leur statut dans le monde.

Deuxièmement, en lieu et place du multilatéralisme, un unilatéralisme improductif est redevenu la norme. De l’interdiction des citoyens de sept pays majoritairement musulmans à la décision de construire un mur le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, la nouvelle administration a opté pour un unilatéralisme contre-productif.

Manifestation à Seattle contre le Muslim ban prononcé par le président Donald Trump, en janvier 2017 (Reuters)

Cette position est quelque peu paradoxale : la nouvelle administration américaine a ordonné au Pentagone de concevoir un plan pour porter un coup mortel à l’État islamique en Irak et en Syrie, mais instaure également un « Muslim ban ». Il ne peut y avoir de meilleur cadeau pour l’État islamique que cette interdiction mal conçue prononcée contre les musulmans.

De plus, le fait que Trump ait signé le Muslim ban pendant la Journée de la mémoire de l’Holocauste constitue à la fois un coup du sort et une ironie de l’Histoire. Le maître mot de cette commémoration aurait dû être de ne plus jamais stigmatiser collectivement des peuples, des religions ou des sociétés.

De même, l’idée derrière les attentats du 11 septembre était de créer des divisions entre des personnes, des religions, des sociétés et des civilisations différentes. Les événements du 11 septembre ont d’abord et avant tout attaqué l’inclusion au sein des sociétés, l’idée de coexistence et le phénomène du multiculturalisme.

Ce Muslim ban, s’il se poursuit, récompensera les auteurs de ces attentats avec un cadeau qu’ils n’auraient jamais pu imaginer auparavant. Cette interdiction des musulmans signifiera l’institutionnalisation de l’islamophobie comme politique gouvernementale par une superpuissance.

Cette interdiction des musulmans signifiera l’institutionnalisation de l’islamophobie comme politique gouvernementale par une superpuissance

Elle accentuera la polarisation dans le monde entier et activera les failles sociopolitiques entre les sociétés, les religions et les civilisations. Les peurs ne doivent pas être opérationnalisées dans le but d’empocher des gains politiques.

L’inclusion, le respect de la dignité humaine et le maintien des droits et des libertés sont les moyens les plus puissants de contrer l’idéologie tordue des assaillants du 11 septembre et la lâcheté de l’État islamique. Faire défaut à ces principes et valeurs reviendra en revanche à insuffler de l’air dans l’idéologie en décomposition et en perdition de ces assaillants.

Faire de l’islam et des musulmans l’objet de mesures de sécurité renforcées entraînera une nouvelle division, non seulement entre les États-Unis et leur propre population musulmane, mais aussi entre les États-Unis et le monde islamique dans son ensemble.

Troisièmement, la politique des États-Unis à l’égard de la région MENA doit reposer sur une compréhension approfondie de la région. À cet égard, l’intention déclarée de Trump de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem serait un début tragique et une erreur fatale si elle était mise en œuvre.

L’ambassade des États-Unis à Tel Aviv, que Donald Trump a annoncé souhaiter transférer à Jérusalem (AFP)

Cette démarche serait contraire aux intérêts des États-Unis, causerait des tensions et des conflits sanglants quasi certains entre la Palestine et Israël, et torpillerait toute chance de solution à deux États.

Cela déclencherait un nouveau cycle de violence et d’effusion de sang et créerait un terrain politique fertile permettant à l’extrémisme de toutes sortes de prospérer dans la région. Jérusalem n’est pas seulement Jérusalem. Il ne s’agit pas seulement d’une question controversée entre Israël et la Palestine, ni même entre les Arabes dans leur ensemble, mais d’une source potentielle de frictions beaucoup plus importante.

L’impact combiné de ces trois points sera la poursuite de la diminution du rôle et de la présence des États-Unis dans la région et sur la scène mondiale. Cela offrira ensuite de nouvelles opportunités à d’autres puissances, que ce soient la Russie ou la Chine, pour exploiter le vide créé par l’effilochement des liens entre les États-Unis et leurs alliés traditionnels au Moyen-Orient. Cela marginalisera les États-Unis dans la région et, par extension, dans le reste du monde.

Quatrièmement, le dénigrement par Trump du projet d’intégration européenne et sa minimisation de l’importance de l’OTAN ébranleront le lien au sein de la communauté transatlantique si ces tendances ne sont pas inversées, ce qui sera une nouvelle fois contre-productif pour les intérêts nationaux des États-Unis.

Nigel Farage et ses partisans célèbrent la victoire du Brexit, le 24 juin 2016 (AFP)

En particulier, l’éloge du Brexit par Trump et ses encouragements en faveur de sa réitération dans d’autres contextes, ainsi que la cour qu’il fait aux mouvements populistes à travers le continent, suscitent toutes sortes de défis en matière de sécurité, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux.

Revenir sur le projet de l’intégration européenne et l’annuler seraient l’une des plus graves erreurs jamais commises depuis la Seconde Guerre mondiale, et les conséquences en seraient vastes et profondes.

Ce processus risque de remettre au goût du jour la question longtemps enfouie de l’équilibre des pouvoirs en Europe. Cela serait non seulement une nouvelle tragique pour l’Europe, mais compromettrait aussi directement et immédiatement le statut mondial des États-Unis.

L’administration Trump doit donc s’efforcer de retrouver la confiance de ses alliés traditionnels, que ce soit au Moyen-Orient, en Asie ou en Europe, et solidifier ses liens existants.

Revenir sur le projet de l’intégration européenne et l’annuler seraient l’une des plus graves erreurs jamais commises depuis la Seconde Guerre mondiale

L’héritage terne d’Obama en matière de politique étrangère doit motiver le nouveau gouvernement américain à concevoir une nouvelle politique étrangère axée sur la démocratie et les droits de l’homme et favorable aux populations. Il doit renforcer ses liens avec ses alliés actuels et en rechercher de nouveaux.

Il incombe au monde entier d’assumer les efforts visant à prévenir de nouvelles destructions et à arrêter la dérive mondiale vers l’autoritarisme.

Le besoin que ressent l’humanité aujourd’hui est évident : elle a besoin d’un ordre international plus inclusif, plus multilatéral et plus humanitaire.

- Ahmet Davutoğlu a occupé le poste de Premier ministre de la Turquie entre août 2014 et mai 2016 et celui de ministre des Affaires étrangères du pays de mai 2009 à août 2014. Il est député du Parti de la justice et du développement (AKP).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : rencontre entre Donald Trump et Barack Obama à la Maison Blanche, à Washington, en décembre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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