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L’étrange histoire d’amour entre Poutine et Netanyahou

Cette nouvelle amitié, dont personne n’a encore réussi à évaluer le prix payé par Israël à la Russie, inquiète Washington

On a assisté la semaine dernière à l’un des événements les plus bizarres et inexpliqués des récentes annales de la politique étrangère et de sécurité d’Israël. Près de la centrale secrète d’enrichissement nucléaire hautement fortifiée de Fordo, l’Iran a déployé ses systèmes avancés de défense aérienne S-300, construits par la Russie. Alors que les États-Unis ont exprimé leur « inquiétude », Israël a gardé le silence. Les médias locaux ont rapporté le fait, mais les dirigeants d’Israël n’ont rien dit. Cela marque un contraste flagrant avec les déclarations virulentes, presque hystériques, du Premier ministre Benyamin Netanyahou à l’encontre de la moindre manœuvre militaire de l’Iran.

Au cours des dix dernières années, Israël s’est battu bec et ongles contre la vente de ces systèmes à l’Iran, faisant usage de tous les moyens de pression dont il dispose pour les empêcher. Israël a ainsi envoyé ses émissaires à Moscou, offert de rendre la pareille en vendant sa technologie de construction de drones, et utilisé ses lobbyistes de l’AIPAC ainsi que son influence pour mobiliser le soutien américain. Israël a présenté l’accord comme une menace « existentielle » pour sa sécurité. Mais maintenant, rien ; juste un silence dérangeant.

Il semble que le silence d’Israël ait moins à voir avec l’Iran – qu’il considère toujours comme son ennemi numéro 1 et qui conserve sa place au sommet de l’ordre du jour des objectifs de renseignement israéliens – et plus avec la Russie. Depuis l’année dernière, Israël et la Russie, ou pour être plus précis le Premier ministre Benyamin Netanyahou et le président russe Vladimir Poutine, flirtent – une relation qui a rendu perplexes les experts d’Israël et du Moyen-Orient et déclenché la sonnette d’alarme à Washington.

Depuis août 2015, Netanyahou s’est rendu à Moscou quatre fois pour rencontrer Poutine, ce qui dépasse le nombre de visites qu’il a rendues à tout autre leader mondial. En comparaison, au cours de cette même période, Netanyahou a rencontré le président des États-Unis Barack Obama une fois seulement, en novembre 2015. Et ne vous méprenez pas – les États-Unis sont toujours considérés comme le meilleur allié stratégique d’Israël et comme son généreux ange-gardien, avec une injection moyenne de 3,5 milliards de dollars par an.

Geste inhabituel

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Lors de l’une de ces rencontres, Poutine a montré sa gratitude par un geste inhabituel. Il est allé voir un spectacle de danse classique au théâtre du Bolchoï avec le Premier ministre israélien et sa très influente épouse, Sarah.

Entre ces rencontres, Netanyahou a téléphoné à Poutine au moins dix fois pour se briefer, se consulter et échanger des estimations. Le nombre de ces conversations téléphoniques est probablement plus élevé que ce que le bureau du Premier ministre a annoncé au public. La plus récente d’entre elles a eu lieu fin août.

Il est difficile de comprendre et d’expliquer cette amitié insolite, exceptionnelle.

Le premier pèlerinage de Netanyahou à Moscou avait sa propre logique. Il a eu lieu en septembre 2015, quand Israël s’est mis à paniquer après avoir réalisé que la Russie avait déployé ses avions de chasse en Syrie et commencé à bombarder les positions des rebelles en soutien au régime de Bachar al-Assad. Netanyahou a essayé de persuader Poutine que les avions russes ne devaient pas voler près de la frontière israélo-syrienne au-dessus du plateau du Golan. En d’autres termes, le dirigeant israélien voulait créer une « zone de non vol » près de la frontière et permettre à la Force aérienne israélienne de continuer à jouir de son monopole et de sa supériorité aérienne dans l’arène syrienne.

Depuis le début de la guerre civile il y a cinq ans et demi, les avions de guerre israéliens ont attaqué au moins quinze fois les dépôts d’armements et les convois transportant des missiles surface-air, des missiles sol de longue portée et des missiles sol-mer de la Syrie au Hezbollah. Les faibles forces de défense aérienne syriennes n’ont même pas essayé de défier la puissante force aérienne israélienne.

Poutine a rejeté la requête de Netanyahou, arguant que ses pilotes bombarderaient tous les rebelles qui combattent le gouvernement à travers la Syrie, y compris près de la frontière israélienne, où le Front al-Nosra, Daech (l’État islamique) et les groupes rebelles modérés possèdent des bases. Cependant, le président russe a accepté lors d’une rencontre que les deux pays créent un mécanisme conjoint de « désescalade » afin d’empêcher d’accidentels affrontements aériens et au sol entre les pilotes et systèmes de défense aérien israéliens et russes.

Depuis le début de cette coordination, qui est toujours en place et fonctionne bien, il n’y a plus eu besoin de meetings supplémentaires entre les deux leaders, le dispositif de désescalade étant mis en œuvre par des hauts-gradés des deux armées. Et pourtant, Netanyahou a continué à se rendre en Russie pour y rencontrer Poutine.

Outre quelques déclarations laconiques, le Premier ministre israélien n’a jamais fourni un rapport élaboré et franc ou une quelconque explication sur la nature et le contenu de ses relations intimes avec Poutine, même pas à ses ministres ou à la Knesset (le parlement israélien), encore moins au public. Il n’est un secret pour personne dans les relations internationales qu’avec Poutine, rien n’est gratuit. Sans aucun doute, Netanyahou et Israël paient d’une manière ou d’une autre l’hospitalité de Poutine et ses gesticulations publiques laissant entendre que le Premier ministre israélien compte parmi ses leaders mondiaux préférés.

Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à déchiffrer la monnaie qu’Israël rend à la Russie.

Par le passé, afin de plaire à la Russie, Israël a accordé à Moscou des licences sur des technologies avancées. Par exemple, à l’issue de la guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008, la Russie a exprimé sa colère au sujet de la vente par Israël d’armes à la Géorgie. Pour se faire pardonner, Israël a autorisé la Russie à produire des drones conçus par Israël. La Russie a ainsi rapidement commencé à produire sa propre version des drones sur la base de la technologie israélienne.

Maître dans l’art de la tromperie

En tant qu’ancien officier du KGB, Poutine est un dirigeant rusé et astucieux, passé maître dans l’art de la tromperie. Il convient de garder ces talents à l’esprit lorsque l’on analyse l’amitié apparemment florissante entre les deux hommes.

Par le biais de la Russie, Israël se trouve par inadvertance dans le même lit que d’étranges partenaires – en fait, ses pires ennemis : l’Iran et le Hezbollah. La Russie, l’Iran et le Hezbollah exploitent une salle de commandement conjointe. Cela ne surprendra personne si l’on découvre un jour que certains secrets qu’Israël a partagés avec la Russie, notamment ceux liés au mécanisme de désescalade, ont trouvé leur chemin jusqu’à cette salle de commandement conjointe.

De fait, les États-Unis observent la lune de miel entre Israël et la Russie avec une inquiétude grandissante. L’administration Obama sait bien que les buts stratégiques russes en Syrie ne visent pas seulement à sauver le régime d’Assad et à maintenir ce dernier au pouvoir – du moins dans certaines parties du pays – ou à renforcer la position de la Russie au Moyen-Orient. Washington est conscient du fait que Moscou cherche également à créer un fossé entre les États-Unis et leurs alliés traditionnels dans la zone, y compris Israël. En ce sens, volontairement ou pas, Israël est manipulé par la Russie.

Incursions russes

En outre, malgré le mécanisme de désescalade et les promesses de Poutine à Netanyahou de ne pas violer l’espace aérien israélien, les avions de chasse et les drones russes ont infiltré Israël en diverses occasions – au moins dix fois au cours de l’année passée. Bien que le commandement militaire russe ait expliqué à son équivalent israélien que tous ces incidents étaient de simples erreurs humaines, bien peu y ont cru.

Les experts israéliens de la défense pensent que les jets russes étaient en mission d’espionnage afin de tester l’état de préparation et d’alerte de la défense aérienne israélienne. À nouveau, on ne devrait pas exclure la possibilité que les informations récoltées durant ces sorties soient transférées et partagées avec les alliés de la Russie, c’est-à-dire les ennemis d’Israël.

Dans certains cas, Israël a fait décoller d’urgence ses propres avions de chasse mais a fait taire ses fusils. Contrairement à la Turquie, qui il y a quelques mois a abattu un avion de chasse russe qui avait empiété sur son territoire, Israël a ravalé sa fierté et n’a pas essayé d’abattre les intrus venus de Russie.

Israël ne s’est jamais plaint des actions hostiles de la Russie ; or on peut aisément imaginer, sur la base de précédents, ce qu’aurait été la réaction israélienne si les États-Unis avaient fait quelque chose s’apparentant même de loin aux actions russes. Il ne fait aucun doute que Netanyahou et ses ministres auraient fait une scène de tous les diables et réprimandé les États-Unis pour leur « traitrise », comme ils l’ont fait par le passé.

Le plus virulent aurait été le ministre de la Défense Avigdor Lieberman, né en URSS, qui a toujours appelé à une politique plus « équilibrée » et est considéré comme étant un bon ami du dirigeant biélorusse Alexander Lukashenko, le dernier dictateur d’Europe, lui-même un bon ami de Poutine.

L’une des tirades de Netanyahou contre Obama a pour objet l’accord sur le nucléaire signé entre le groupe du P5+1 et l’Iran. Netanyahou a essayé maintes fois de saboter l’accord et a accusé les États-Unis de ce qu’il définit comme un « mauvais deal ».

La politique du deux poids, deux mesures concernant l’accord avec l’Iran

Le Premier ministre israélien, cependant, a oublié de mentionner que la Russie de Poutine compte parmi les pays ayant soutenu l’accord et fait pression sur les puissances mondiales afin qu’elles le signent. Netanyahou s’est également plaint qu’en signant l’accord, en levant les sanctions et en libérant des centaines de milliards de dollars, Washington a permis à l’Iran de financer l’achat d’armes. Mais encore une fois, il a omis le fait qu’un bénéficiaire majeur de la frénésie d’achats militaires de l’Iran n’est autre que la Russie, qui vend ses armes les plus avancées, notamment des avions de chasse et des systèmes de défense aérienne S-300.

On pourrait conclure qu’alors que Netanyahou et ses ministres ont la chutzpah (« insolence », « audace », « impertinence ») de critiquer les États-Unis, qui demeurent le meilleur allié stratégique d’Israël, ils évitent toute controverse avec la Russie, redoutant l’ire de Poutine.

Pourtant, en réchauffant sa relation avec la Russie à un si haut degré, Israël refroidit parallèlement celle avec Washington. Il s’agit là d’un jeu dangereux, qui accroît les doutes à Washington selon lesquels le cabinet israélien, et Netanyahou en particulier, sont des alliés ingrats. Tôt ou tard, cela se retournera contre eux et affectera la coopération encore étroite entre les communautés militaires et du renseignement des deux pays.

- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président russe Vladimir Poutine (L) accueille le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors d’une réunion au Kremlin, à Moscou, le 7 juin 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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