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Laïcité en France : les vrais défis de Macron

Le président français veut restaurer le principe de la laïcité dans sa fonction apaisante et équidistante. Un chantier difficile à mener face aux possibles écueils et dérives. Trois pièges, notamment, sont à éviter pour cesser ces mini-guerres civiles si françaises

À l’occasion de la présentation des vœux du nouvel an aux représentants des grandes religions de France fin décembre, le président Emmanuel Macron a tenu à préciser sa pensée concernant le modèle laïc qu’il désirait voir évoluer.

« Le rôle de l’État n’est pas de combattre les croyances, mais de combattre les propos et les pratiques qui se placent en dehors de l’ordre public républicain, tout en tenant compte des spécificités de chaque culte. L’État a pour mission de rappeler les règles communes, de fixer ces principes et de les transmettre », a-t-il déclaré aux chefs religieux chrétiens, juifs, musulmans et bouddhistes le 22 décembre 2017 à l’Élysée.

Une tentative de revenir à une définition moins clivante de la laïcité, instaurée en France par la loi de 1905, et sujet de polémiques fiévreuses et cycliques dans l’Hexagone.

Macron, dans ses discours depuis la campagne pour la présidentielle 2017, a toujours défendu un modèle de laïcité qui ne fait pas de ce principe une chapelle strictement antireligieuse. Il a également prévenu contre des tendances laïcardes qui ne cacheraient, en fait, que de lourdes dérives antimusulmanes, déclarant vouloir rompre avec cette sorte de « laïcité revancharde ».

« À chaque événement touchant les musulmans, on nous sort une batterie de discours et de mesures sous le signe de la laïcité… qui n’est plus la laïcité de 1905, mais plutôt un déni du religieux, une sorte d’athéisme »

- Kamel Chekkat, théologien et imam algérien

« À chaque événement touchant les musulmans, on nous sort une batterie de discours et de mesures sous le signe de la laïcité… qui n’est plus la laïcité de 1905, mais plutôt un déni du religieux, une sorte d’athéisme », regrette Kamel Chekkat, théologien et imam algérien actif dans les cercles de dialogues inter-religieux en France.

Pour rappel, la loi de 1905, compromis entre une aile catholique dure et des anticléricaux radicaux, consacre la liberté religieuse et garantit « la liberté de conscience » et « le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».

Quand l’affaire du burkini sur certaines plages françaises avait ému l’opinion publique, déclenchant des réactions administratives (interdiction de cet habit de bain par certains maires) et des polémiques sur l’islam et le « grand remplacement », Macron candidat avait alors prévenu : « Le burkini n’est pas cultuel. C’est culturel, idéologique, politique. Il faut réussir à préserver les libertés individuelles, l’ordre public, mais surtout la juste place de la réponse de l’État. Si nous tombons dans le piège, le risque en retour est de séparer toute une communauté de Français qui existe dans le champ social et politique, qui a sa propre foi, et qui se sentira exclue de par sa foi en raison de notre réponse. »

Une musulmane porte un burkini sur une plage de Marseille, France, le 17 août 2016 (Reuters)

Cette position avait fait bondir l’extrême droite et, à sa tête, la candidate Marine Le Pen, en « croisade » contre le « fléau islamiste ». Ces mini-guerres civiles, extrêmement bruyantes, autour de la place de la religion dans l’espace public, de la laïcité et de la liberté de pensée sont souvent interprétées par des chercheurs comme les réminiscences d’un racisme qui se débride de plus en plus dans une certaine France apeurée par les bouleversements du XXIe siècle et par la mondialisation.

« La fixation permanente sur les présumés musulmans, tantôt dépeints comme des menaces à l’ordre public ou des victimes du système – parfois les deux à la fois –, s’inscrit complètement dans le réagencement en cours de la société française. Car le vrai “grand remplacement” concerne celui de la figure de l’Arabe par celle du “musulman”, de l’ouvrier immigré par le délinquant radicalisé, du “beur” engagé par le binational déchu », écrit l’historien Nedjib Sidi Moussa dans son remarquable essai, La Fabrique du musulman.

À LIRE : INTERVIEW : Raphaël Liogier dénonce « la laïcité au service de l’hygiénisme identitaire »

Mais les approches d’Emmanuel Macron sur la laïcité, qui tentent de trancher avec ses prédécesseurs (préférant par exemple rompre avec une organisation régalienne du culte musulman et responsabiliser plutôt les élites musulmanes, comme le souligne l’historienne Valentine Zuber), réussiront-elles à garantir la cohésion sociale et le dépassement des clivages gonflés par les médias et les politiciens ?

Ce n’est pas un projet aisé à réaliser, surtout si Macron ne tente pas d’éviter les écueils de la démarche. Trois importants biais ont, toujours, parasité une approche salutaire et apaisé de la laïcité au risque d’en faire une caricature antireligieuse ou, au pire, une arme aux mains des extrémistes de tous bords.

Il s’agit d’abord d’assumer les errements de cette politique et de son application durant les colonisations, surtout en Algérie au début du XXe siècle, de comprendre anthropologiquement le fait religieux comme le conseillait le philosophe algérien Mohammed Arkoun et d’ancrer les problématiques soulevées ici et là dans la sphère du civisme et non de l’ethnologie cultuelle, et, enfin, de réfléchir sérieusement à la notion de « représentants » de l’islam en France.  

Ne pas répéter les dérives du passé colonial

« L’histoire de la République française n’est pas la même avec chacune des religions qui sont ici représentées […] c’est cette même histoire qui fait que, alors même que cette loi 1905 fait partie d’un trésor qui est le nôtre, elle n’a pas pensé le fait religieux avec et par l’islam, parce qu’il n’était pas présent dans notre société, comme il l’est aujourd’hui, parce qu’il est lié à une histoire du XXe siècle qui lui a succédé » : ainsi Emmanuel Macron analysait-il le déphasage entre la loi 1905 et l’islam, face à ses invités ce 22 décembre.

Or, comme le souligne l’historien Raberh Archi, de par la colonisation établie dans des territoires majoritairement « musulmans », l’islam était déjà en 1905 la deuxième religion de France ! Passons.

[…] la République française d’alors a instrumentalisé la religion (chrétienne ou musulmane) comme outil au service de la domination coloniale, avec, ce qui n’a pas trop changé depuis, une approche « policière » du phénomène religieux

Essentiellement, il faut rappeler ici que la loi de 1905 a non seulement connu plusieurs dérogations quant au culte musulman en Algérie en particulier (permettant une gestion directe des « institutions » islamiques par l’exécutif colonial), mais que la République française d’alors a instrumentalisé la religion (chrétienne ou musulmane) comme outil au service de la domination coloniale, avec, ce qui n’a pas trop changé depuis, une approche « policière » du phénomène religieux.

« La laïcité se trouve être à la fois intégrée dans la rhétorique de la mission civilisatrice française dans les colonies, utilisée politiquement à des fins de domination coloniale et construite en ressource politique de contestation par les milieux réformistes [algériens] », comme l’écrit Raberh Archi dans son étude « La laïcité à l’épreuve de la situation coloniale ».

Affiche coloniale française distribuée au cours de la révolution algérienne (@musab_ys)

Pire, la laïcité dans un contexte de colonisation, ou de rapport de force dominants/dominés, peut produire une hiérarchisation des religions : « Cette laïcité cesse d’être un appareil juridique et constitutionnel et devient un instrument de domination et de contrôle, elle s’expose à des dérives dont la colonie nous offre quelques bons exemples, telle cette recherche vaine, qui la hante périodiquement, de la distinction entre une ‘‘bonne’’ et une ‘‘mauvaise’’ religion, entre une religion reconnue et une religion suspecte, entre une religion qui sert la République et telle autre qui paraît s’en éloigner. La colonie peut être, à cet égard, un bon révélateur », fait remarquer Jean-Louis Triaud dans « Une laïcité coloniale : L’administration française et l’islam en Afrique de l’Ouest (1860-1960) ».

Comprendre anthropologiquement le fait religieux

L’approche en France du fait religieux est restée prisonnière de l’optique ritualiste et non culturelle. Pourtant, on assume assez communément de se présenter parfois issu de « culture chrétienne » en France et généralement en Europe et ailleurs en Occident. Cette fixation sur le rite ou les « signes ostentatoires » de la religion musulmane défraie à chaque fois la chronique hexagonale en multipliant les amalgames et en accentuant les stigmatisations.

Rappelons ici l’épisode des couacs survenus lors de l’application de la loi sur les signes religieux à l’école publique qui date de 2004 : le port de la main de Fatma par des collégiennes ou lycéennes françaises non musulmanes, comme pendentif à la mode, avait créé un bug dans cette logique du traçage quasi-ethnique, où l’on voyait des proviseurs interdire ces « khamsa » !

L’appréhension anthropologique recontextualise et relativise le brouhaha hystérique autour des épiphénomènes dits « musulmans » et redimensionne les « dérives communautaristes » et les clashs prétendument civilisationnels

Or, comme le soulignait le sociologue Abdelmalek Sayad, au lieu de traiter des phénomènes comme le port du voile à l’école – « incongruité vestimentaire » selon lui – sur le mode du civisme, l’on cède à l’hystérie générale imposée par le contexte de l’actualité chaude au Moyen-Orient ou ailleurs. Pour lui, ces questions de doivent pas relever du fait religieux, il s’agit plutôt de les aborder comme une transposition de « la civilité française […] à l’intérieur de l’école, en termes de comportement scolaire : en classe, on est la tête nue, on vient avec son béret, on le met dans son casier ».

L’appréhension anthropologique recontextualise et relativise le brouhaha hystérique autour des épiphénomènes dits « musulmans » et redimensionne les « dérives communautaristes » et les clashs prétendument civilisationnels. Le religieux est plus culturel que cultuel et nécessite, de par l’histoire et les cultures qui le constituent, une approche anthropologique, comme le soutenait le penseur algérien Mohammed Arkoun.

« Il ne faut pas voir les religions sous leurs rituels et, hélas, c’est la forme que nous donne actuellement la présence de l’islam en France. Cet islam-là n’a rien à voir avec justement les cultures liées au phénomène islamique et qui sont nombreuses et riches […] Il faut donc sortir de cette perception si étroite du religieux qui entraîne une étroitesse de la laïcité́ », explique l’auteur de Pour une critique de la pensée islamique.

Des élèves assistent à un cours d'arabe dans une salle de classe de l'Institut européen des sciences sociales, en France, le 16 octobre 2012 (AFP)

Mieux, Arkoun expliquait qu’une approche axée sur la compréhension de la religion comme culture(s) permettait aussi d’explorer l’histoire d’une pensée critique de l’islam, un héritage de philosophes et d’intellectuels qui ont combattu, il y a des siècles, l’hégémonie de la doxa rigide des fuqaha’ (juristes de l’islam). Jusqu’à sa disparition en 2010, ce penseur n’a cessé de militer pour réactualiser la notion de la laïcité, pour créer des expressions scientifiques à l’islam, pour armer pédagogues et politiques face aux problématiques du fait religieux. En vain.        

Quelles représentations de l’islam en France ?

Même si, comme le souligne l’historienne Valentine Zuber plus haut, le président Macron semble moins enclin à s’ingérer de façon excessive dans les instances censées représenter le fameux « islam de France », il n’en demeure pas moins qu’une profonde révision de la politique envers ces « représentants » s’impose.

D’abord parce que, comme le regrette l’imam algérien Kamel Chekkat, « les hommes politiques français ont créé des clivages entre les différents représentants de l’islam, et chacun d’eux prétend être le mieux placé pour combattre les extrémistes ».

« Les lieux de culte sans lieux de savoir, ce sont des lieux dangereux. Cela a été amplement démontré et je m’étonne de cette cécité »

- Mohammed Arkoun, philosophe algérien

En plus, une profonde méconnaissance de la pluralité du fait religieux musulman provoque des couacs à la limite du ridicule. Souvenons-nous, par exemple, de l’ancien président Nicolas Sarokzy se déplaçant à l’Université al-Azhar, au Caire, pour avoir des avis religieux sur mesure alors que cette institution ne représente qu’une partie des musulmans !

L’autre biais concerne la composition même de ces fameuses instances, où seuls les représentants religieux au sens strict du terme sont majoritaires. « L’approfondissement de cette laïcité serait, me semble-t-il, d’inviter à la table des débats à la fois les représentants des différentes religions, mais aussi ceux qui défendent des convictions non religieuses, telles que la Libre pensée ou les nombreuses loges maçonniques », regrette, sur les colonnes du quotidien français Libération, Valentine Zuber.

La cour de la Grande Mosquée de Paris (MEE/Adrien le Coarer)

« J’ai été frappé, après les attentats du 13 novembre, par l’appel d’intellectuels laïcs et de cadres de culture musulmane dans Le Journal du dimanche, qui ont déclaré : ‘’Jusque-là, la religion ne nous concernait pas, mais c’est notre devoir de nous en occuper.’’ Quel écho cet appel auprès des autorités françaises a-t-il eu ? », se demande à son tour, sans se faire trop d’illusions, l’historien et chercheur Pierre Vermen dans le magazine Le Point.

Pour reprendre Mohammed Arkoun, qui va plus loin dans l’analyse, on ne peut octroyer des espaces de cultes sans culture : « Nous ne parlons que de culte et nous faisons des élections pour élire des gens qui ne s’occupent que du culte. Je n’ai jamais entendu un conseil réclamer autre chose. Les lieux de culte sans lieux de savoir, ce sont des lieux dangereux. Cela a été amplement démontré et je m’étonne de cette cécité ».

- Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a signé deux thrillers politiques sur l’Algérie et co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese. Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : (de gauche à droite) Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Emmanuel Macron, président français, Anouar Kbibech, président du CFCM, et Ahmet Ogras, vice-président du CFCM, assistent à un dîner organisé par le CFCM pour rompre le jeûne du Ramadan, à Paris, le 20 juin 2017 (AFP).

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