L’alliance anti-terroriste saoudienne est un tigre de papier à des fins nationales
L’annonce mardi d’une alliance militaire réunissant 34 États musulmans pour lutter contre le terrorisme, bricolée par l’Arabie saoudite, présente bien sur le papier. Mais papier – comme dans tigre de papier – est peut-être le mot clé ici.
Selon l’agence de presse étatique SPA, l’alliance s’attaquera aux terroristes en Irak, en Syrie, en Égypte, en Libye et en Afghanistan. Voilà un défi de taille, d’autant plus que ni l’Irak ni l’Afghanistan ne font partie de la coalition. De plus, sont exclus, sans surprise, la Syrie et l’Iran.
Alors, comment exactement est-ce censé fonctionner ? Eh bien, le centre de commandement sera à l’extérieur de Riyad sous l’autorité directe du ministre de la Défense et vice-prince héritier Mohammed ben Salmane.
Lors d’une conférence de presse à Riyad, ce dernier a évoqué en termes vagues la « coordination internationale avec les grandes puissances et les organisations internationales ». Mais apparemment, cette coordination ne concerne pas les nations souveraines d’Irak et d’Afghanistan. Et il n’est certainement pas question de coopération avec l’ennemi régional des Saoudiens qu’est l’Iran ou avec le régime syrien assiégé de Bachar al-Assad.
Autre absence notable, celle d’Oman, le partenaire de l’Arabie saoudite au CCG. Le dirigeant omanais, le sultan Qaboos est un vieil homme aujourd’hui, mais son tact et sa sagesse l’ont sûrement conduit à conclure qu’il était préférable d’éviter de s’impliquer dans un projet orchestré par le hâtif et très ambitieux prince ben Salmane.
Lorsqu’on lui a demandé lors de la conférence de presse si la cible principale était Daech, le vice-prince héritier a répondu « nous nous battrons contre toute organisation terroriste qui apparaîtra face à nous. »
Propos audacieux de la part d’un homme qui a empêtré son pays dans une guerre compliquée et au final infructueuse au Yémen et dont le seul résultat a été d’amener la désolation absolue au peuple yéménite.
En fait, cette annonce et la conférence de presse connexe, événement rare puisque présidée par un membre aussi puissant de la maison des Saoud, avaient en réalité peu à voir avec la guerre contre Daech.
Au contraire, il s’agissait d’une autre déclaration d’intention, déclamée délibérément devant un public international par le jeune prince dans une très grande hâte.
Depuis que son père malade est monté sur le trône, le prince ben Salmane a accumulé de vastes pouvoirs. Toujours fils préféré et « gardien » de son père, il a renforcé sa situation pas à pas et sur une base presque quotidienne.
Sa nomination en tant que ministre de la défense et vice-prince héritier a été suivie par une consolidation du système de la cour royale qu’il contrôle désormais. Il est président de l’extrêmement puissant Conseil des affaires économiques et du développement. Il supervise le fonctionnement des sociétés publiques Saudi Aramco et gère le fonds souverain du royaume, le FIP (Fonds d’Investissement Public) avec ses actifs de 4,85 milliards d’euros. Et il arpente la scène mondiale rencontrant le président russe Vladimir Poutine à Moscou et le président américain Barack Obama à Washington.
Inutile de dire que l’ascension rapide de ce trentenaire dans le monde étriqué et claustrophobe de la hiérarchie royale saoudienne a provoqué l’ire de bon nombre de ses aînés. Les rumeurs d’une révolution de palais ont circulé pendant des mois, mais en restent au stade de rumeurs.
Avant la mort du roi Abdallah en janvier, le ministre de l’Intérieur Mohammed ben Nayef était considéré comme l’homme le plus puissant du royaume et considéré en Occident comme un allié fiable et efficace dans la guerre contre l’extrémisme.
Très respecté à Washington et à Londres pour la façon pragmatique dont il a géré les menaces de sécurité intérieure en Arabie saoudite, le quinquagénaire ben Nayef a dû suivre un chemin prudent depuis l’avènement du roi Salmane. Il a été contraint de voir, peut-être avec une rage impuissante, sa base de pouvoir être considérablement érodée.
En effet, il est dit parmi les spécialistes à Riyad qu’il ne dort que d’un œil, se demandant quel sera le prochain mouvement de son jeune rival à son encontre.
Eh bien, pour ce qui est de la sécurité et de la soi-disant guerre contre le terrorisme, il a maintenant sa réponse.
Mohammed ben Salmane a affirmé à l’Occident que lui aussi partage son souci de « lutter contre cette maladie [l’extrémisme] qui a nui au monde islamique. »
Il souhaite que les membres de l’alliance coopèrent : « Actuellement, tous les pays musulmans combattent le terrorisme individuellement… il est très important de coordonner les efforts. » C’est lui, pas Mohammed ben Nayef, qui est l’homme de la situation face au terrorisme et pour la sécurité mondiale. C’est lui, dans son centre de commandement à Riyad, et non le ministre de l’Intérieur qui coordonnera une guerre transnationale contre les extrémistes islamistes.
À première vue, cette annonce plaira peut-être aux oreilles occidentales, mais fera grincer des dents Mohammed ben Nayef. Prince héritier, il l’est peut-être, mais à mesure que sa puissance décline et que sa présence diminue, ses chances de devenir roi s’amenuisent.
Pour des raisons totalement différentes, le reste d’entre nous ferait bien de se méfier également. Compte tenu des antécédents de Mohammed ben Salmane jusqu’à présent sur le théâtre de la guerre, c’est-à-dire la catastrophe qu’est le Yémen, on peut espérer de tout cœur que l’alliance reste un tigre de papier, un coup de com’ et un jeu de pouvoir national.
Dans une région titubant d’une crise à l’autre et où la haine sectaire se développe à pas de géant, ce jeune homme impatient et arrogant pourrait nous concocter une récolte sanglante de conséquences inattendues.
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Suivez-le sur Twitter @BillLaw49.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le ministre de la Défense et vice-prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane tient une conférence de presse le 14 décembre 2015, sur la base aérienne de Riyad (AFP/HO/SPA).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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