Des associations « indésirables » ? De quoi Israël a-t-il peur ?
En publiant, le 7 janvier dernier, une liste d’associations « indésirables » et en affirmant son projet de refuser l’entrée du territoire israélien, et par là même du territoire palestinien, aux responsables de ces associations, le gouvernement israélien s’est-il tiré une balle dans le pied ?
C’est en tous cas ce que pensent, pour de bonnes ou moins bonnes raisons, nombre de partis d’opposition israéliens. Car Israël dévoile ainsi ses côtés les plus sombres.
Ce n’est pas nouveau : cela fait des années que l’État d’Israël met toutes sortes d’obstacles à l’entrée de son territoire pour les personnes qui contestent sa politique ou qui veulent rendre visite à leurs amis palestiniens. Ces visites sont soumises à son bon vouloir et à son arbitraire, souvent à de longs interrogatoires à l’arrivée à l’aéroport, parfois à des expulsions.
En publiant cette liste, le gouvernement israélien s’est-il tiré une balle dans le pied ?
Cela fait des années aussi que toute visite dans la bande de Gaza est soumise à l’autorisation des forces d’occupation israéliennes. Ces autorisations sont le plus souvent refusées, comme sont le plus souvent refusées les autorisations de passage pour les Palestiniens de la bande de Gaza, qui est devenue, malgré l’inventivité et l’énergie de ses habitants, une prison sans droit de visite.
Cette politique injuste et inhumaine quant à la circulation des personnes est maintenant mise au grand jour.
Une ingérence insupportable
C’est au grand jour, également, que se manifeste aujourd’hui la volonté du gouvernement israélien de s’en prendre aux organisations de la société civile qui combattent sa politique partout dans le monde… C’est une mission très officielle, dotée de moyens conséquents et récemment renforcés, qui a ainsi été confiée en février 2016 au ministre israélien des Affaires stratégiques, Gilad Erdan, par le gouvernement israélien. Un État qui décide officiellement de porter le combat contre la société civile dans les autres pays du monde ? C’est inédit, très inquiétant, et maintenant exposé au grand jour grâce à la publication de cette liste.
Cette pression contre les amis de la Palestine et des Palestiniens est intolérable et doit cesser
La « loi anti-BDS », adoptée par la Knesset en mars 2017, a été déjà utilisée contre des dirigeants d’organisations, comme le PSC (Palestine Solidarity Campaign) anglais, Jewish Voice for Peace aux États-Unis, ou plusieurs ONG dont des responsables ou des salariés se sont vu refuser l’entrée du territoire israélien.
Les restrictions d’entrée ont aussi concerné des élus de la République française (députés, députés européens, maires de grandes villes françaises) qui, en novembre dernier, voulaient se rendre en Israël et en Palestine occupée, notamment pour rencontrer leurs homologues palestiniens et pour rendre visite à Marwan Barghouti et Salah Hamouri, emprisonnés en Israël. Le pouvoir israélien a donc inventé un nouveau délit : le délit de demande d’autorisation de visite !
Cette pression contre les amis de la Palestine et des Palestiniens est intolérable et doit cesser. L’accès au territoire palestinien doit être garanti aux citoyens de tous les pays, comme la possibilité de rencontrer les différents acteurs israéliens dans des relations qui devraient être normales pour une société qui se dit démocratique…
De quoi Israël a-t-il peur ?
Ne soyons pas naïfs : la liste des organisations qu’Israël veut combattre dans le monde est certainement beaucoup plus longue que celle que son gouvernement a choisi de publier le 7 janvier. Alors pourquoi cette publication ? Et comment le gouvernement israélien a-t-il choisi les organisations qu’il voulait désigner au travers de sa liste ?
Ne soyons pas naïfs : la liste des organisations qu’Israël veut combattre dans le monde est certainement beaucoup plus longue que celle que son gouvernement a choisi de publier le 7 janvier. Alors pourquoi cette publication ?
Il y a d’abord, certainement, de véritables craintes de sa part face au développement dans le monde de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), qui marque toujours plus de points. On l’a dit et on peut le répéter : la publication de cette liste est d’abord une reconnaissance des succès de la campagne internationale BDS.
Il y a aussi, probablement, une volonté de répondre à l’isolement d’Israël dans l’opinion mondiale à la suite des « décisions » de Donald Trump sur Jérusalem, très largement condamnées dans le monde entier et mettant en lumière l’inacceptable politique de colonisation et d’annexion menée par l’État d’Israël. Nous sommes de ce point de vue devant une opération de communication, avec des enjeux de politique intérieure comme de politique étrangère.
À LIRE : La campagne anti-BDS d’Israël : propagande et sales tours
Mais il est aussi intéressant d’observer que ce sont pour beaucoup, comme c’est le cas pour nous, des associations de grande taille et/ou qui regroupent autour d’elles de nombreuses organisations de la société civile qui sont visées par la publication de cette liste. Ce sont aussi des organisations parfaitement rigoureuses dans leurs mots d’ordre, qui ne vont jamais contester l’existence d’Israël mais qui s’en prennent à sa politique, dans tout ce qu’elle a de contraire au droit international et aux droits humains.
Des secteurs de plus en plus larges de la société civile, dans beaucoup de pays dont la France, se mobilisent contre l’injustice que l’État d’Israël fait subir à la population palestinienne. Elles le font par des campagnes fortes, qu’elles adhèrent ou non à la campagne BDS, comme la campagne que nous menons avec nos partenaires pour demander aux banques françaises de se désinvestir de leurs intérêts dans les banques israéliennes, ou la campagne menée par Amnesty international pour demander l’interdiction des produits en provenance des colonies israéliennes en Palestine occupée ainsi que l’arrêt des activités des entreprises israéliennes et internationales dans ces colonies.
Le pouvoir israélien a peur de cette mobilisation qui met profondément en cause sa politique et qui un jour, nous l’espérons, interpellera massivement l’opinion israélienne.
La réponse à ces tentatives d’intimidation
Nous n’avons évidemment aucune intention de nous laisser intimider par les menaces que le gouvernement israélien, par la publication de cette liste, émet à notre encontre.
Le pouvoir israélien a peur de cette mobilisation qui met profondément en cause sa politique et qui un jour, nous l’espérons, interpellera massivement l’opinion israélienne
Il va de soi que nous poursuivrons et développerons toutes les campagnes dans lesquelles nous sommes engagés ou que nous avons en projet, pour la défense du peuple palestinien et le respect de ses droits. Nous appelons nos concitoyens à les rejoindre et à les renforcer. Et nous n’avons aucune intention de renoncer à nous rendre en Palestine et en Israël pour rencontrer nos partenaires et faire conaître la réalité terrible de l’occupation, de la colonisation, du blocus de Gaza.
Mais nous estimons aussi que c’est la liberté d’expression et d’action de la société civile, dans notre pays comme dans les autres pays visés, qui est la cible de cette volonté d’ingérence d’Israël : par la publication de cette liste, cet État montre qu’il se croit tout permis, et notamment de faire un choix parmi les organisations et les citoyens/citoyennes de nos pays.
Nous ne l’admettons pas. Nous en avons saisi le ministre français des Affaires étrangères et le président de la République, dont nous rencontrons ces jours-ci les collaborateurs. Avec une exigence : que la France demande officiellement, et obtienne au plus vite, l’annulation par Israël des restrictions à l’entrée en Palestine et Israël des citoyens qui veulent s’y rendre.
- Bertrand Heilbronn est le président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une femme brandit un drapeau palestinien lors d’une manifestation contre le musicien américain Pharrell Williams au Cap, où il tenait un concert, le 21 septembre 2015. L’artiste était visé par le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en raison de son partenariat avec la chaîne de supermarchés australienne Woolworths, qui importe des produits israéliens (AFP).
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