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France : faire de la tragédie du 13/11 un moment fondateur

La tragédie de novembre est venue nous rappeler que le terrorisme peut frapper à chaque coin, à chaque instant et en toute circonstance

La douleur et l’émotion que nous éprouvons tous suite aux attentats du vendredi 13 novembre 2015 demanderont bien du temps avant de pouvoir être relativisés. De toute façon, aucune scène de ces effroyables attaques qui ont touché Paris dans son cœur ne pourra jamais s'effacer. Si nous avons pu penser quelques instants que les attentats des 7 au 9 janvier 2015, fauchant 17 vies innocentes, relèveraient au final de l’exception, la tragédie de novembre est venue nous rappeler que le terrorisme peut frapper à chaque coin, à chaque instant et en toute circonstance. La France se serait pourtant bien passée de ce 13/11 et de la disparition de tant d’innocents, pour beaucoup d’entre eux dans la fleur de l’âge.

Éviter les amalgames, mais reconnaître les réalités

On sait que, par tradition, et hormis certains cas isolés, les Français – politiciens et citoyens confondus – se gardent de faire des déclarations accusatoires pouvant mener à des amalgames injustifiés. Cette tendance, évidemment heureuse, se comprend, notamment dans un contexte dans lequel beaucoup de Français sont conscients des failles dans l'attitude des États-Unis, à savoir pratiquer l’amalgame entre « musulmans » et/ou « arabes » d’un côté, et terroristes de l’autre, dans le droit fil des attentats du 11 septembre 2001. Mais cette tendance ne saurait cacher le fait qu’un malaise s’exprime, qui prouve la sensibilité de la société française à plusieurs types d’événements dépassant pourtant le cadre de ses frontières. On se souvient ainsi comment l’Intifada palestinienne en 2000 avait donné lieu à un climat de tensions en France confrontant les « pro-Palestiniens » aux « pro-Israéliens ». On garde tout aussi bien à l’esprit les manifestations massives qui avaient eu lieu en France suite à l’invasion de l’Irak en 2003. La polémique autour de la loi sur les signes religieux (2004), les émeutes des banlieues (2005), voire les attitudes irréconciliables relatives à la manière par laquelle il conviendrait d’approcher le cas Dieudonné.

Car derrière la sacro-sainte notion de « République laïque et non discriminatoire » que martèlent à longueur d’année les politiciens de tous bords se cache en effet une réalité qu’il serait bon de poser à plat. Si la France aspire en effet à traiter tous ses citoyens sur un pied d’égalité, elle n’en demeure pas moins composée d’une société dont les membres ont souvent des revendications et ressentis identitaires qui s’avèrent en contradiction avec l’enduit d’identité uniforme que les gouvernements prétendent vouloir asseoir. La France, laïque, n’en est pas moins un pays chrétien dont 10 à 15 % de la population répondent à une religion ou à une croyance autre. La France, qui fait des choix politiques l’entraînant notamment sur les terres de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, ne peut prétendre agir selon ses intérêts politiques et stratégiques sans s’attendre en retour à une répercussion des lignes de faille de ces terrains sur son propre territoire. La France, aussi, à refuser d’entreprendre un travail d’autocritique pour ce qui relève de ses politiques et de leur adéquation ou non avec les requis pour la paix – et notamment la paix sociale – continue une entreprise de déni qui ne règle ni ses problèmes, ni ceux des populations qu’elle prétend défendre. Il y a pourtant deux impératifs qu’il lui conviendrait de reconsidérer au plus tôt : ses politiques d’intégration, et la nature de ses engagements à l’étranger.

L’intégration française, une chimère

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Les limites des politiques françaises d’intégration de ses « ressortissants d’origine étrangère » sont l’un des thèmes récurrents du débat français ; dans le même temps, les tenants et les aboutissants de cette même question continuent à souffrir un grand flou. La situation telle qu’elle prévaut dans l’Hexagone montre pourtant combien la France demeure en besoin d’une refonte de ses politiques tant spatiales que sociales. Depuis le recours par le pays à une main d’œuvre étrangère – et en grande partie maghrébine – durant les Trente Glorieuses aux fins de participer de sa croissance, les politiques de ghettoïsation n’en ont pas moins été érigées en normes, poussant les populations originaires des pays d’Afrique du Nord à vivre dans des banlieues favorables à l’éclosion de phénomènes de repli identitaire. Quarante ans plus tard, si ces émigrés et leurs descendants ont pu profiter d’une « chance » qui leur a été laissée naguère par la France, comment expliquer que les attitudes de repli qu’ils sont parfois emprunts à manifester continuent à caractériser les jeunes générations ? Il faut probablement voir là la marque d'un échec social avant que de pointer d’éventuelles politiques de discrimination.

Si les « problèmes d’intégration » en France touchent beaucoup de ces générations issues d’ascendants maghrébins, on les retrouve beaucoup moins dans le cas des autres communautés moyen-orientales, issues pour leur part d’une immigration sélectionnée « par le haut ». Les Libanais, Syriens ou encore Égyptiens venus en France durant ou à l’issue des Trente Glorieuses ont été rares à s’installer dans ces banlieues, tout comme ils ont bénéficié pour la plupart d’entre eux d’emplois relevant des catégories professionnelles dites supérieures (médical, paramédical, ingénierie…). 

À cette différence qualitative s’est greffée l’opportunité d’opter pour des lieux de résidence éloignés des ghettos qui se sont constitués dans les banlieues des principales agglomérations françaises. Si la France a favorisé des politiques spatiales qui ont prouvé maintenant leurs limites, force est de constater que bien des failles ont jonché aussi son approche sociale des perspectives. Donner leur chance aux ressortissants des banlieues par le biais de politiques de discrimination positive et de construction d’infrastructures locales censées les détourner de leurs tentations de repli ne peut fonctionner tant que l’action à la source – la promotion de politiques socio-économiques effectivement égales pour tous les citoyens, indépendamment de leurs origines nationales – n’est pas reconsidérée.

Une politique au Moyen-Orient de courte vue

Sur le plan géopolitique, la France paie aussi en grande partie les politiques de courte vision qu’elle a souvent privilégiées. Pour l’heure, on constate que le communiqué de revendication par l’État islamique des attentats du 13 novembre 2015 fait référence à l’engagement de la France sur les champs irakien et syrien. Évidemment, il faut voir dans une telle revendication l’expression d’un acte de guerre qui se réapproprie certaines réalités géopolitiques à des fins de justification. Mais il faut aussi y lire les limites des politiques privilégiées par Paris aux fins de s’ériger comme acteur important au Moyen-Orient. Or, la France a-t-elle fait ici les bons choix, et a-t-elle-même les moyens de ses politiques ?

En Irak, sa participation aux frappes contre les positions de l’État islamique la pose en suppléant des États-Unis, sans pour autant que ce rôle de second n’ait prouvé jusqu’ici son efficacité. En Syrie, la décision récente par Paris de bombarder les positions de l’État islamique est apparue liée à la décision russe d’intervenir officiellement dans le dossier syrien plus qu’à des considérations stratégiques calculées au départ des intérêts français. Cette posture alambiquée, combinée à l’engagement de soutien tous azimuts de la France à un large ensemble de formations perçues comme légitimes du seul fait qu’elles luttaient contre le régime de Bachar al-Assad, n’a abouti ni au renversement du régime syrien, ni au renforcement de ceux de ses opposants perçus par Paris comme « modérés » ou « légitimes ».

Pour couronner le tout, la « loi sur le renseignement » adoptée dans le sillage des attentats de janvier 2015 a tout aussi bien montré que, si l’approche sécuritaire des perspectives liées au terrorisme contribue très probablement à identifier et anticiper des attaques potentielles, elle ne garantit cependant en rien une immunité.

Le temps de l’autocritique

La France restera une cible privilégiée pour un ensemble d’organisations terroristes, ne serait-ce que du fait des symboles qu’elle prétend incarner : liberté, laïcité, ou encore prétention à participer de la bonne marche des affaires du monde. Mais si le 13 novembre 2015, tout comme avant les attentats de janvier 2015, justifient des réflexes en partie sécuritaires, ils doivent aussi le céder à plus d’humilité et d’autocritique. Les morts du 13/11 sont, en même temps qu’une tragédie, l’occasion du rappel de la tâche qui nous incombe : celle de l’humilité, de l’autocritique, et de la nécessité de remettre à plat nos propres politiques et approches avant que de prétendre indiquer la voie à suivre au reste du monde. Autant de points dont plusieurs membres du gouvernement au pouvoir sont pourtant censés être bien conscients, eux qui ont condamné à de maintes reprises les errements d’un certain George W. Bush dans la foulée des attentats du 11 Septembre.
 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 132 personnes ont été tuées lors des attentats de vendredi soir (AFP).

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