Les accords sur les drones renforcent les liens militaires entre Israël et la Russie
Compte tenu de la recrudescence des tensions relatives au soutien apporté par la Russie à l’Iran et au régime syrien, l’annonce récente de la vente par Israël de dix drones sans pilote IAI Searcher 3 à la Russie semble inhabituelle à première vue.
Toutefois, la décision d’Israël de vendre des armes au pays qu’il considère comme le principal bienfaiteur de ses ennemis n’est que le dernier chapitre de l’histoire longue et souvent complexe de la coopération militaire entre Israël et la Russie.
Bien que ce ne soit pas la première fois dans l’histoire récente qu’Israël et la Russie coopèrent dans le secteur de la technologie des drones, le timing de cet accord pourrait avoir des conséquences importantes à la fois pour la situation militaire en Ukraine et pour la situation diplomatique à l’ONU.
Ces dernières semaines, la Russie a joué les gros bras, pas seulement en Ukraine, mais aussi en Syrie, en augmentant sa présence militaire qui comprend désormais des avions militaires, des chars ainsi que des troupes et des drones de combat.
Le gouvernement affirme que ce déploiement est destiné à lutter contre la milice État islamique ; toutefois, la plupart des analystes conviennent que l’apport de troupes constitue en réalité une bouée de sauvetage pour un gouvernement syrien de plus en plus dépendant des armées étrangères pour maintenir son emprise sur la petite partie de la Syrie qu’il contrôle toujours. Jusqu’à présent, il a été rapporté que les frappes russes ont tué des combattants de l’opposition luttant contre l’État islamique et des civils, au lieu des cibles annoncées par Moscou.
Les récents accords d’armement entre la Russie et l’Iran ont également été largement médiatisés. La vente de missiles anti-aériens russes S-300 à l’Iran plus tôt cette année a été un facteur majeur de l’intrigue et des négociations entourant le programme nucléaire de la République islamique. Les États-Unis ont fait part de leur préoccupation face au fait que ces missiles sophistiqués pourraient être utilisés pour défendre les installations de recherche nucléaire iraniennes en cas de frappe des avions américains ou israéliens.
L’expansion des relations entre l’Iran et la Russie est devenue un enjeu politique pour la droite américaine. Lors du premier débat républicain, Megan Kelly, animatrice sur Fox News, a soulevé la question de la visite du général Qasem Soleimani à Moscou, effectuée le 24 juillet.
En tant que commandant de la Force al-Qods, groupe qui appartient au Corps des Gardiens de la révolution islamique iraniens (classé par les États-Unis au rang d’organisation terroriste), Soleimani est en charge des opérations extérieures, allant du soutien au gouvernement Assad à la gestion de la milice chiite dans la lutte contre l’État islamique en Irak. Lors du rassemblement contre l’accord avec l’Iran organisé le mois dernier à Washington DC, Donald Trump, Ted Cruz et Sarah Palin ont tous évoqué la sécurité d’Israël et les relations militaires entre l’Iran et la Russie comme des raisons importantes pour s’opposer aux négociations sur le nucléaire avec l’Iran.
Malgré toute la rhétorique sur Soleimani et sa relation avec Poutine, l’important accord d’armement signé par la Russie et Israël n’a fait l’objet d’aucun contrôle de la part des figures politiques américaines et a été très peu relayé par les médias.
Une coordination militaire et diplomatique
Sur le plan militaire, les drones devraient être utilisés pour communiquer des renseignements sur les positions ukrainiennes aux séparatistes pro-russes en République populaire de Donetsk (RPD). Cela permettrait à la Russie d’apporter un contingent de surveillance aérienne plus sophistiqué à leur guerre « secrète » en Ukraine sans avoir à engager des avions pilotés qui risqueraient d’être abattus. Cette évolution n’est pas négligeable et permettra d’améliorer grandement la position stratégique des séparatistes. Lors des conflits passés, l’introduction de la surveillance par drones s’est avérée significative.
Sur le plan diplomatique, la vente d’armes s’inscrit dans le contexte de l’approbation prudente par Israël d’une nouvelle relation avec la Russie. Ce n’est un secret pour personne que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le président américain Barack Obama ne s’apprécient guère, tandis que quelques cas frappants semblent montrer qu’Israël envisagerait des relations plus cordiales avec Moscou, malgré le soutien apporté par la Russie à la Syrie et à l’Iran.
La manifestation la plus frappante de cette tendance a été le refus d’Israël de condamner l’annexion de la Crimée par la Russie, ce qui a choqué et irrité les responsables américains, d’autant qu’Israël attend de ces derniers qu’ils votent à ses côtés sans réserve à l’ONU.
La récente vente de drones est au centre de cette histoire. Fin 2014, Israël a envisagé de vendre des engins similaires à l’Ukraine, mais a annulé l’accord proposé en raison de la pression russe. Moins d’un an plus tard, ces mêmes équipements pourraient être utilisés contre l’Ukraine. Les Israéliens qui servent dans les forces armées ukrainiennes ont formulé l’hypothèse qu’Israël bradait des variantes plus anciennes de ses drones à la Russie.
Ce n’est là que le dernier chapitre de l’histoire longue et souvent déroutante des accords d’armement russo-israéliens, qui remonte avant même la naissance de l’État d’Israël. Dès 1944, Joseph Staline, connu pour son antisémitisme, a vu que ses propres intérêts pouvaient être servis à travers le mouvement sioniste qui luttait contre le mandat britannique en Palestine. Staline avait auparavant créé un « État juif » dans la province reculée du Birobidjan.
Le projet, qui comprenait des monuments et des écoles soviétiques yiddish, était une tentative à peine voilée de ségrégation envers les juifs soviétiques. En 1948, l’État satellite soviétique de Tchécoslovaquie a vendu un grand nombre d’armes, dont 86 avions de chasse, à l’Agence juive, qui est devenue plus tard le gouvernement d’Israël.
Les Tchèques ont également formé un certain nombre de pilotes qui ont servi plus tard dans l’armée de l’air israélienne. Avant de prendre l’initiative de cibler davantage la communauté juive soviétique avec une série de simulacres de procès, Staline avait considéré ce soutien comme une manœuvre stratégique pour lutter contre la domination britannique au Moyen-Orient.
Au cours des dernières années de la guerre froide, les relations se sont refroidies et les gouvernements ont maintenu une certaine adversité jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique. Les relations diplomatiques entre les deux nations se sont considérablement réchauffées depuis la chute du communisme et se sont radicalement renforcées au cours de la dernière décennie.
En 2008, les deux nations ont renoncé mutuellement à leurs exigences relatives aux visas touristiques. En 2010, la Russie et Israël ont signé un accord militaire de cinq ans portant en grande partie sur la vente et la mise en service de drones. Au cours de l’offensive contre Gaza de 2014, le président russe Vladimir Poutine a exprimé de la sympathie pour Israël en dépit de la position de son gouvernement à l’ONU. Israël a ignoré les appels de l’UE et des États-Unis au boycott de certaines formes de coopération économique avec la Russie.
L’industrie des drones israélienne
Sur le plan économique, l’industrie des drones israélienne est énorme pour un si petit pays. Aucun pays ne lui oppose la moindre concurrence dans le domaine des drones, à l’exception des États-Unis, et, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, cette industrie a généré au moins 4,6 milliards de dollars entre 2005 et 2013.
En revanche, la Russie a pris beaucoup de retard dans la production de drones. Le magazine Wired a estimé que la technologie locale en Russie accuse un retard d’au moins vingt ans sur celle des États-Unis. La position désavantageuse de la Russie dans la technologie des drones a été mise en évidence lorsque les forces géorgiennes ont pu infliger des pertes étonnamment élevées aux Russes lorsqu’ils ont envahi la Géorgie en 2008.
La pression exercée pour moderniser l’armée de l’air russe a entraîné en 2010 l’accord de coopération militaire entre Israël et la Russie. L’accord signé entre Israel Aerospace Industries (IAI) et le gouvernement russe à travers Oboronprom, une société russe opérant dans l’industrie de la défense, a été bien plus qu’une vente d’armes, et a impliqué une coopération militaire directe, avec la formation par Israël d’au moins 50 officiers russes aux opérations de drones à Tel Aviv.
Fait encore plus intéressant, IAI et Oboronprom ont convenu de produire conjointement des drones en Russie même. Un grand nombre des nouveaux drones russes sont le fruit direct de ce programme. Plus tôt cette année, les forces ukrainiennes ont abattu et publié des photos d’une version russe d’un drone IAI Searcher qui a vraisemblablement été acquis ou construit dans le cadre de l’accord de 2010.
Compte tenu des liens étroits entre la Russie et l’Iran et de l’opposition américaine à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le programme conjoint israélo-russe en matière de drones est susceptible d’être une source majeure d’embarras pour les deux pays. Plus tôt au cours de cette année, Bloomberg News a tablé sur une intensification de la diplomatie déguisée entre Tel Aviv et Moscou, Israël ayant approuvé tacitement la vente de S-300 à l’Iran en échange du fait que la Russie reste en coulisses.
D’après des câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks, des responsables américains ont estimé que la Russie et Israël avaient déjà échangé des renseignements sur la technologie iranienne et géorgienne, Israël ayant fourni des « codes de liaison de données » pour les drones géorgiens Hermes 450 de fabrication israélienne. Selon le document, les responsables américains ont pensé que la Russie communiquait en échange des informations sur les défenses des installations nucléaires iraniennes.
En outre, des opérations de renseignement de grande envergure font état d’une coopération directe entre les services secrets israéliens et russes. L’enlèvement en 2011 de Dirar Abu Sisi, un ingénieur palestinien, dans l’est de l’Ukraine, aurait été coordonné avec le SBU, les services secrets ukrainiens du gouvernement pro-russe de l’époque. Dirar Abu Sisi est ensuite réapparu dans la prison israélienne d’Ashkelon.
L’hypothèse d’une opération conjointe israélo-russe est très raisonnable, étant donné qu’en 2011, le SBU était fortement influencé et infiltré par les services de renseignement russes. En 2012, la Russie a pu orchestrer l’enlèvement de la figure d’opposition russe Leonid Razvozjaev à Kiev. L’influence de la Russie sur les services de sécurité ukrainiens était si profonde à l’époque que le gouvernement ukrainien a refusé d’ouvrir une enquête sur cet enlèvement flagrant et repris à la place la position de Moscou selon laquelle Razvozjaev avait traversé volontairement la frontière.
Parmi les Israéliens, une division étonnamment prononcée s’est opérée au sujet de la crise ukrainienne, alors que l’on rapporte la présence de détenteurs de passeports israéliens dans les deux camps de ce conflit sanglant. Les origines russes et ukrainiennes d’anciens soldats israéliens les ont placés dans des camps opposés du combat. Chaque camp accuse Israël d’approvisionner l’autre camp, et chaque camp accuse publiquement l’autre d’antisémitisme.
Sans surprise, Moscou a rebaptisé les drones israéliens avec un nom russe, Forpost, qui signifie « avant-poste ». En dépit de la rhétorique virulente, beaucoup de raisons logiques permettent d’expliquer la coopération israélo-russe. Les deux pays répriment les mouvements indépendantistes dans les territoires qu’ils contrôlent et utilisent une rhétorique similaire à propos du militantisme islamiste pour justifier ces actions.
Le russe est l’une des langues les plus populaires chez les juifs israéliens. Depuis 2014, la Russie et ses alliés kazakhs et azerbaïdjanais sont les principaux fournisseurs de pétrole d’Israël. On a récemment fait état d’une coopération entre la Russie et Israël sur une nouvelle gamme d’avions de combat destinés à être vendus à l’Inde, un pays qui a considérablement amélioré ses relations avec Israël depuis l’élection en mai 2014 du Premier ministre Narendra Modi.
Vladimir Poutine est allé très loin en dépeignant les Ukrainiens opposés à la Russie comme des nazis, en se basant essentiellement sur l’histoire totalement sans rapport des milices ukrainiennes pronazies pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les subventions américaines
L’aide américaine, qui constitue un petit pourcentage de l’économie israélienne, dégage toutefois une quantité importante de ressources pour la recherche et le développement. IAI est subventionné au moins partiellement par le gouvernement américain, qui a fourni des fonds pour le développement du Dôme de fer, un système de défense antimissile.
Les responsables américains ont souvent exprimé leur préoccupation face à la prolifération de la technologie israélienne à des tiers, et le programme de drones russo-israélien place le gouvernement américain dans une position particulièrement inconfortable.
Les États-Unis subventionnent indirectement l’industrie des drones israélienne à un moment où ladite industrie est en relation avec des sociétés de défense russes. Ironiquement, Oboronprom fait actuellement face à des sanctions du gouvernement américain, qui envisage de son côté de mettre en œuvre une législation pour punir les individus et les entreprises qui boycottent les sociétés israéliennes.
L’entrée directe de la Russie dans la guerre civile syrienne a abouti à un accord étonnamment chaleureux, Moscou et le gouvernement israélien ayant décidé de coordonner tacitement des actions militaires dans le pays déchiré par la guerre.
L’introduction de drones russes dans le conflit syrien a compliqué davantage la situation. Bien qu’on ignore quels modèles sont utilisés en Syrie, il est possible qu’Oboronprom construise les drones que la Russie déploie actuellement en Syrie.
S’il est prouvé que la Russie a employé la technologie israélienne contre l’Ukraine, il n’existe pour l’instant aucune preuve concernant la Syrie.
Cela étant dit, les passionnés d’aviation devraient certainement garder les yeux rivés vers le ciel pour voir si la technologie militaire israélienne a été introduite dans l’arsenal de l’« axe de la résistance ».
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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